Un heureux événement

Les sujets du royaume chérifien installés à l’étranger disposent désormais d’une institution capable de répondre à leurs préoccupations.

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 4 minutes.

Hassan II était catégorique : les Marocains sont au Maroc, ils vivent et meurent au Maroc et non ailleurs. « Les Marocains du monde » n’existent pas. L’expression n’a vu le jour qu’après sa disparition (23 juillet 1999). Ceux qui, parmi ses chers sujets, sont obligés de chercher leur gagne-pain loin du royaume ne songent qu’à rentrer chez eux. Pas question qu’ils s’installent dans les pays d’accueil, où ils ne font que passer. Les idées du roi en la matière, qu’il partageait avec un Jean-Marie Le Pen, reflétaient néanmoins une certaine réalité. Les Marocains de l’émigration restaient indéfectiblement marocains et ne s’intégraient guère.
Mais Hassan II était un homme de son temps et les temps ont changé. Aujourd’hui, les Marocains qui travaillent à l’étranger y font souche. Leur marocanité ne se dissout pas pour autant dans l’intégration. Ils accumulent les identités et jonglent avec les appartenances multiples. Jamel Debbouze, 100 % français, se veut marocain dans la même proportion, et il l’est visiblement. Et plutôt qu’un cas unique, c’est un phénomène emblématique.
Tout baigne ? Bien sûr que non. De larges secteurs de l’émigration souffrent de misère et d’exclusion. En France, en Espagne ou en Italie, des familles en situation irrégulière sont chaque jour menacées d’expulsion. Les émigrés sans problème qui souhaitent maintenir des attaches avec leur pays, à travers l’enseignement de l’arabe par exemple, n’obtiennent pas toujours satisfaction Mais les problèmes de l’émigration vont sans doute être perçus sous un autre jour. Passé inaperçu, un événement a eu lieu récemment qui modifie les conditions de les aborder et accroît par la même occasion les chances de les résoudre. Sans verser dans l’angélisme, on peut même parler d’un heureux événement. Les Marocains dans le monde disposent désormais d’une institution dans laquelle ils peuvent se reconnaître, qui a été précisément créée pour répondre à leurs préoccupations et, surtout, développer les mille et un liens avec leur pays d’origine. Mohammed VI a mis la dernière touche au Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME). Aussi bien les hommes choisis pour l’animer que le processus de sa création laissent penser qu’il s’agit d’une initiative originale, pour ne pas dire exceptionnelle, qu’il convient de prendre au sérieux et dont il faut attendre beaucoup.
C’est Driss El-Yazami, 52 ans, qui a été désigné, le 21 décembre dernier, pour présider le CCME. Il réunit les qualités de compétence et d’indépendance requises. Issu d’une famille d’artisans de la région de Fès, bûcheur, esprit clair, sens aigu de l’organisation, il avait mis à profit son long exil politique (trente-sept ans) pour s’occuper des questions de l’émigration et des droits de l’homme, utilisant divers moyens d’expression qui vont de la presse à l’édition en passant par le cinéma. Secrétaire général de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), il siège au Maroc au Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH).

Trente-sept membres
Aux côtés de Driss El-Yazami, de sensibilité plutôt laïque, le roi a désigné comme secrétaire général un homme au profil différent et complémentaire. Abdellah Boussouf, 45 ans, historien, est une figure de l’islam en Europe et du dialogue entre les religions. Vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM), il dirige le Centre euro-islamique pour la culture et le dialogue, dont le siège est en Belgique. On lui doit la construction de la Grande Mosquée de Strasbourg. Parallèlement, le roi a nommé trente-sept membres du CCME, dont un tiers de femmes. On relève les noms de trois juifs, dont Paul Dahan, psychanalyste à Bruxelles, réputé pour posséder la plus grande bibliothèque sur le Maroc à l’étranger.
L’approche choisie pour mettre en place le CCME est un gage de crédibilité et d’efficacité. Annoncée en novembre 2006, sa création a été précédée, tout au long de 2007, d’un travail de recherche et d’investigation. Avec El-Yazami comme maître d’uvre, il a été mené systématiquement auprès des communautés marocaines à travers le monde et a mobilisé divers moyens : focus groupes, séminaires, Internet Résultat : le CCME se trouve aujourd’hui en terrain connu et sera d’emblée opérationnel.

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Des agents de modernité
La diaspora marocaine n’est plus ce qu’elle était. Objet d’une formidable expansion démographique, ses effectifs ont été multipliés par dix en trente ans et atteignent 3,3 millions d’âmes (sans compter les sans-papiers). Au-delà de l’Europe, elle a gagné l’Amérique, l’Asie, et s’est développée dans le monde arabe et l’Afrique subsaharienne. C’est également une émigration de qualité. Le taux d’analphabétisme ayant sensiblement régressé alors que 16 % ont fait des études supérieures. Autre trait significatif : les Marocains s’intègrent volontiers. Ils sont quelque 500 000 à avoir obtenu la nationalité d’un pays membre de l’Union européenne ; ils constituent le premier contingent à être naturalisé en France, au rythme d’une moyenne annuelle de 10 000. À noter encore la féminisation accélérée de l’émigration. En France, en Belgique et aux Pays-Bas, les femmes représentent 47 % de la population migrante.
Cette transformation de la diaspora s’est accompagnée d’un renforcement de ses relations avec la mère patrie, comme l’attestent, entre autres, les transferts de fonds, qui sont passés de 19 milliards de dirhams en 1996 à 40 milliards en 2005. Les Marocains du monde ont besoin du Maroc. Leurs attentes sont modestes, ayant trait en fin de compte à l’identité (enseignement de l’arabe, exercice du culte, groupes de musique, films). Le Maroc a besoin d’eux. Plus que jamais. Les « passeurs de culture », comme dit Driss El-Yazami, sont autant d’agents de modernité.

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