La France a-t-elle brûlé les étapes ?

L’annulation du rallye Paris-Dakar pour des raisons de sécurité sur injonction du Quai d’Orsay provoque incompréhension et inquiétude à Nouakchott.

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

L’humiliation. La colère. L’incompréhension. Le regret. En Mauritanie, l’annulation du rallye Paris-Dakar ne passe pas. Les membres du gouvernement comme la société civile considèrent que la décision de la société organisatrice, Amaury Sport Organisation (ASO), prise sur injonction du gouvernement français, le 4 janvier, n’est pas fondée sur de réelles menaces. « Le choix de la sécurité », commente le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, le jour même. « Un geste théâtral », estime, de son côté, un membre d’un cabinet ministériel, à Nouakchott. Et même « inamical », selon un journaliste local. Motif de ce geste : le meurtre de quatre touristes français à Aleg, à 250 km au sud-est de la capitale, le 24 décembre. Puis l’attaque de la garnison de Ghallawiya, dans le Nord-Est, qui a coûté la vie à trois militaires mauritaniens, le 27. Enfin, un communiqué d’Al-Qaïda au Maghreb (AQM), le 29, fustigeant le régime de Nouakchott parce qu’il « assure aux mécréants un cadre favorable au rallye ». Voilà qui, officiellement, a suffi au Quai d’Orsay. Et qui ne suffit pas aux Mauritaniens.
Le manque à gagner économique n’explique qu’en partie leur ressentiment. Si ASO estime les retombées directes du rallye – 8 des 15 étapes étaient mauritaniennes – à 2 millions d’euros, le ministre du Tourisme, Ba Madine, reconnaît que « l’impact n’a jamais été vraiment mesurable ». Ce qui l’est, en revanche, ce sont les suspensions de voyages par certains tour-opérateurs, entraînant, en pleine saison touristique, une diminution de 30 % du nombre annuel de visiteurs dans l’Adrar (9 500 au total).
Mais c’est surtout parce que la décision française entame un peu plus la crédibilité de l’État que le ministère mauritanien des Affaires étrangères a fait part de son « regret ». Au lendemain de l’attaque d’Aleg, Étienne Lavigne, directeur du Dakar, se rend à Nouakchott avec l’un de ses collaborateurs pour évaluer les conditions de sécurité dans la perspective du rallye. Du 26 au 28 décembre, il rencontre tour à tour les chefs d’état-major et le directeur de cabinet du président de la République. Le gouvernement lui propose un plan de sécurisation : déploiement de 4 000 militaires supplémentaires (dont 2 000 en civil) aux entrées et aux points névralgiques de la course, mobilisation d’avions et d’hélicoptères de l’armée, ou mis à disposition par le Maroc, l’Algérie et l’Espagne. « Nous avions multiplié les moyens par dix et allions tout prendre en charge », précise le ministre du Tourisme. En quittant Nouakchott, Étienne Lavigne est « rassuré ».

Des contradictions fatales
Ce n’est pas le cas du gouvernement français. Certains signes ne lui auront pas échappé, pas plus qu’aux trois agents de la Direction de la surveillance du territoire (DST) dépêchés en Mauritanie, le 28 décembre. Pour identifier les meurtriers d’Aleg, la police mauritanienne a, faute de moyens, eu recours à trois experts marocains en empreintes digitales, qui ont séjourné dans le pays du 25 au 27 décembre. Si l’identité de deux des trois suspects a été établie, leur traque n’avait toujours pas permis de les localiser, encore moins de les arrêter, lorsque la décision d’annuler le Dakar a été prise. Des informations contradictoires ont circulé : quelques heures durant, le 27 décembre, le bruit courait à Nouakchott que les tueurs présumés avaient été interpellés dans le nord du Sénégal. Bien que deux d’entre eux aient déjà été condamnés pour appartenance au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), future AQM, le ministère de l’Intérieur n’a pas précisément établi la nature du crime. Crapuleux ? Terroriste ? Du point de vue français, la bonne volonté est certes là. Mais la confusion aussi.
Selon une source mauritanienne, la plupart des contacts entre Paris et Nouakchott sont passés par l’intermédiaire de l’ambassadeur de France. « On aurait dû montrer notre détermination et prendre les devants en envoyant des émissaires au Quai d’Orsay, soutient cette source. Une fois que les autorités ont vu qu’ASO était rassurée, elles se sont dit que c’était gagné. »
D’un pays à l’autre, la perception de la menace terroriste n’est pas la même. Des attaques d’Aleg et de Ghallawiya, AQM n’a revendiqué que la seconde, ce qui, du point de vue mauritanien, empêche de soutenir que, pour le moment, le meurtre des Français est un acte terroriste. La Mauritanie a connu « deux actes criminels séparés, comme il y en a chaque jour dans le monde », précise le communiqué du ministère des Affaires étrangères, réagissant à l’annulation du rallye. En coulisses, une voix qui préfère garder l’anonymat pour ne pas ternir les relations avec l’ami français juge que « le Quai d’Orsay a cédé à la facilité ».

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Une image ternie
D’après une source nouakchottoise, une trentaine d’individus évoluant dans la nébuleuse d’AQM – ils ont suivi des entraînements en Algérie – se trouveraient en Mauritanie. Ces derniers, arrêtés sous Maaouiya Ould Taya et son successeur, Ely Ould Mohamed Vall, sur des soupçons d’appartenance au GSPC, auraient, pour l’essentiel, bénéficié de la clémence de la justice lors des procès des islamistes, en juin et en juillet derniers, en vertu de l’esprit de concorde nationale qui a prévalu après l’élection de Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Mais il n’y aurait pas de réseau ou de cellules dans le pays. « Il faut tordre le cou à la théorie des cellules dormantes, considère Mathieu Guidère, auteur de Al-Qaïda à la conquête du Maghreb. [] En réalité, il s’agit d’une génération spontanée d’extrémistes qui passent à l’acte, à un moment donné, pour des raisons personnelles. » À la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) française, on observe, depuis le départ du colonel Ely Ould Mohamed Vall, un délitement des services de renseignements mauritaniens dédiés à la menace terroriste, et l’on n’exclut pas que ces derniers soient infiltrés par quelques éléments salafistes.
Reste que la carte postale de la Mauritanie – silence des dunes, pacifisme et tolérance des habitants – est passablement ternie. L’image du nouveau chef de l’État, premier président civil depuis la chute du père de l’indépendance, Moktar Ould Daddah, le 10 juillet 1978, aussi. « Depuis que nous avons la démocratie, nous n’avons plus ni la sécurité ni la stabilité », déplore un Nouakchottois.

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