L’impasse

Kibaki a conservé son fauteuil présidentiel grâce, sans doute, à des fraudes massives. Mais l’opposition ne peut se permettre de souffler sur les braises sans risquer de raviver la violence. La médiation de Kofi Annan ne s’annonce pas comme une sinécure !

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 4 minutes.

Jeudi 10 janvier, 16 h 45, aéroport Jomo-Kenyatta à Nairobi. John Kufuor, le président de l’Union ?africaine, embarque à bord d’un avion de la Nigerian Air Force, quitte le pays et passe la main. Peu de temps après lui, l’Américaine Jendayi Frazer, secrétaire d’État adjointe aux Affaires africaines, regagne à son tour son pays sans avoir obtenu ne serait-ce qu’une rencontre entre Mwai Kibaki et Raila Odinga. Après deux jours d’allées et venues entre State House et l’hôtel Intercontinental, la première médiation entre le « gagnant » contesté de l’élection présidentielle kényane du 27 décembre et son opposant a échoué.
Le communiqué de presse de l’Union africaine ne laisse guère de place à l’équivoque : « Les parties sont convenues de travailler avec un groupe de personnalités africaines éminentes dirigé par Kofi Annan en vue d’un règlement de leurs divergences et de toutes les questions en suspens, y compris les réformes constitutionnelles et électorales. » L’ancien secrétaire général des Nations unies obtiendra-t-il un meilleur résultat ? Ce n’est pas gagné, au regard de la position très dure adoptée par Kibaki.
Après une semaine de violences consécutives à une réélection entachée de lourdes fraudes, le président sortant a bien montré qu’il entendait rester maître du jeu, envers et contre tout. Mardi 8 janvier, le jour de l’arrivée de Kufuor à Nairobi, avec la même célérité dont il avait fait preuve pour prêter serment, il s’est empressé de nommer un « gouvernement partiel » censé laisser la porte ouverte à l’opposition. Selon Jérôme Lafargue, chercheur à l’Institut français de recherches en Afrique, « la nomination du troisième candidat à la présidentielle, Kalonzo Musyoka, au poste de vice-président et l’attribution des principaux ministères limitent la possibilité d’intégration de membres du Mouvement démocratique orange [ODM] d’Odinga ».

« Une plaisanterie »
De fait, que reste-t-il après la nomination de seize ministres parmi lesquels, entre autres, ceux de la Sécurité intérieure, de la Défense, des Affaires étrangères, des Finances, de l’Éducation, de la Justice et du Service public ? Des miettes. Pour Odinga, une telle annonce est « une plaisanterie ». Pas question pour lui d’intégrer un gouvernement d’union nationale dans ces conditions. Aujourd’hui, un « faisceau d’informations concordantes » tend à prouver qu’il a bel et bien remporté l’élection présidentielle. La commission électorale reconnaît avoir subi d’intenses pressions politiques. Et certains observateurs vont jusqu’à affirmer que nombre de fraudes auraient été perpétrées avant même l’élection, dans les provinces les plus indécises. Dans le nord-est du pays, par exemple, le Party of National Unity (PNU), de Kibaki, aurait dépensé des sommes considérables pour acheter des voix.
Odinga n’a plus qu’une très étroite marge de manuvre. Il peut, bien sûr, jouer le rôle d’opposant numéro un, mais, pour conserver sa stature d’homme d’État, il doit impérativement s’abstenir de souffler sur les braises et de raviver des violences qui ont déjà fait près de 500 morts et 250 000 déplacés. D’autant que les forces de sécurité restent aux mains de Kibaki. Cela n’a pas empêché Odinga d’appeler à manifester, du 16 au 18 janvier, dans une trentaine de villes. Mais son meilleur atout reste sa victoire aux élections législatives.
Avec 99 sièges sur 210, son parti devance largement celui de Kibaki (43 sièges), sans détenir la majorité absolue. « Son souci va être de conserver cette assise parlementaire, explique Lafargue. Après l’ouverture de la 10e session parlementaire, le 15 janvier, il va y avoir de nombreuses tractations entre les différents partis. De jeunes députés vont être approchés – voire inquiétés – pour les inciter à faire défection et empêcher l’ODM d’obtenir la majorité. » De fait, les membres de ce parti ont reçu de leur direction des instructions très fermes pour les dissuader de passer dans le camp opposé. L’hypothèse que les députés puissent en venir aux mains dans l’enceinte même du Parlement n’est pas à exclure. Ce qui ne manquerait pas de relancer la violence dans le pays.
La vérité est que les affrontements opposent, plus que des groupes ethniques, ceux qui possèdent – des terres, surtout – et ceux qui n’ont rien, ou presque. « Il est grand temps que les leaders placent les intérêts du peuple avant les leurs, afin de préserver la paix » : le conseil est judicieux, mais il a de quoi faire sourire quand on sait qu’il émane de Daniel arap Moi, l’ancien président qui régna sans partage sur le pays de 1978 à 2002.

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Scénario cauchemar
Pour le Kenya, le scénario « cauchemar » serait que Kibaki, dans l’incapacité de gouverner avec un Parlement dominé par l’ODM, finisse par instaurer l’état d’urgence et gouverne par décret. À l’inverse, l’adoption d’un modèle politique de type français – dans lequel le Premier ministre gouverne et le président se réserve la politique étrangère – serait idéal pour sortir de l’impasse. Dans un contexte aussi tendu, l’hypothèse d’une nouvelle présidentielle est quasi exclue. Certains envisagent la possibilité d’un partage temporaire du pouvoir entre Kibaki et Odinga, le temps de mettre à plat certains problèmes, comme la redistribution des terres ou le favoritisme ethnique. D’autres souhaitent l’organisation d’une nouvelle élection, sur la base d’une nouvelle Constitution, mais « dans deux ou trois ans », ce qui permettrait à Kibaki de ne pas perdre la face. Beaucoup craignent une dérive comparable à celle qu’a connue la Côte d’Ivoire ces dernières années – ce qui aurait forcément de graves conséquences, notamment économiques, sur l’ensemble de l’Afrique de l’Est.
Au lendemain du départ de Kufuor, Nairobi, sous surveillance militaire, restait relativement calme, mais tendu. Comme si le pays retenait son souffle. Kofi Annan va devoir agir vite. Et bien.

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