Immobilier : la raison l’emportera

Après plusieurs années d’envolée des prix, et même de spéculation, les professionnels misent sur une correction du marché dans les prochains mois. Un retour au calme dont les premières victimes seront les petits promoteurs.

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

Casablanca, Rabat, Marrakech, Tanger Aucune des grandes villes marocaines n’échappe à l’augmentation des prix de l’immobilier. Difficile, voire impossible, d’acheter à moins de 2 000 euros le mètre carré dans les quartiers résidentiels ou les centres-ville. Du jamais vu ! « Cette tendance s’est initiée il y a une dizaine d’années déjà, explique William Simoncelli, directeur de l’agence Carré Immobilier Maroc. Mais on n’en voit le reflet que depuis trois ou quatre ans, lorsque les prix sont vraiment montés en flèche. » Le phénomène s’est amplifié ces trois derniers mois en raison de l’accélération de l’inflation. Les coûts des facteurs de production s’envolent : de la viabilisation du terrain à la main-d’uvre, en passant par les matériaux de construction. Mais c’est le foncier qui pèse le plus. « Le Maroc est l’un des rares pays où le terrain coûte plus cher que le bâti, ajoute William Simoncelli. Dans le centre-ville de Casablanca, un terrain vierge peut se négocier entre 3 000 et 4 000 euros le mètre carré. C’est colossal. »
La situation profite, bien sûr, aux secteurs de l’immobilier et du BTP, qui ont représenté 6,2 % du PIB en 2006. La valeur ajoutée de ces activités a grimpé de 46,2 % entre 2002 et 2006. Elles emploient 812 000 salariés, soit 8,2 % de la population active. Autres indicateurs : la consommation de ciment a augmenté de 52 % sur la période, tandis que les crédits bancaires ont connu une progression de 166 % !
Ce marché, plus d’achat que de location – les Marocains tenant le plus souvent à être propriétaires -, est dominé par quelques grands groupes marocains qui construisent aussi bien du social que du standing. C’est le cas des Addoha, Jamai, Chaabi Sans oublier le puissant holding public Al Omrane, quatorzième entreprise du pays avec un chiffre d’affaires de 473 millions de dollars en 2006. Mais il y a encore bon nombre de petits promoteurs occasionnels.

Spéculation sur les terrains
Pour ce qui est des agences, quelques franchises ont commencé à s’intéresser au royaume, comme Century 21 ou Laforêt Immobilier. Mais l’informel tient encore une place importante. Les « samsara » sont encore des acteurs incontournables. Attablés aux terrasses des cafés, ils jouent les intermédiaires entre les clients et les propriétaires moyennant une rétribution au noir.
Derrière la bonne santé qu’affiche cette branche d’activité se cachent diverses situations qui encouragent la spéculation. Les démarches administratives pour acquérir un terrain sont longues et fastidieuses pour les promoteurs. « Il faut régulièrement graisser la patte aux fonctionnaires pour accélérer l’obtention d’un droit de construire », reconnaît l’un d’eux. À Casablanca, les terrains sont encore plus rares. La ville n’a plus de schéma directeur depuis des années. « Le renouvellement des réserves foncières a été très mal géré par les autorités, explique Saïd Sekkat, secrétaire général de la Fédération nationale de la promotion immobilière. Il faut élargir la disponibilité du foncier pour soulager la pression sur les prix de l’immobilier. » Profitant de l’absence de mesures contraignantes, beaucoup de propriétaires préfèrent laisser leur terrain inoccupé pour en tirer une plus-value maximale. L’arrivée de grands groupes étrangers les conforte dans cette stratégie. D’autant qu’ils ne sont pas les seuls à entretenir la spéculation. Beaucoup de promoteurs augmentent au fur et à mesure les prix de leurs programmes immobiliers.

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Peu d’offres en milieu de gamme
« Le foncier est devenu tellement cher que les promoteurs ont deux possibilités quand ils achètent un terrain, analyse Karim Beqqali, directeur de l’antenne marocaine de CB Richard Ellis, numéro un mondial du conseil en immobilier. Soit ils font du social, pour profiter des avantages fiscaux, soit ils font du haut de gamme, où il y a les plus grosses marges. » Conséquence, le marché n’est plus adapté à la classe moyenne, malgré une demande croissante. Faute de trouver un logement à leur taille, certains ménages se sont rabattus sur le logement social. Ils sont alors prêts à payer plus que le tarif normal, parfois le double en seconde main
Ce glissement de la demande a un double effet pervers. Il limite l’accès des ménages à faibles revenus aux logements sociaux tout en contribuant à la hausse des prix. Et rend de plus en plus courantes les transactions officieuses, « au noir ». Présent dès l’achat du foncier par le promoteur, le phénomène se répercute jusque dans la vente du programme au client final. À tel point que certaines banques proposent des formules de crédit finançant jusqu’à 120 % de la valeur du bien immobilier. S’il s’agit officiellement de couvrir les frais de notaire, le supplément permet dans la réalité de s’acquitter des dessous-de-table.

Vers une professionnalisation des acteurs
Rareté du foncier, inadéquation entre l’offre et la demande, spéculation Faut-il voir les prémices d’une crise immobilière ? Un sentiment que renforce l’absence de critères fiables pour mesurer le poids des principaux acteurs. « Nous sommes dans une période où tout ce qui se fait se vend, temporise Karim Beqqali. La demande est largement supérieure à l’offre. » Celle-ci a été dopée par l’accès au financement ces dernières années. Les taux de crédits immobiliers ont considérablement baissé. Alors qu’ils étaient tout simplement inimaginables dans les années 1990, les prêts à 5 % se sont généralisés. Les crédits immobiliers ne cessent de pulvériser des records, atteignant 88 milliards de dirhams (7,8 milliards d’euros) au premier semestre 2007, contre 65 milliards sur la même période l’année précédente (+ 35 %).
La plupart des analystes financiers s’attendent cependant à une hausse des bons du Trésor sur lesquels sont indexés les crédits immobiliers. Cela dissuadera-t-il les futurs acquéreurs ? Pas forcément, selon William Simoncelli : « Il suffit d’allonger la durée du crédit pour pouvoir acheter. » D’autres indices permettent de mettre de côté, pour l’instant, l’hypothèse d’une crise immobilière au Maroc. La plupart des indicateurs économiques sont au vert. La croissance soutenue des investissements directs étrangers confirme la confiance des investisseurs et la croissance structurelle du secteur (+ 9 % en 2006). Selon le Haut-Commissariat au plan, 15,6 % des investissements directs étrangers réalisés au Maroc en 2006 ont concerné l’immobilier. Soit un flux d’investissement de 4 milliards de dirhams qui ne devrait pas se démentir à l’avenir.
Du côté de la Fédération nationale de la promotion immobilière, une correction du marché n’est pas exclue. « Si la hausse des prix n’est pas près de s’arrêter, en particulier à cause du déséquilibre entre l’offre et la demande, elle devrait tout de même se ralentir, prédit Saïd Sekkat. Le pouvoir d’achat étant ce qu’il est, les promoteurs qui ont exagéré leurs prix et qui n’arriveront plus à vendre devront changer de politique. »
Pour Karim Beqqali, de CB Richard Ellis, la correction sera d’un autre ordre. Si aujourd’hui les normes de qualité exigées dans le haut standing ne justifient pas à elles seules les prix pratiqués, il va y avoir un rattrapage de l’offre dans les années à venir. « Avec l’arrivée de grands groupes étrangers et de fonds d’investissement, on assiste à une professionnalisation du secteur. Les promoteurs occasionnels, qui vendent tout à n’importe quel prix, sont condamnés à disparaître. » Les futurs acquéreurs de programmes de standing devraient donc trouver dans les années à venir de meilleurs produits, répondant plus à leur attente. Néanmoins, sans la mise à disposition de terrains constructibles en quantité suffisante, l’inadéquation entre l’offre et la demande va se poursuivre. Au risque de faire repartir de plus belle l’envolée des prix. Et d’accentuer la paupérisation des ménages à cause de leur budget de logement.

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