Le coût de la crise

Les violences qui ont secoué le pays au lendemain des élections du 27 décembre devraient produire une véritable onde de choc économique en Afrique de l’Est. Et même bien au-delà.

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 3 minutes.

Les gnous et les zèbres du parc national de Masaï Mara ne verront pas grand monde ce mois-ci. Les premiers effets des violences consécutives aux élections du 27 décembre ne se sont pas fait attendre. Elles ont déjà entraîné l’annulation de 90 % des réservations d’hôtels et devraient provoquer 31 millions d’euros de pertes en janvier pour l’industrie touristique kényane, dont c’est la haute saison. Depuis le début du mois, seuls quelques vols charters vides ont atterri à Nairobi pour ramener des vacanciers qui rentrent chez eux, mais quasiment aucun nouveau touriste n’a été enregistré, alors que le pays en avait accueilli près de 100 000 en janvier 2007.
Outre le secteur hôtelier, les transports aériens et routiers sont particulièrement affectés, et la crise pourrait engendrer une perte de plus de 60 milliards de shillings (soit environ 1 milliard de dollars). Ce chiffre inclut l’impact des multiples perturbations dues aux émeutes, comme les pillages, les difficultés pour les salariés de se rendre au travail, ainsi que le manque à gagner lié à la perte de certains contrats ou aux destructions de récoltes. Les affrontements ont également provoqué la suspension des ventes aux enchères de thé, principal produit d’exportation. Les marchés financiers font grise mine, et l’indice NSE-20, qui intègre les principales valeurs de la Bourse de Nairobi, a chuté de 5 % lors de la première séance de cotation de l’année. Le patronat a pour sa part indiqué que le pays perdait plus de 30 millions de dollars de recettes fiscales par jour de crise. Sans compter le risque de dérapage inflationniste
Même si les prévisions de croissance pour 2007 restent à 7 %, le contrecoup en 2008 risque d’être rude. Pour le pays comme pour les opérateurs internationaux qui pourraient faire preuve d’une prudence accrue après avoir retrouvé confiance dans l’économie du pays. D’ailleurs, à l’instar de Standard & Poor’s, les agences de notation internationale ont d’ores et déjà revu à la baisse leur évaluation du risque-pays.
Un retour de bâton est donc prévisible, même si l’on en ignore encore l’ampleur. Car quand le Kenya éternue, c’est toute l’Afrique de l’Est qui s’enrhume. Véritable locomotive économique de la sous-région, Nairobi joue un rôle de leader au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est (East African Community, EAC). Relancée en 2001 par le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda, elle compte deux nouveaux adhérents depuis le 18 juin 2007 : le Burundi et le Rwanda. Mais si les activités de ces cinq pays sont de plus en plus imbriquées, l’hinterland kényan s’étend bien au-delà de l’EAC. Des zones très enclavées, comme l’est de la République démocratique du Congo (RD Congo), le Sud-Soudan ou la Somalie, dépendent du Kenya pour leurs approvisionnements.
Véritable porte d’entrée de l’Afrique de l’Est, le Kenya est un centre économique régional en forte expansion : le volume des échanges intrarégionaux passant par Mombasa a bondi de 15 % en 2007. Le pays assure un commerce de transit qui représente le quart du PIB de l’Ouganda et du Rwanda et le tiers de celui du Burundi. Ces échanges couvrent notamment de nombreux produits de base, à commencer par les hydrocarbures, dont la plupart des pays concernés sont importateurs nets.
L’essentiel de l’approvisionnement de Kampala, Kigali et Bujumbura, en provenance de Mombasa, dépend d’un pipeline débouchant à Eldoret, dans la vallée du Rift, et passant par la ville de Kisumu, localités où les affrontements furent particulièrement sanglants. En Ouganda, le prix du litre d’essence a quadruplé depuis la fin décembre et les compagnies aériennes ont suspendu leurs vols intérieurs, les réserves étant affectées en priorité au trafic international. Kigali a annoncé le rationnement des réserves de carburant, la distribution à la pompe ayant été limitée à dix litres par automobiliste. Mais les stocks constitués ont pour l’instant permis d’éviter le pire.
Même tension pour une partie de la RD Congo et du Burundi, et pour le Sud-Soudan. À Bujumbura, les opérateurs économiques, qui soulignent que le prix de certains produits importés a bondi de 30 % depuis début janvier, militent pour le développement du Corridor Sud. Il s’agit de privilégier la Tanzanie (via Kigoma) comme voie de contournement pour limiter les spéculations sur les marchandises. Un peu comme le Mali ou le Burkina ont réorienté leurs flux de marchandises vers les ports de Dakar (Sénégal), Lomé (Togo) ou Tema (Ghana) lors de la partition de la Côte d’Ivoire en septembre 2002. Comme Abidjan à l’époque, Mombasa pourrait bien y perdre de précieuses parts de marché.

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