Moi ou le chaos

Le chef de l’État camerounais a annoncé le 31 décembre 2007 son intention de faire modifier la Constitution, pour ne pas circonscrire « la volonté populaire ». Objectif : la présidentielle de 2011.

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 6 minutes.

Unique gourou de la communication du palais présidentiel d’Etoudi depuis que Stéphane Fouks, d’Euro RSCG, en a été débarqué il y a une douzaine de mois, Patricia Balme est indirectement à l’origine du séisme qui ébranle aujourd’hui l’opinion et la classe politique camerounaises. Cette Française très discrète, dont la plupart des Camerounais ignoraient l’existence jusqu’à ce que Paul Biya lui-même lui demande récemment de s’exprimer devant les caméras sur les marches du palais à la sortie d’une audience, a en effet réussi, il y a deux mois, un petit exploit. Faire parler Biya en « live » sur le plateau d’une télévision étrangère (France 24 en l’occurrence), ce qui ne lui était pas arrivé depuis l’interview accordée à Yaoundé à Yves Mourousi (aujourd’hui décédé), à l’époque historique de « La Une » d’Hervé Bourges, il y a plus de vingt ans. C’était fin octobre 2007, en marge de la visite de Paul Biya à Paris et, jusqu’à l’ultime minute, rien n’était encore acquis : « Je n’en ai pas dormi de la nuit », confie Patricia Balme dans son bureau du seizième arrondissement. Proche de l’Élysée (elle connaît Nicolas Sarkozy, affirme-t-elle, depuis l’âge de 18 ans), communicante, entre autres, des ministres Michèle Alliot-Marie et Renaud Dutreil, ainsi que d’Alassane Ouattara et de l’ambassade du Maroc à Paris, la blonde présidente de P.B. Com International en a certes vu d’autres. Mais convaincre de parler un homme qui a fait de l’absentéisme médiatique une technique de gouvernement relevait de la gageure. Joli coup
Repris en boucle au Cameroun par la CRTV et publié dans Cameroon Tribune, l’entretien, au cours duquel Biya apparaît à l’aise et n’élude aucune question – quitte à prendre ses concitoyens à rebrousse-poil lorsqu’il confesse ne pas avoir été choqué par le désormais célèbre « discours de Dakar » de Nicolas Sarkozy ou lorsqu’il refuse de s’exprimer sur les tests ADN -, retient surtout l’attention sur un point précis. À la question insistante de savoir s’il sera candidat à sa propre succession en 2011, le président camerounais répond ?(et répète à trois reprises) que la Constitution « telle qu’elle est aujourd’hui » ne lui permet pas de briguer un autre mandat. Et il ajoute : « Je somme mes compatriotes de s’atteler à des tâches plus urgentes » que celle qui consiste à débattre à l’infini d’une éventuelle révision du Texte fondamental. Sans que l’on sache avec certitude s’il s’agissait là de l’effet recherché – mais tout porte à croire que Paul Biya ne s’y attendait guère -, ces quelques phrases, loin de calmer le jeu, attisent la polémique. Pendant deux mois, les Camerounais s’interrogent : qu’a-t-il voulu dire ? Alors que l’opposition estime que le chef de l’État prépare l’opinion à une révision de la Constitution, nombre des partisans du pouvoir s’inquiètent et le font savoir : et si Biya, finalement, avait décidé de ne pas se représenter ? Comment peut-il songer à abandonner ses troupes en rase campagne sans avoir adoubé un dauphin, que l’on serait d’ailleurs bien en peine d’identifier ? En cette fin d’année 2007 morose, entre chien et loup, sur fond d’atonie économique, de fusillade sanglante à Bakassi et de rumeurs aussi invérifiables que récurrentes de complots contre la sécurité de l’État, laisser s’instaurer une confusion quant à l’avenir institutionnel du pays est la dernière chose dont les Camerounais et les investisseurs étrangers ont besoin. C’est tout au moins ce que pense Paul Biya, qui, fin décembre, décide de trancher.

L’intérêt du Cameroun
Le président camerounais, qui n’est pas le Machiavel que l’on dépeint, avait-il sous-estimé l’impact de ses déclarations à la chaîne de télévision française ? C’est probable. C’est donc animé par un sentiment d’urgence peu habituel chez lui et dans le cadre solennel de ses vux du 31 décembre qu’il décline son choix : l’article 6, qui limite à deux septennats les mandats présidentiels, sera réexaminé. Cette limitation, explique Biya, « s’accorde mal avec l’idée même de choix démocratique » car elle circonscrit « la volonté populaire » dans un cadre contraignant. Les Camerounais, qui ne retiennent de ce discours d’une demi-heure que ce paragraphe clé, comprennent aussitôt. Le chef de l’État s’ouvre une voie royale vers sa propre succession en 2011 et vitrifie par la même occasion les querelles de ses héritiers putatifs. Une décision qui, a posteriori, ne paraît guère surprenante. Depuis quatre ans et à l’initiative de barons du parti au pouvoir tels Grégoire Owona et Françoise Foning, un mouvement allant crescendo où les appels alternent avec les pétitions, et que l’intéressé n’a jamais découragé, réclame une révision de la Constitution afin que Paul Biya, 74 ans, au pouvoir depuis novembre 1982, puisse se représenter à la prochaine élection présidentielle. Or la Constitution de 1996 (qui fait suite à celles de 1960 et de 1972), élaborée dans un contexte de sortie de crise politique et fruit d’un compromis avec les partis de l’opposition, le lui interdit. Le pouvoir, qui n’était pas à l’époque en position de force, avait dû accepter cette limitation à quatorze ans au maximum de la durée d’exercice d’un chef de l’État, exigée par des opposants qui entendaient ainsi favoriser l’alternance et rendre obligatoire – en vertu d’une conception quelque peu élitiste de la démocratie – le renouvellement de l’offre politique. Une décennie plus tard, le contexte, le rapport de forces (dont une Constitution est forcément l’expression) et, précise Biya lui-même, le niveau démocratique du Cameroun ont changé. Limiter les mandats n’est plus nécessaire. Il convient d’« harmoniser » la Constitution « avec les avancées récentes de notre système ». Bref, faisons comme en France. « Il ne faut pas y voir un intérêt personnel, ajoute René Sadi, le secrétaire général du parti dominant, il faut y voir l’intérêt du Cameroun. »

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« Ultime provocation »
Une rhétorique qui n’a évidemment aucune chance de convaincre l’opposition et tous ceux pour qui il s’agit là d’une manuvre ourdie de longue date par le deus ex machina d’Etoudi afin de lui permettre de s’éterniser au faîte de l’Olympe. « Ultime provocation », écrit ainsi Le Messager de Douala, l’un des fleurons d’une presse libre et pugnace, « insulte à l’intelligence des Camerounais » Au vrai, les anti-Biya, qui n’ont jamais eu la réputation de donner dans la nuance, n’ont pas tout à fait tort, mais pas forcément pour les raisons qu’ils avancent. Si le président camerounais entend demeurer au pouvoir, il n’est pas pour autant un « drogué » du pouvoir, dont il a, à plusieurs reprises, donné des signes de lassitude – au point, parfois, de flirter avec la dépression – à ses intimes. Mais cet éternel inquiet, beaucoup plus angoissé qu’il n’en a l’air, est, à tort ou à raison, convaincu que sa présence au sommet est indispensable à la stabilité du Cameroun. N’a-t-il pas préservé la paix civile dans un environnement chaotique ? N’a-t-il pas, alors que le Cameroun fut, entre 1985 et 1995, le pays de la zone franc qui a connu la plus forte régression économique, avant de se redresser, évité que l’État ne s’effondre, implose et sombre dans la criminalisation généralisée ? Surtout, Paul Biya estime qu’engager le débat sur sa propre succession reviendrait à ouvrir une boîte de Pandore. Aucun, parmi les dauphins présumés dont la rue cite volontiers le nom, le plus souvent à leur corps défendant tant ils se gardent eux-mêmes de s’exposer à l’ire du « patron », ne se situe au-dessus des profonds clivages ethniques qui, un demi-siècle après l’indépendance, continuent de structurer la vie politique camerounaise. Un constat qui sonne aussi comme un aveu d’échec, y compris pour le président lui-même – pourquoi le Cameroun en est-il toujours à ce stade ? -, mais qui n’en est pas moins une réalité incontournable : même chez ceux qui souhaitent son départ, les lendemains sans Biya sont perçus comme lourds de menaces de toutes sortes. Quant au chef de l’État, sa philosophie sur le sujet semble se résumer en ces quelques mots attribués à un certain général de Gaulle lors de la présidentielle française de 1965 : « Moi ou le chaos. »
Certes, Paul Biya n’a pas explicitement dit qu’il serait candidat en 2011 – dans plus de trois ans. Mais en faisant modifier dès cette année par l’Assemblée nationale, où son parti bénéficie d’une écrasante majorité, l’article 2 de la Constitution, il conserve cette carte dans sa manche et met brusquement un terme aux grandes et petites manuvres de ses successeurs putatifs. Reste pour lui à accomplir l’essentiel : créer les conditions d’une acceptation, par les Camerounais, de cette nouvelle donne politiquement incorrecte au regard des standards actuels de « bonne gouvernance ». Emploi, niveau de vie, pouvoir d’achat, lutte contre la corruption, santé, éducation, investissements : au regard de ces chantiers-là, celui que requiert la révision du paragraphe 6 de l’article 2 n’est après tout qu’un point parmi d’autres.

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