Le printemps des entreprises maliennes

Grands patrons, moins touchés par la crise, ou petits patrons à l’activité encore fragile : tous attendent un retour à la stabilité et davantage de transparence dans les appels d’offres au Mali.

En 2013, l’industrie textile malienne a crû de 17,9% par rapport à l’année précédente. © Emilie Régnier/JA

En 2013, l’industrie textile malienne a crû de 17,9% par rapport à l’année précédente. © Emilie Régnier/JA

Publié le 13 mai 2014 Lecture : 6 minutes.

« Selon les données de l’Institut national de la statistique du Mali [Instat], le pays a amorcé une faible reprise économique en 2013, tirée essentiellement par le secteur industriel, la campagne agricole s’étant révélée décevante », explique Émilie Laffiteau, économiste à l’Observatoire économique et statistique d’Afrique subsaharienne (Afristat).

Cette relance s’est, en effet, principalement traduite dans l’agroalimentaire (+ 42% par rapport à 2012), l’industrie métallurgique (+ 14,8%) et le textile (+ 17,9%). Elle a également bénéficié au secteur tertiaire (+ 8,3%), grâce notamment à la bonne tenue des télécoms, où les deux opérateurs présents, Orange Mali et Malitel (filiale de Sotelma), continuent de développer leurs services mobiles et de gagner des abonnés.

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Expansion

La plupart des grandes entreprises privées maliennes sont parvenues à tenir le cap malgré la crise. En particulier celles dont les activités sont diversifiées et qui se déploient à l’extérieur du pays. C’est le cas des sociétés de Ben&Co Holding, le groupe d’Alou Badara Coulibaly. Spécialisé dans l’achat, le transport, le stockage et la distribution des produits pétroliers, il est présent au Sénégal et en Côte d’Ivoire.

« Dans ce contexte fluctuant, on n’osait pas avancer nos pions », confie un patron bamakois.

Dans le secteur agroalimentaire, Achcar Mali Industries (AMI) poursuit son expansion au Niger et au Burkina. Avec des activités s’étendant de la farine à l’eau minérale, en passant par les aliments pour bétail, la confiserie et le transport, le groupe a pour principale filiale les Grands Moulins du Mali (GMM).

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Dans l’hôtellerie, le groupe Azalaï, après avoir ouvert des établissements au Burkina, en Guinée-Bissau et au Bénin, poursuit son développement dans la sous-région. Il construit actuellement des hôtels à Niamey et Abidjan.

Besoins

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En octobre, il a signé avec la Société nationale industrielle et minière (Snim) de Mauritanie la reprise de l’hôtel Marhaba de Nouakchott, qui devrait rouvrir pour la fin de l’année. L’établissement verra sa capacité doubler à plus de 120 chambres d’ici à la fin de 2015 (un investissement total de 9 millions d’euros). « La plupart des infrastructures routières qui nous sont indispensables sont déjà là, le gouvernement n’a plus qu’à les consolider, explique Ousmane Sidibé, PDG de Sogefert, société spécialisée dans les engrais. Ce dont nous avons besoin maintenant, ce sont des structures de stockage et de transformation. »

Selon lui, le secteur agricole (qui représente 40% du PIB du pays) bénéficiait déjà d’une grande attention sous la présidence d’Amadou Toumani Touré. « Le nouveau gouvernement doit mettre l’accent sur l’aval de la production, continue Ousmane Sidibé. C’est-à-dire sur l’industrialisation du secteur, pour permettre au Mali de proposer des produits transformés. »

La situation semble évoluer favorablement puisque l’entreprise ATC, sous-traitante des industries minières et spécialisée dans la construction d’usines, a embauché 20% de personnel supplémentaire. Côté infrastructures routières, la construction de l’axe Tombouctou-Niafunké (environ 200 km), dans le nord du pays, a repris, sous la houlette de Satom, filiale du français Vinci. Le chantier avait été suspendu après les événements de 2012.

Craintes

Cependant, la confiance ne s’est pas encore rétablie. Dans les différents secteurs, de nombreux petits patrons ont été obligés de réduire leurs effectifs pendant les deux années de crise, même si le taux de chômage reste stable à 10,8%, mi-2013. Surtout, huit mois après l’investiture d’Ibrahim Boubacar Keïta, les chefs d’entreprise attendent de voir si le gouvernement passera ses marchés avec la transparence promise.

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Le remaniement ministériel qui a eu lieu le 5 avril pourrait aider à clarifier les choses. « Ces derniers mois, personne n’osait avancer ses pions, de peur de voir changer ses interlocuteurs au sein du gouvernement, confirme un patron bamakois. La nomination de Moussa Mara, réputé intègre et patriote, devrait modifier la donne. »

La crainte de voir des marchés attribués dans des conditions douteuses continue de réfréner les ardeurs. « La situation ne me permet pas de m’engager dans des contrats lancés par l’État, parce qu’il n’y a pas encore de stabilité politique », estime Habib Dacko, patron de Dana BTP et d’une entreprise de transports.

BTP

Le développement de ce secteur prometteur dépendra de la réhabilitation des infrastructures routières sinistrées. Pour l’heure, Habib Dacko préfère travailler avec les ONG ou se charger du transport du matériel militaire de Serval depuis Abidjan jusqu’à Gao, où stationne le plus gros des forces françaises.

La présence de Serval, de la Minusma et de la mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM) a dopé l’économie, mais a aussi contribué à la hausse des prix, notamment dans les secteurs de l’immobilier et de l’agroalimentaire. En un an, ils ont grimpé de 0,7%. Toutefois, l’essentiel des besoins alimentaires de la Minusma, gérés par le groupe américain Supreme, sont importés, les produits maliens ne correspondant pas aux normes exigées.

Embauches

Dans ce secteur comme dans d’autres, les appels d’offres passés par la Minusma laissent certains opérateurs privés sur leur faim. « Je n’y réponds même plus », soupire un industriel malien. D’autant qu’une grande partie de ces marchés sont passés de gré à gré. Comme les cinq contrats que le secrétariat général de l’ONU a attribué à des entreprises françaises, le 12 mars, portant sur la construction d’infrastructures au profit de la Minusma dans le nord du Mali, pour un montant total de 34,7 millions d’euros.

Ces sommes, injectées par les partenaires internationaux, devraient cependant susciter des embauches dans les sociétés sous-traitantes. Même si beaucoup sont encore confrontées à un problème de ressources humaines. « Je recrute à l’extérieur », regrette Ousmane Sidibé. Même écho dans les mines, l’hôtellerie et le BTP, où les entreprises souffrent encore d’une pénurie de compétences techniques et d’encadrement.

Heureux comme Ismaël

Ismael Sidibe Mali Africable cVincent fournierJA« On est à l’image du pays, on reprend petit à petit des forces. Quand on pense aux deux dernières années que nous avons passées, cela relève du miracle ! Pourtant, beaucoup de mes amis entrepreneurs ont déjà oublié que l’on revient de loin… »
PDG du groupe audiovisuel Africable, qui emploie 200 personnes au Mali, Ismaël Sidibé, lui, ne veut rien oublier.

La chaîne privée malienne Africable et sa petite soeur Maïsha TV (destinée aux femmes et lancée en avril 2013) couvrent tout le continent, l’Europe et le Moyen-Orient. Cette large diffusion leur a permis de « mieux encaisser la crise ».

Se réadapter

Et si le groupe a perdu 20% à 25% de son chiffre d’affaires, Ismaël Sidibé est convaincu qu’il se remettra en selle rapidement. Sans compter que certains effets de la crise se révèlent bénéfiques pour le pays : « Tous ces changements ont créé une perte de repères. Des opérateurs ont perdu leurs passe-droits, il faut se réadapter, mais c’est aussi l’occasion de se réinventer », souligne-t-il. Selon lui, les entrepreneurs maliens sont plus confiants qu’avant le putsch de mars 2012. « En moins d’un an, on s’est rendu compte qu’on pouvait s’en sortir. IBK a dit que ceux qui sont capables auront leur place. Des centaines d’opérateurs n’attendent que ça ! »

Et si certains patrons ne profitent pas encore des nouveaux marchés, notamment ceux liés à l’aide financière et à la présence de la communauté internationale – « Il y a un déficit d’informations en la matière » -, Ismaël Sidibé estime que des talents ont éclos. « Une nouvelle génération d’entrepreneurs, moins complexés par « le Blanc », motivés par l’envie de créer dans la qualité, la pérennité et dans les règles. » À cet égard, il veut croire que les 3,25 milliards d’euros d’aide alloués par les bailleurs internationaux dans le cadre du plan de relance du Mali changeront certaines habitudes : « Ces trois milliards représentent des contraintes, des comptes à rendre, et personne ne pourra les bouffer. »

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