[Tribune] L’épineuse question de la démobilisation en RDC
Les critiques de Leïla Zerrougui à l’égard de la réintégration de combattants issus des groupes armés est d’autant plus surprenante que sur ce sujet, le bilan de l’ONU, dont elle est la représentante en RDC, est plus que mitigé.
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Christoph Vogel
Membre du Groupe d’Experts sur la RDC en 2016 et 2017, Christoph Vogel travaille depuis 2008 en tant que chercheur sur les dynamiques de conflit en Afrique centrale.
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et Josaphat Musamba Bussy
Inscrit en spécialisation en Etudes de Développement à l’Université catholique de Louvain, il est un ancien employé congolais du Groupe d’experts des Nations Unies pour la RDC (2016-2017).
Publié le 20 septembre 2020 Lecture : 4 minutes.
Début septembre, la représentante spéciale de l’ONU en République démocratique du Congo (RDC), Leïla Zerrougui, s’est prononcée résolument contre toute amnistie et a critiqué la réintégration de miliciens dans les rangs de l’armée nationale. « Les gens qui commettent des crimes graves doivent répondre de leurs actes », a-t-elle déclaré, questionnant l’efficacité des programmes de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR), estimant que « le gouvernement congolais ne dispose d’aucun programme sérieux de DDR pour accompagner l’appel du chef de l’État lancé aux différents groupes armés. »
Cette prise de parole surprend, étant donné qu’aucun programme majeur de DDR n’est aujourd’hui opérationnel et que l’intégration au coup par coup est une réalité depuis la fin de l’incorporation massive de rebelles au sein de l’armée congolaise au tournant de l’année 2009.
Approche technocratique
La RDC a mis en œuvre plusieurs programmes DDR au cours des dernières décennies. Cherchant à briser le cercle vicieux « mobilisation, démobilisation et remobilisation », ces programmes ont été principalement menés dans le cadre de partenariats internationaux entre le gouvernement congolais, les bailleurs de fonds et d’autres partenaires. Cependant, en raison d’une approche technocratique, ces programmes ne prenait guère en compte les dimensions sociales de la mobilisation armée et les réalités quotidiennes des combattants.
La composante R du DDR – la réintégration – a donc été la plus négligée. En conséquence, le DDR a en partie contribué aux phénomènes du « retour circulaire » et participé du « recyclage de rebelles » autant que d’un phénomène de fragmentation des milices.
La mission de la paix de l’ONU, pourtant présente depuis plus de 20 ans en RDC, affiche un bilan mitigé
Il est primordial de parvenir à une compréhension plus approfondie des modes de vie individuels et collectifs des combattants. L’agencétié [la capacité, individuelle ou collective, à définir des buts et à agir de manière cohérente pour les atteindre, NDLR] des groupes de combattants dans l’est du Congo est façonnée par de multiples dynamiques sociales. Les combattants naviguent entre activités civiles et militaires qui se chevauchent et s’entrecroisent, et dans cet enchevêtrement, les programmes DDR imparfaits ne constituent que l’une des nombreuses options.
Bilan mitigé de l’ONU
À l’heure où les conflits congolais entrent dans leur troisième décennie, nous devons également approfondir nos connaissances sur la manière dont les combattants – au-delà de leur propre agencéité – se font recycler. Le manque de moyens de subsistance en dehors des groupes armés, un mélange d’intégration hâtive au sein de l’armée et de manipulation par la hiérarchie politique et les réseaux politiques, a conduit de nombreux combattants à se construire au fil du temps de véritables « carrière de rebelles ».
Dans ce contexte, la mission de maintien de la paix de l’ONU, pourtant présente depuis plus de 20 ans en RDC, affiche un bilan mitigé. Ces deux décennies auraient pourtant du permettre aux responsables onusiens de comprendre que l’imposition d’un monopole de la violence légitime n’est pas toujours l’objectif premier de l’État congolais.
Les dirigeants onusiens devraient participer à un débat plus large et ouvert, qui permette de dresser le bilan des échecs passés
De plus, tous les combattants des groupes armés ne sont pas des criminels. Certains ont reçu une formation sur les règles d’engagement pendant les conflits armés et le droit international humanitaire. L’ONU elle-même interagit régulièrement avec des groupes armés. Alors qu’elle les approche pour démobiliser les enfants soldats à une occasion, elle les rencontre le lendemain pour signer des actes d’engagement. Dans un cas récent, les Forces de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI) ont été érigées par l’ONU en exemple des bonnes pratiques en matière de reddition et d’intégration réussie, tandis que d’autres groupes armés observent avec scepticisme, tout en espérant que leur tour viendra.
« DDR new look »
Il n’est donc pas surprenant que la politique congolaise de démobilisation et réintégration des combattants soit « flexible » ou, si l’on adopte un point de vue plus cynique, incohérente. Il est nécessaire de mettre en place un « DDR new look »… Et le fait que ce terme soit le nom d’un bar de Goma met en évidence le mélange d’ironie et de frustration des Congolais.
Plutôt que de dire ce qu’ils ne soutiendront en rien, les dirigeants onusiens devraient participer à un débat plus large et ouvert, qui permette de dresser le bilan des échecs passés et de réfléchir à de nouvelles idées.
L’une d’entre elles est l’« intégration sélective », qui pourrait s’appuyer sur l’imposition de conditions à l’entrée dans le processus de DDR, sur le plan des droits humains ou encore de la volonté affichée de suivre une formation sérieuse. Des critères qui peuvent faire l’objet de procédure de vérification minutieuse. Une nouvelle approche de la démobilisation devrait en outre tenir compte des réalités et des aspirations quotidiennes des (ex-)combattants. Elle devrait également faire en sorte d’empêcher les élites de contourner les efforts de démobilisation, comme elles l’ont fait par le passé, et d’utiliser les combattants comme monnaie d’échange.
Alors qu’une opportunité s’était ouverte lorsque des milliers de miliciens se sont rendus début 2019 dans un acte de foi envers le président nouvellement élu Félix Tshisekedi, le positionnement actuel de l’ONU et d’autres acteurs internationaux – un refus catégorique de toute intégration couplé à l’absence d’un nouveau programme de DDR – ne résoudra pas le problème. Pire encore, au cours des deux dernières années, cela a conduit à la sous-traitance à des groupes armés de missions dévolues à l’armée.
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