Niger : l’uranium de la discorde
Des mois de négociations sur des concessions minières… et toujours pas d’accord. Les pourparlers à rallonge entre Areva et Niamey placent la filière sous les feux de l’actualité. Une industrie opaque, dont l’ONG Open Society pointe les dysfonctionnements dans un rapport que « Jeune Afrique » révèle en exclusivité.
Mis à jour le 12 mai 2014, 15h05 CET : ajout du droit de réponse de la présidence du Niger et de la réponse de la rédaction.
La pression monte sur le gouvernement nigérien et le minier français Areva qui, depuis plusieurs mois, renégocient les contrats d’exploitation des gisements d’uranium de la région d’Arlit, à 1 200 km au nord-est de Niamey. Manifestations étudiantes prenant à partie le président Mahamadou Issoufou – ancien cadre du groupe français – début avril, rapports d’ONG dénonçant les passe-droits obtenus par la compagnie : la colère gronde au Niger. Quant à Areva, déjà sur la sellette après l’ouverture d’une enquête visant son ancienne dirigeante Anne Lauvergeon et portant sur les conditions du rachat en 2007 d’Uramin (présent en Namibie et en Centrafrique), il se serait bien passé de cette publicité.
Le 7 mars, Luc Oursel, le successeur d’Anne Lauvergeon, assurait lors d’une visite à Niamey être « proche de la conclusion d’un accord ». Pourtant, un mois plus tard, les tractations se poursuivaient, alors que les concessions des filiales d’Areva au Niger, la Société des mines de l’Aïr (Somaïr) et la Compagnie minière d’Akouta (Cominak) ont expiré le 31 décembre 2013.
Tout semblait prêt pour un renouvellement en douceur, mais sous la pression de la rue, le gouvernement a repoussé l’échéance et tenté de durcir ses positions
Loi minière
« Tout semblait prêt pour un renouvellement en douceur, mais sous la pression de la rue, le gouvernement a repoussé l’échéance et tenté à la dernière minute de durcir ses positions pour obtenir un accord plus acceptable par la population », analyse Ibrahima Aidara, responsable du pôle Transparence économique de la branche ouest-africaine d’Open Society, l’ONG spécialisée dans les questions de gouvernance créée par le milliardaire George Soros.
Niamey veut que l’entreprise se plie à la loi minière adoptée en 2006, qui réduirait les avantages fiscaux dont elle bénéficie. Ce texte prévoit notamment un taux de redevance progressif entre 5,5 % et 12 % selon les bénéfices.
Légitimes
Du côté de l’Hexagone, le soutien inconditionnel des autorités à Areva ne semble plus acquis. « Les demandes du Niger sont considérées par ce gouvernement – et pas par le précédent gouvernement – comme légitimes », a ainsi déclaré le 5 février Pascal Canfin, alors ministre délégué chargé du Développement, devant l’Assemblée nationale. Reste à savoir si la nouvelle équipe dirigée par Manuel Valls adoptera la même position.
C’est un fait : la filière d’extraction de l’uranium au Niger fonctionne dans l’opacité. Les parties prenantes ont beau s’en défendre, faute de transparence sur les prix de vente et les coûts de production – qu’Areva refuse de communiquer -, leurs arguments sonnent creux, alimentant les fantasmes.
Pour y voir un peu plus clair, Open Society a recruté une équipe de consultants indépendants qui a travaillé à partir des chiffres publiés dans le cadre de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE, à laquelle le Niger a été certifié conforme en mars 2011) mais aussi d’informations collectées sur le terrain, à Niamey et dans les zones extractives de la région d’Agadez (au sud d’Arlit). L’ONG s’apprête à publier un rapport intitulé « Les revenus des industries extractives au Niger. Le cas de l’uranium : qui en profite ? », dont Jeune Afrique a obtenu en exclusivité une copie. De ce document de 67 pages, se dégagent quatre constats majeurs. Contacté par l’hebdomadaire, Areva n’a pas souhaité s’exprimer.
1 – Un État en position de faiblesse
Malgré la hausse de la production d’uranium, passée d’environ 3 000 tonnes en 2008 à 4 100 t en 2010, les revenus perçus par l’État ont chuté de 64,8 à 54,1 millions d’euros sur la même période. « Ce déphasage incohérent reste inexpliqué. L’État ne connaît ni le prix de vente du minerai, ni les coûts de production. Il est donc en position de faiblesse, incapable de contredire les bénéfices déclarés [qui servent de base au calcul de la redevance] », estime Ibrahima Aidara.
Sur les relations entre Areva et le Niger :
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Areva invoque la baisse des cours consécutive à la catastrophe nucléaire de Fukushima, en 2011, qui mettrait en péril sa rentabilité. Un argument rejeté par Anne-Sophie Simpere, d’Oxfam France : « Le groupe revend son uranium à des prix contractualisés fixés sur le long terme et qui, pour cette raison, sont au-dessus des cours », fait-elle valoir.
« Areva maîtrise toute la chaîne de valeur : il est son propre client. Il achète l’uranium à ses filiales pour l’enrichir avant de le vendre aux centrales nucléaires, dont il est lui-même l’opérateur pour une partie d’entre elles », ajoute Ali Idrissa, du Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (Rotab), principale association nigérienne dans ce domaine.
Autre illustration de la faiblesse des autorités, selon Open Society : les exonérations fiscales obtenues par l’entreprise. Elles étaient de 7,6 millions d’euros pour l’année 2005 et de… 30,5 millions d’euros pour 2010. Un important manque à gagner pour l’État nigérien, qui pourrait être réduit si la loi minière de 2006 était appliquée au groupe français.
2- Une gouvernance défaillante
Les enquêteurs de l’ONG ont également mis en avant un certain nombre d’irrégularités dans les relations entre Niamey et Areva. Un exemple emblématique : l’attribution en 2009 des permis miniers d’Imouraren, le gisement dont la multinationale doit commencer l’exploitation vers 2018, a été négociée directement par la présidence du Niger. Or, d’après la loi, cette mission revenait au ministère des Mines. Suite à l’attribution de ces gisements, le gouvernement nigérien a obtenu un « appui financier » de 35 millions d’euros de la part d’Areva. Plus troublant encore, selon Open Society, sur cette enveloppe négociée en 2009, environ 15 millions d’euros auraient initialement été affectés à l’achat d’un nouvel avion présidentiel, même si ce dernier n’a finalement jamais été acheté.
Selon Open Society : les exonérations fiscales obtenues par Areva étaient de 7,6 millions d’euros pour l’année 2005 et de… 30,5 millions d’euros pour 2010
La gestion des deniers miniers laisse en effet à désirer, d’après le rapport, qui cite notamment le cas de la « route de l’uranium » reliant Niamey aux gisements de la région d’Agadez. Selon la convention signée en 1980, Areva reverse 1 % de son chiffre d’affaires à l’État spécifiquement pour financer l’entretien de cet axe, crucial pour son approvisionnement. Des sommes qui ne sont clairement pas utilisées à cette fin, vu l’état déplorable de la route.
3 – Une redistribution insuffisante
Selon la loi minière, 15 % des revenus publics générés par la filière doivent revenir aux communes avoisinant les exploitations. Mais les consultants d’Open Society, qui ont enquêté dans la région d’Agadez, ont « constaté des irrégularités et des incohérences substantielles dans la gestion des fonds versés par l’État à tous les niveaux du processus ». Les subsides sont déterminés unilatéralement par Niamey, sans participation des élus locaux. Et leur montant est inférieur à ce qu’il devrait être d’après les chiffres déclarés au titre de l’ITIE. Selon le président du conseil régional d’Agadez, cité par l’ONG, l’État a 11,6 millions d’euros d’arriérés de paiement envers les communes.
4 – Une faible intégration locale
Areva recrute peu au Niger. En 2011, dans ce pays de 17 millions d’habitants, la filière uranium (dont le groupe français est le principal acteur) ne totalisait que 3 231 emplois, alors qu’elle représentait 71 % des exportations. Open Society dénonce l’absence de plan de formation conséquent et d’investissement à long terme sur le personnel local, ainsi que le recours systématique à des expatriés pour les postes d’encadrement ou les métiers techniques.
Le rapport déplore également que l’industrie minière recoure presque exclusivement à des produits et services importés – en dehors du transport et d’une usine d’acide récemment implantée à Arlit par Areva – et ne transforme rien au Niger. La faute, notamment, à l’absence de cadre légal imposant un pourcentage d’intégration locale, comme il en existe au Nigeria ou en Angola dans la filière pétrolière.
Droit de réponse
Notre sujet sur l’exploitation de l’uranium au Niger, publié dans Jeune Afrique n° 2780, a suscité cette réaction de la présidence.
Suite à la publication par votre hebdomadaire d’un article intitulé « Niger : l’uranium de la discorde » (Jeune Afrique n° 2780, du 20 au 26 avril 2014), qui insinue notamment que le gouvernement du Niger fait preuve de « faiblesses » dans l’attribution des permis miniers et la gestion des revenus tirés de l’exploitation de ce minerai, nous tenons à apporter les précisions suivantes : au Niger, la présidence de la République n’attribue pas de permis miniers, cette prérogative appartenant au ministère des Mines. La présidence actuelle n’a donc pas pu attribuer le permis d’Imouraren.
De plus, la convention concernant ce projet minier a été signée entre Areva et le ministère des Mines du Niger le 5 janvier 2009, c’est-à-dire bien avant l’accession au pouvoir du président Mahamadou Issoufou. Vous affirmez aussi que le gouvernement du Niger a reçu d’Areva un « appui financier » de 35 millions d’euros, sur lesquels il a prélevé 15 millions d’euros pour l’achat d’un « nouvel avion présidentiel ». Cet appui, certes promis pour 2012, n’a jamais été reçu par le Niger, pour des raisons que vous pourriez demander à Areva. En conséquence de quoi, il n’a pas pu servir à une telle transaction. Le jour où un nouvel avion présidentiel sera acheté par le Niger, il sera bien visible et acquis sur les fonds propres du Niger. Pour l’instant, ce n’est pas le cas.
Vous faites également état, vaguement d’ailleurs, d’ »irrégularités » et d’ »incohérences substantielles » dans la gestion de la redevance minière redistribuée aux collectivités. Il n’y a rien de tout cela : le gouvernement, dont les services techniques fiscaux collectent ladite redevance, reconnaît qu’il existe des arriérés de paiement auprès des collectivités. Lesquelles admettent tout autant que depuis 2013 des efforts importants sont fournis pour éponger ces arriérés. Ces efforts seront intensifiés en 2014.
Idimama Kotoudi, conseiller principal en communication à la présidence de la République du Niger
Réponse
Notre article se voulait une reprise et un commentaire d’un rapport de l’ONG Open Society sur le Niger, que nous avions obtenu en exclusivité. L’acquisition d’un avion présidentiel pour 15 millions d’euros grâce à un « appui financier » d’Areva (signalé dans ce document) n’a effectivement jamais eu lieu. Nous avons publié un rectificatif avec nos excuses sur notre site internet, le 19 avril, soit avant la parution de l’article, qu’il n’était malheureusement plus possible de corriger dans J.A. pour des raisons techniques.
La rédaction
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