Al-Hurra prisonnière de ses chaînes

Financée par le département d’État américain, la nouvelle télévision arabophone fait un flop.

Publié le 15 mars 2004 Lecture : 2 minutes.

Un magistrat du tribunal de Riyad, Ibrahim Ibn Salah el-Khodari, a qualifié la télévision américaine arabophone Al-Hurra (« La Libre ») de « chaîne mécréante qui vise à combattre l’islam et à américaniser le monde ». Le 4 mars, ce juge islamiste a rendu publique une fatwa interdisant aux musulmans de regarder cette chaîne, de diffuser des spots publicitaires sur ses ondes, de participer à ses émissions et même de la citer dans leurs écrits.
Depuis son lancement, le 14 février, Al-Hurra suscite des réactions mitigées sinon franchement hostiles de la part des téléspectateurs au Proche-Orient et en Afrique du Nord, qui la jugent hostile aux Arabes et aux musulmans, et favorable à Israël.
Financée par le département d’État américain, Al-Hurra est gérée par la société Broadcasting Board of Governors (BBG). Elle diffuse ses programmes à partir de ses studios de Springfield, en Virginie, près de Washington, via les satellites Arabsat et Nilesat. Créée dans le but de « propager les valeurs américaines » et de « diffuser un message de liberté et de démocratie dans le monde arabe », selon les termes de Kenneth Tomlison, président de BBG, Al-Hurra vise aussi à améliorer l’image des États-Unis dans l’opinion publique arabe. Autre objectif, quoique moins avouable : réduire l’influence de la concurrente qatarie Al-Jazira, dont le tort est de se faire l’écho de la « propagande haineuse » (George W. Bush dixit) des islamistes et des nationalistes arabes. Comment ? En diffusant une information complète et équilibrée et, surtout, des débats entre des personnalités américaines d’horizons divers, des représentants des gouvernements arabes et des figures de l’opposition démocratique dans la région.
En portant leur choix sur des journalistes – en majorité libanais – connus pour leurs opinions ouvertement proaméricaines, les responsables de la chaîne ont marqué les limites de la liberté d’expression qu’ils entendent promouvoir dans la région. La suite était prévisible : islamistes, nationalistes arabes, et même libéraux favorables au projet américain du « Grand Moyen-Orient » ont lancé de vives attaques contre Al-Hurra.
« C’est une chaîne de propagande américaine, à l’instar de la radio fédérale arabophone Sawa et du magazine arabe financé par le Congrès, Hi », protestent les uns. « C’est une arme de désinformation massive », « un instrument au service de la guerre idéologique de l’Occident contre les musulmans », renchérissent les autres. « Comment pourrait-elle être indépendante, s’interroge- t-on, alors que son budget de 2004 (62 millions de dollars) est assuré par l’argent public américain et que son Conseil de surveillance est dirigé par le secrétaire d’État et composé de quatre personnalités du parti républicain et quatre autres du parti démocrate ? »
Dans un article publié le 27 février par le journal cairote Al-Ahram Hebdo, Salama A. Salama a apporté une autre explication à l’échec d’Al-Hurra : si la chaîne américaine a du mal à concurrencer les médias non gouvernementaux arabes, c’est parce que ces derniers jouissent, de par leur tonalité, d’une plus grande crédibilité auprès des téléspectateurs arabes. Les responsables américains semblent avoir négligé cette donnée. Ils ont cru, à tort, qu’Al-Hurra allait combler un désert médiatique. Une fois de plus, ils auront fait la preuve de leur grave méconnaissance de la région.

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