Pétitions, censure, menaces : la polémique enfle autour du film « Mignonnes »
Le long-métrage de la franco-sénégalaise Maïmouna Doucouré qui dénonce l’hypersexualisation des petites filles est au centre d’une violente controverse. Ses détracteurs, qui se radicalisent, l’accusent de « pornographie » et d’« islamophobie ».
Sur change.org, une plateforme permettant de lancer des pétitions en ligne, plus de 733 000 personnes ont déjà signé. Leur objectif : retirer le film Mignonnes de Netflix, et poursuivre en justice la réalisatrice, l’équipe du film, les parents des actrices, ainsi que le géant du site de streaming pour avoir diffusé du contenu « inapproprié » impliquant des mineurs.
« Film pédo-pornographique », « dégueulasse », « encourageant la pédophilie »… les commentaires accompagnant la pétition sont particulièrement violents. Des comptes Facebook d’homonymes de la réalisatrice fleurissent d’insultes en anglais : « Prostituée ! (…) Tu vas allez en enfer ! » Plus grave encore, selon nos sources, la réalisatrice et ses jeunes actrices auraient subi des menaces personnelles depuis plusieurs semaines.
Hypersexualisation
En Turquie, le film jugé « islamophobe et pédophile » a été purement et simplement interdit de diffusion. En cause, des images et un sujet jugés tendancieux. L’histoire de Mignonnes est celle d’une fillette de 11 ans qui se lance dans le twerk pour intégrer un groupe de danse dans son collège.
Maïmouna Doucouré expliquait lors de l’avant-première de son long métrage, mi-août, vouloir « dénoncer à travers (son) œuvre l’hypersexualisation des petites filles. » Des spectateurs s’étaient déjà sentis gênés, car le film montre ce qu’il dénonce : des gamines dans des poses lascives. Mais aucun ne remettait en cause les intentions de la cinéaste, ou ne percevait une dimension érotique dans le film qui a reçu en janvier le prix de la meilleure réalisation au Festival de Sundance.
Alors qu’en France la sortie de Mignonnes n’a pas vraiment fait de vagues, une communication particulièrement maladroite de Netflix a mis le feu aux poudres sur les réseaux sociaux fin août. Pour présenter le film rebaptisé Cuties, la plateforme avait utilisé une image racoleuse et écrit un résumé évoquant une petite fille qui « décide d’explorer sa féminité en défiant les traditions familiales. »
Pro-Trump et afroféministes
La polémique est aujourd’hui récupérée politiquement Outre-Atlantique par les ultraconservateurs proches de Donald Trump… La manipulation est d’autant plus profitable que Netflix, qui diffuse les documentaires du couple Obama, est perçu comme pro-Démocrates.
Le sénateur texan Ted Cruz a même demandé au ministère de la Justice de déterminer « si Netflix, ses dirigeants ou les individus impliqués dans le tournage et la production de Mignonnes ont violé les lois fédérales contre la production et la distribution de pornographie infantile ».
De l’autre côté de l’échiquier politique, les afroféministes américaines se sont également scandalisées. « Qu’il s’agisse d’acteurs ou de musique, une image sexualisée est trop souvent le prix du succès grand public pour les femmes et les filles noires. Honteux. », s’indignait ainsi l’activiste Sister Outrider sur Twitter dans un post partagé près de 2000 fois.
Le monde du cinéma français en soutien
La radicalisation des « contres » a poussé l’industrie du cinéma français à venir à la rescousse de Maïmouna Doucouré. Les membres de l’ARP (Société civile des Auteurs Rélisateurs Producteurs), présidée par Claude Lelouch et Pierre Jolivet a déclaré que ce film était « emblématique de l’indispensable liberté d’expression dont le cinéma (…) a besoin pour aborder des sujets dérangeants, donc nécessaires à l’exercice de la démocratie. » L’association de promotion du cinéma français à l’international Unifrance, a également apporté son soutien.
Il est normal qu’un film suscite des réactions, un film est aussi là pour déranger
De son côté Olivier Zegna Rata, délégué Général du SPI, principal syndicat de la production audiovisuelle française, nous confiait sa sidération face à l’instrumentalisation du film, détourné de son propos, à des fins politiciennes. « Des interprétations extrêmes amènent à stigmatiser un film qui parle avant tout d’émancipation féminine, estime-t-il. Il y a bien sûr une responsabilité de Netflix, qui a volontairement modifié le propos de la réalisatrice à des fins marketing. Il ne faut pas que ce type de plateforme puisse procéder à des interventions éditoriales lourdes sans l’accord de l’équipe du film. »
Le responsable se dit aussi inquiet face à une forme de néo-maccarthysme américain qui cherche à faire peser une chape moraliste sur la création. « Il est normal qu’un film suscite des réactions, un film est aussi là pour déranger. »
Reste à savoir si les cinéphiles africains pourront aussi se faire un avis sur Mignonnes… « Aujourd’hui le planning des festivals est perturbé par le Covid : Durban a été décalé, Carthage sans compétition cette année, le FESPACO dans le flou sur la tenue de l’événement… note la spécialiste du cinéma d’Afrique Claire Diao. Mais si l’on se base sur le bon accueil de Rafiki sur un sujet aussi sensible, une histoire d’amour entre deux jeunes filles, on peut penser que les spectateurs africains pourront se faire leur propre avis. » À l’exception du Kenya, où il a été victime de censure, le film avait été diffusé dans de nombreux pays, de l’Afrique du Sud au Maroc.
Contactés par la rédaction, la réalisatrice et son producteur n’ont pas répondu à notre demande d’entretien.
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