Éthiopie : Castel mise sur le vin

Après 25 millions d’euros d’investissement, Castel, le géant de la bière, sort sa première cuvée de vin éthiopien. L’activité pourrait rapidement s’avérer rentable : un groupe chinois a déjà réservé 300 000 bouteilles.

L’exploitation mobilise 250 permanents et quelque 300 saisonniers. © Vincent Defait

L’exploitation mobilise 250 permanents et quelque 300 saisonniers. © Vincent Defait

Publié le 30 avril 2014 Lecture : 5 minutes.

Nous sommes à Ziway, à 135 km au sud d’Addis-Abeba, la capitale éthiopienne. Dans le vignoble, on reproduit les gestes ancestraux des vendanges : protégés de la chaleur par un chapeau de paille, les femmes coupent le raisin, les hommes transportent les caisses. Non loin de là, une usine tout en inox, ultramoderne, gérée par un ordinateur dont l’écran tactile est incrusté dans un mur. C’est d’ici que proviennent les cuvées 2013 d’Acacia et de Rift Valley, deux vins qui ont fait leur arrivée sur le marché en ce mois d’avril.

« Faites-moi du vin éthiopien de qualité, et exportez-le ! » souhaitait il y a huit ans Mélès Zenawi, alors Premier ministre. Bien que dubitatif au départ, l’homme d’affaires français Pierre Castel, dont la société est implantée depuis 1990 dans le pays, où elle produit de la bière, a relevé le défi. Le groupe, numéro trois mondial du vin, a démarré de rien en 2008 – hormis 42 hectares de cépage sangiovese déjà existants – sur un terrain cédé par le gouvernement, après neuf mois de prospection dans une quinzaine de fermes d’État. Chardonnay, syrah, merlot, cabernet sauvignon : 120 ha ont été plantés, une surface gigantesque. Un site de vinification a en outre été développé. En tout, l’investissement s’est élevé à 25 millions d’euros.

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Bourgeons

JA2780p075 infoLes premières années n’ont pas été faciles. Car si le sol semblait idéal pour accueillir de la vigne, l’oenologue Olivier Spillebout, seul expatrié présent à Ziway, a dû s’adapter aux conditions climatiques, surtout à l’absence de saisonnalité. En Éthiopie, la durée des jours et des nuits et la température sont quasiment constantes sur l’année. Résultat : « Au début, il y avait au même moment des pieds en dormance et d’autres en train de grandir avec des bourgeons, des feuilles », se souvient-il. Le problème a été résolu grâce à l’établissement de calendriers très précis pour la taille et au choix de ne faire qu’une vendange par an.

De 800 hectolitres en 2011 et 2012, la récolte est finalement montée à 8 500 hectolitres en 2013. De quoi sortir, avec un an de retard, les premières cuvées. « On commençait à être inquiets », reconnaît Bernard Coulais, le patron de BGI-Castel en Éthiopie, où sa principale (et très lucrative) activité reste évidemment la bière St. George.

Avec l’Afrique du Sud, le Maroc et la Tunisie (où Castel compte quelque 1 500 ha de vignobles), l’Éthiopie est l’un des seuls pays du continent à posséder une tradition vinicole.

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À l’origine, l’entreprise considérait surtout ce projet vinicole comme une manière de renforcer sa position dans le pays. Mais l’aventure pourrait rapidement s’avérer très rentable. Bernard Coulais espère ainsi rembourser l’investissement initial d’ici deux à trois ans. « On est déjà à un bon rythme de croisière, un bon niveau qualitatif et quantitatif, avec 1,1 million de bouteilles. Aujourd’hui, j’estime qu’on est à l’équilibre en termes d’exploitation, avec même un solde légèrement positif. On verra ce que va donner la commercialisation. »

De ce côté-là aussi, les premiers indices sont encourageants. Toutes les bouteilles ont déjà été commandées par des grossistes. Les acteurs locaux ont été intéressés d’emblée. À l’exportation, une entreprise chinoise a réservé 300 000 bouteilles. Le reste devrait être écoulé auprès de la diaspora (notamment des 2 millions d’Éthiopiens installés en Amérique du Nord), friande de produits nationaux. Castel a aussi vendu un ou deux conteneurs de 12 000 bouteilles chacun à des pays voisins, comme Djibouti, le Kenya, la Tanzanie ou le Rwanda, et espère développer ces débouchés régionaux.

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Étiquettes

Par le jeu des taxes appliquées en Éthiopie, des coûts de transport et des marges des différents intermédiaires, le prix pour le consommateur devrait être sensiblement le même à Addis-Abeba qu’à Washington, sans doute entre 7 et 10 dollars (environ 5 à 7 euros) par bouteille. Un tarif qui peut paraître élevé pour un produit sans aucune référence, et alors que la modeste masse salariale (250 permanents et quelque 300 saisonniers payés selon les normes locales) ne grève pas le budget.

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Mais les investissements en équipement ont été lourds, et tout le matériel (bouteilles, bouchons, étiquettes, etc.) continue à venir de l’étranger. Seuls les cartons de stockage sont fabriqués sur place -c’est d’ailleurs la seule fourniture qui soit arrivée en retard…

Tradition vinicole

Avec l’Afrique du Sud, le Maroc et la Tunisie (où Castel compte quelque 1 500 ha de vignobles), l’Éthiopie est l’un des seuls pays du continent à posséder une tradition vinicole.

Le groupe français n’est pas l’unique investisseur étranger à s’être lancé dans cette activité. Mi-2013, Mulugeta Tesfakiros, un entrepreneur éthiopien, s’est en effet associé au capital-investisseur 8 Miles, fondé par Bob Geldof, pour racheter Awash Wine, l’acteur de référence du secteur avec 8 millions de bouteilles vendues chaque année sous les marques Axumit, Gouder et Kemila, entre autres.

Des vins à 4 dollars, sirupeux et peu conventionnels mais adaptés au goût des consommateurs éthiopiens – qui apprécient notamment les mélanges avec des boissons gazeuses. Castel, lui, entend produire des crus plus classiques et se positionner ainsi sur un créneau intermédiaire entre Awash Wine et les vins importés.

Les cartons de stockage, seules fournitures fabriquées sur place, sont arrivés en retard. 

Malgré les multiples petits soucis techniques qu’il a fallu résoudre (des claquements de lassos écartent désormais les oiseaux, les fumées de l’entreprise voisine ont été éloignées, etc.) et les difficultés liées au climat des affaires (il est par exemple presque impossible d’obtenir des devises), le groupe se félicite désormais de s’être lancé dans cette aventure excitante.

Soutien du gouvernement

Son coeur d’activité en Afrique reste évidemment la bière et il ne compte pas rivaliser en volume avec Awash Wine sur le segment viticole, mais Castel a bien mesuré les opportunités que pouvait offrir l’ouverture économique de l’Éthiopie.

D’autant que le gouvernement semble vouloir lui confier la mission de faire du pays le plus gros exportateur de vin du continent. L’ambition est démesurée – l’Afrique du Sud a exporté 5 millions d’hectolitres en 2013, quand la production éthiopienne ne dépasse pas 80 000 hectolitres – mais Castel a quelques atouts. Cette maison de négoce née dans le Bordelais a une solide expertise en matière de commercialisation internationale. Numéro deux de la bière et des boissons gazeuses en Afrique, elle y est, en outre, solidement implantée dans une vingtaine de pays.

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