Malik Nejmi

Il a commencé à faire des photos pour comprendre d’où il vient et où il va. Le jeune artiste franco-marocain joue désormais dans la cour des grands.

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

Petit bonhomme à l’allure décontractée, Malik Nejmi parle facilement de sa famille et de ses relations compliquées avec son père. Mais son apparente désinvolture cache mal une douleur rentrée. Depuis qu’il a publié le cliché du corps meurtri par la drogue de l’un de ses cousins, sa famille marocaine lui a tourné le dos. Il est l’impie qui a osé montrer ce qui devait rester caché. Lui qui, pourtant, avait réussi à ramener son père chez les siens, après dix ans d’absence
« Un jour, raconte-t-il, j’ai montré à mon père quelques-unes de mes photographies : la tombe de sa mère, le portrait de ses surs, à Rabat Il m’a simplement dit : J’ai compris. J’ai pris ça pour une preuve d’amour : ces images allaient le ramener au pays. » Il faudra pour cela attendre 2005. Une étape majeure dans sa carrière de photographe, mais aussi dans sa vie d’homme. Avec son fils nouveau-né, il accompagne son père jusqu’à Chichaoua, sur les traces de ses aïeux. Un pèlerinage dont il rentre bouleversé. « Tu es parti comme un voyageur, écrit-il à son père, et je suis revenu comme un fils d’immigré. »

Incapable d’« aimer un seul pays à la fois »
Né à Orléans en 1973 d’une mère berrichonne et d’un « père marocain à la peau noire qui a tourné le dos à ses origines », Malik Nejmi grandit sur les bords de la Loire, dans le quartier populaire de La Source. À force de contempler le monde depuis la fenêtre de son HLM, il prend, explique-t-il, l’habitude de regarder la vie à travers un cadre. Et c’est tout naturellement qu’il s’oriente vers la photographie, après un baccalauréat audiovisuel et des études au Conservatoire libre du cinéma français, à Paris. Un endroit « bourré de fils à papa ». Bohème, il préfère s’éloigner des cancans parisiens et rejoindre sa province natale.
En 1999, il s’envole pour le Bénin. Appareil photo en bandoulière, il découvre l’Afrique et le vaudou. « J’avais 25 ans et souhaitais marcher sur les traces de l’ethnologue Pierre Verger, décédé trois ans plus tôt, dont les clichés en noir et blanc m’ont profondément inspiré. Ce séjour fut une quête personnelle. Pour la première fois de ma vie d’adulte, je foulais le sol africain, le continent de mon père. »
Longtemps, Malik s’est cherché dans cette France qui digère mal son passé colonial, expulse les Africains par charters entiers et crée un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Double culture, double appartenance « J’ai deux mémoires, dit-il. L’une est à l’extérieur de ma peau, l’autre à l’intérieur. Mes deux identités, française et marocaine, luttent pour la reconnaissance d’une troisième : celle d’un enfant de l’immigration », d’un gosse toujours un peu stigmatisé, jamais vraiment considéré comme un Français à part entière.
Besoin de se trouver, de renouer avec ses origines Il s’embarque pour ce Maroc qui coule dans ses veines mais qu’il ne connaît pas, afin d’essayer de comprendre un père énigmatique qui tait ses souffrances et la dureté de son exil. Arrivé en France dans les années 1970, celui-ci a voulu à tout prix s’intégrer, réussir, fût-ce au prix du reniement des siens, de ces parents restés au bled ou installés en France mais continuant de vivre à la marocaine.
« L’immigration, explique son fils, ce n’est pas une histoire officielle aseptisée, comme à la Cité du même nom. Il faut dire à quel point ce sont des histoires faites de violence, surtout symbolique. » Partir n’est jamais un rêve, Malik le comprend en rencontrant de jeunes Marocains qui tentent de traverser clandestinement la Méditerranée.
Tanger, Rabat, Essaouira, Marrakech En 2001, 2004 et 2005, il parcourt ce Maroc entraperçu, enfant, lors de quelques rares vacances d’été avec ses parents et son frère cadet. Il en rapporte d’innombrables photos qu’il publie dans trois livres, Images d’un retour au pays, Ramadans et Bâ Oua Salam, regroupés sous un titre commun : El Maghreb. Le dernier opus met en scène son voyage avec son père. Il y avoue son incapacité à « aimer un seul pays à la fois ». Double culture, double appartenance
Une richesse, plus qu’un handicap, avec laquelle il n’est pas interdit de jouer. « Par les temps qui courent, avoir une gueule d’Arabe n’est pas forcément une mauvaise chose. Dans le milieu de la photo, ça fait bien d’exposer un Franco-Marocain. En 2005, à Bamako, lors des Rencontres africaines de la photographie, j’ai même été présenté comme un Marocain parce qu’il fallait à tout prix trouver des photographes originaires du continent. Dans ces cas-là, on a toujours plus ou moins l’impression de servir d’alibi. Le danger, c’est d’être catalogué en tant qu’arabe, fils d’immigré ou mec de banlieue. Après, on attend de toi toujours la même chose. » La discrimination positive a parfois des effets négatifs.?« Surtout si c’est pour être comme Rachida Dati ou Rama Yade, l’Arabe ou la Noire de service. Non, merci ! Il faut arrêter de se plaindre. On est en âge de se prendre en main, de faire de la politique. » Lors de la dernière élection présidentielle, il a voté pour Ségolène Royal, au premier comme au second tour.

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La photo comme engagement politique
Malik Nejmi vit la photographie comme un engagement politique. Son art n’est pas seulement esthétique et poétique. C’est ce qui séduit Raymond Depardon, commissaire des Rencontres internationales de la photographie d’Arles, en 2006, qui se reconnaît tant dans la démarche du fils Nejmi que dans le vécu du père : « Malik a photographié son village familial au Maroc et sa vie en France afin de renouer le fil et mieux comprendre qui il est. Avec l’uniformisation de la planète et les déplacements massifs de populations, ce type de travail va devenir un sujet majeur de la photographie. Moi aussi, comme le père de Malik, j’avais un peu honte de mes origines. J’ai fui la terre familiale. Et aujourd’hui, je sais que c’est d’elle que je tire ma force. Il faut savoir d’où l’on vient. »
Tout s’enchaîne très vite. Prix Kodak de la critique photographique en 2005, Malik expose l’année suivante à Arles, alors que naît son deuxième enfant, une fille. En 2007, pour la première fois, l’Académie des beaux arts de Paris admet en son sein un photographe, Lucien Clergue. Par la même occasion, elle crée un prix photo qu’elle attribue à Malik Nejmi pour son projet « L’Ombre de l’enfance », consacré au handicap en Afrique (Algérie, Mali, Madagascar, Kenya, Zambie). Commencé en 2006 dans une pouponnière de Bamako, son travail s’intéresse à ces enfants que l’on délaisse parce que nés différents. Pudique, il ne les photographie pas ou les efface de l’image afin de se concentrer sur l’univers qui se construit autour d’eux : peluches, jouets, matériel orthopédique Dérangeante, leur absence accentue leur différence. Leur abandon et leur détresse aussi. Et si Malik Nejmi continuait de la sorte à parler de lui ?

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