Moncef Belkhayat, sans complexes
L’ex-ministre de la Jeunesse et des Sports est revenu à ses premières amours, les affaires. L’objectif de cet homme de réseaux : consolider l’expansion de son groupe, H&S Invest Holding.
Depuis son bureau du boulevard Al Massira à Casablanca, Moncef Belkhayat, 44 ans, pilote discrètement les activités de H&S Invest Holding. Après sa sortie du gouvernement en janvier 2012, l’ancien ministre marocain de la Jeunesse et des Sports a choisi de se consacrer pleinement à ce groupe qu’il a créé en 2004 et qui était jusqu’alors dirigé par son cousin et associé Ali Tazi.
Avec douze entreprises, 800 collaborateurs et pas moins de 1,3 milliard de dirhams (114,2 millions d’euros) de chiffre d’affaires, H&S s’apparente à un petit empire familial, actif dans quatre secteurs (distribution, communication, conseil, immobilier) et présent à Dubaï. Une réussite que son PDG veut désormais consolider. « On a grandi trop vite. Il faut renforcer les structures qui fonctionnent et en céder certaines pour partir à la conquête de nouveaux marchés », souligne-t-il.
S’appuyant sur un large portefeuille de clients (Procter&Gamble, Nokia, Nutrexpa, British American Tobacco, Dari Couspate, etc.), sa société Dislog s’apprête ainsi à réaliser sa première opération d’expansion vers le sud, en Mauritanie. Son objectif : accompagner, à partir de la zone franche de Nouadhibou, ses clients marocains et internationaux sur les marchés subsahariens. Une stratégie que Moncef Belkhayat a su vendre au fonds Capital North Africa Venture II, qui est entré il y a quelques semaines dans le capital de l’entreprise, à hauteur de 33 %.
« C’est un commercial dans l’âme. Donnez-lui du vent, il le vendra, et au prix fort »
Un ancien collaborateur
Chasseur de têtes
C’est au début des années 2000 que tout a commencé. Après une ascension fulgurante au sein de Procter&Gamble, où il est entré comme assistant brand manager et dont il est devenu en six ans directeur commercial pour l’Afrique et le Moyen-Orient, Moncef Belkhayat est repéré en 2000 par un chasseur de têtes de Telefónica.
L’opérateur espagnol vient de décrocher la deuxième licence GSM du royaume (dans le cadre d’un consortium formé avec Portugal Telecom et le groupe marocain FinanceCom, qui donne naissance à Méditel) et recherche un directeur commercial. Belkhayat, qui a tout juste 30 ans, accepte sans hésiter. « C’est un commercial dans l’âme. Donnez-lui du vent, il le vendra, et au prix fort », raconte l’un de ses anciens collaborateurs chez Méditel.
Discrets
Sans quitter cette position confortable (il perçoit un salaire mensuel de 250 000 dirhams, plus des stock-options), il rachète, avec des parents et des amis, Dislog, un petit distributeur de son ancien employeur Procter&Gamble. « La société valait à l’époque 8 millions de dirhams. Nous avons pu l’acquérir grâce à un prêt d’Attijariwafa Bank », confie-t-il.
Dix ans plus tard, l’entreprise spécialisée dans la distribution et la logistique pèse plus de vingt-cinq fois sa valeur initiale et génère plus de 1 milliard de dirhams de chiffre d’affaires. « Nous touchons tous les jours 1 million de clients. Nous sommes ancrés dans la vie des gens, mais discrets », déclare fièrement le PDG de H&S Invest Holding.
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Pendant que le groupe se diversifie dans la communication, le conseil et l’immobilier, Belkhayat devient en février 2005 le vice-président de Méditel et l’un des plus proches collaborateurs de son président, le richissime Othman Benjelloun. « Jusque-là, on se voyait dans les conseils d’administration. Mais être vice-président m’a permis de mieux connaître ce personnage extraordinaire », raconte-t-il.
Et lorsque, déçu de ne pas avoir été nommé directeur général du groupe, il quitte Méditel en 2007, il ne coupe pas les liens avec son ancien patron. Les deux hommes deviennent même associés, d’abord au sein de Dislog, puis de la chaîne d’épiceries Hanouty et d’Atcom, vaisseau amiral du pôle média de FinanceCom (le groupe de Benjelloun). Mais Hanouty, qui devait développer un réseau de 3 000 magasins de proximité via des franchises, est démantelé dès 2009. Cette dissolution marque la fin de l’association entre Benjelloun et Belkhayat.
Ce dernier rebondit en s’appuyant sur un autre homme fort : Mounir Majidi, le secrétaire particulier du roi. Une proximité qui fait grincer des dents au Maroc, mais ouvre de nombreux débouchés à Belkhayat. Quand Majidi prend en main le festival Mawazine, organisé dans la capitale, il met son expertise du marketing au service de l’événement. Idem au FUS Rabat, le club de football présidé par Majidi : l’homme d’affaires, qui n’est pourtant pas connu pour sa fibre sportive, intègre le bureau dirigeant de cette équipe dotée de moyens importants, mais désertée par le public. L’ex-dirigeant de Méditel y côtoie un nouveau monde. Et il saura en tirer profit.
Caméléon
Juillet 2009. À l’occasion d’un remaniement, quatre nouvelles têtes entrent au gouvernement El Fassi. Parmi elles, Moncef Belkhayat, chargé de la Jeunesse et des Sports. L’homme, qui se dit istiqlalien (la droite marocaine), passe pour l’occasion sous les couleurs du Rassemblement national des indépendants (RNI, proche de l’administration).
‘J’ai payé au prix fort mon opposition au Mouvement du 20-Février. Mais j’assume complètement. I just did my job’, insiste Moncef Belkhayat
Un véritable caméléon. Mais un caméléon « loyal », insiste-t-il. Un avis que ne partagent pas les militants du Mouvement du 20-Février. Ce groupe contestataire né dans le sillage du Printemps arabe a fait de Belkhayat l’une de ses cibles préférées, l’accusant de dilapider les deniers publics ou de bénéficier de passe-droits dans l’octroi de marchés publics.
Lui, constamment connecté, réfute ces critiques sur les réseaux sociaux et mène une campagne de dénigrement des jeunes activistes, qu’il dit manipulés par les séparatistes du Polisario. « J’ai payé au prix fort mon opposition claire et affichée au Mouvement du 20-Février. Mais j’assume complètement. I just did my job », poursuit l’ancien ministre, mêlant comme à l’accoutumée anglais et français.
Très marqué par sa formation aux États-Unis (il a étudié deux ans à Harvard), il revendique tout aussi ouvertement sa culture de réseaux. « Je suis convaincu que c’est essentiel pour se développer. Il n’y a aucune honte à cela », explique-t-il, décontracté. Un état d’esprit qu’il tente d’insuffler également dans son entreprise. Pas de « Monsieur », ni de « Ssi ». Avec lui, c’est « Moncef » tout court. Pas de paperasse non plus, il gère ses affaires via son laptop [« ordinateur portable », en français] et délègue tout ce qui peut l’être… Quant à sa carrière politique, il l’a mise en sommeil. Le temps, peut-être, de se préparer pour les législatives de 2016 ?
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