Au-delà de l’horreur

La paix revenue, du moins officiellement, comment arrêter la recrudescence des exactions contre les femmes dans les provinces orientales du pays ? Toutes les campagnes des ONG ont, à ce jour, échoué.

Publié le 15 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

Azarias Ruberwa, vice-président de la RD Congo et leader de l’ex-mouvement rebelle, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma), a demandé pardon aux femmes, le 8 mars, pour les viols et autres exactions commis pendant la guerre dans l’est du pays. Aujourd’hui encore, des miliciens traînent un peu partout, incontrôlés et incontrôlables. La culture du mépris et de la violence à l’égard des femmes perdure. Aucune autorité judiciaire ne donne jamais suite aux cas de viols qui lui sont soumis. De toute façon, bien peu de victimes osent porter plainte, par crainte de l’opprobre, qui, dans toutes les couches de la société, continue de frapper les femmes violées. La peur et l’indifférence garantissent aux coupables une totale impunité.
Dans les provinces du Sud et du Nord-Kivu, bien loin de Kinshasa et de ses décideurs, les années de guerre ont mis à mal les plus élémentaires valeurs morales. Hors des centres urbains, c’est l’horreur. Faire régner la terreur est le meilleur moyen de conquérir une position ennemie, de rançonner un village ou, simplement, de manger à sa faim. Les enquêteurs dépêchés sur le terrain rapportent des témoignages à faire froid dans le dos.
À des représentants de l’association Human Rights Watch, une femme raconte, par exemple, le calvaire de sa fille : « C’était le 15 mai 2003, il était 9 heures. Quatre soldats banyamulenges (Hutus rwandais) ont pénétré dans la maison. Je me suis cachée avec mon bébé. Ils se sont dirigés vers ma fille et j’ai compris qu’ils allaient la violer. Comme elle résistait, ils lui ont coupé le sein droit et le lui ont placé dans la main. Puis ils ont découpé ses parties génitales et l’ont violée. Enfin, ils ont tailladé son corps de la gorge jusqu’au sexe et l’ont laissée se vider de son sang. Nous n’avons pas l’électricité, je ne voyais rien, j’entendais seulement les cris. Au petit matin, je l’ai trouvée morte. Elle serrait encore son sein coupé dans sa main. »
Des cas comme celui-là, il y en a des centaines. Des milliers, peut-être. Bambins ou femmes âgées, personne n’est à l’abri. Que faire ? Dans les villes de Goma, Bukavu et Kisangani, les ONG locales prennent en charge les femmes qui décident de se manifester, les soignent psychologiquement et physiquement. À l’échelon national, des organismes comme Pole Institute (créé par des médecins et professeurs originaires de Goma) s’efforcent d’assurer des formations spécifiques à l’intention des personnels soignants ou collaborent aux programmes de désarmement et de réinsertion des combattants. Les grandes organisations internationales, Amnesty International ou Human Rights Watch, mènent régulièrement des enquêtes et tentent d’alerter l’opinion. Les résultats sont décevants.
Alors que les campagnes d’information sur les enfants-soldats ont fini par avoir quelque effet dissuasif sur les recruteurs dans les maquis, rien ne semble être en mesure de faire reculer les violeurs. Dans l’hebdomadaire américain The Nation, Jan Goodwin s’interroge sur la quasi-absence de couverture médiatique de ce drame. « Le conflit en RDC étant extrêmement dangereux, écrit-il, les journalistes évitent de se rendre sur le terrain. Et puis, ce pays ne figure pas sur la carte géopolitique de CNN. Donc, personne ne s’y intéresse. » La complexité du conflit, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, décourage de surcroît les amateurs d’idées toutes faites. Bref, le sujet n’est vraiment pas journalistique, comme le prouve cette réflexion d’un patron de presse américain cité par Goodwin : « Les viols en RDC ? Juste une horreur de plus dans ce vaste champ d’horreur qu’est l’Afrique. »
Même indifférence du côté des pouvoirs publics. Anneke Van Woudenberg, spécialiste du Congo à Human Rights Watch, s’est ainsi entendu répondre par la représentation américaine aux Nations unies, puis par le département d’État, que « le problème du viol en RDC est connu, mais ne constitue pas une priorité ». Un mépris criminel.

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