Gamal, président en instance

Coopté par son père Hosni Moubarak au sein de la direction du parti au pouvoir, débarrassé de tous les obstacles à une future accession à la magistrature suprême, le fils cadet du chef de l’État est désormais bien installé dans son rôle de dauphin.

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 7 minutes.

Le Caire, décembre 2007. Comme en écho au film Le Chaos, dernier long-métrage du réalisateur Youssef Chahine, à l’affiche dans les cinémas du Caire et d’Alexandrie, la rue gronde partout dans le pays. « L’Égypte est sur un volcan », « Ne touchez pas aux subventions ! », titrent, respectivement, Al-Osboa et Al-Ahaly. Les grèves se sont multipliées en 2007 (580 selon les syndicats) pour protester contre l’érosion du pouvoir d’achat et empêcher le gouvernement d’augmenter les prix des produits de base subventionnés, notamment celui du pain. « Le gouvernement prend la chair des pauvres pour engraisser les riches », renchérit l’hebdomadaire Al-Dostour (opposition).
C’est alors que, tel Zorro, Gamal Moubarak, le fils cadet du président égyptien Hosni Moubarak, décide de descendre dans l’arène pour jouer les sauveurs : il réunit le Conseil politique suprême, la plus haute instance du Parti national démocratique (PND, au pouvoir), en présence du Premier ministre, Ahmed Nazif. Décision : la mobilisation de moyens financiers supplémentaires pour satisfaire les revendications et soutenir les prix des produits de première nécessité, dont celui du pain, garanti aux plus défavorisés par le biais de cartes de rationnement. Les spécialistes de marketing politique n’auraient pas trouvé mieux pour promouvoir l’image d’un président de la République potentiel – ce dont il s’est toujours défendu – qui se veut « proche du petit peuple ».
Le rôle joué par Gamal à cette occasion est inhabituel. Comme Seif el-Islam Kadhafi dans la Libye voisine, il n’a en effet aucune fonction au sein de l’État, mais il dispose de pouvoirs discrétionnaires, du moins en matière de politique intérieure. Membre de la direction du PND, dont il est le secrétaire général adjoint et le secrétaire de son comité politique, il en est théoriquement le numéro trois après son père, qui en assure la présidence, et Safwat al-Cherif, son secrétaire général. Or, à cette occasion, Gamal a agi comme un super-Premier ministre, voire comme un vice-président de la République.

Adoubé par washington
L’année 2008 verra-t-elle enfin le fils de Hosni accéder officiellement au statut de dauphin pour parer à toute éventualité ? Au Caire, des observateurs avertis le pensent. « Il est déjà président en attente », confie un diplomate européen. Après plus de vingt-six ans de règne, Moubarak, qui aura 80 ans début mai et dont le mandat s’achève en 2011, est décidé à désigner lui-même son successeur. Mais il lui faut auparavant lever les obstacles institutionnels et permettre à son fils cadet de prendre le contrôle du parti.
Gamal Moubarak voit le jour en 1963, au Caire. Sa mère, Suzanne, est née d’un père égyptien médecin et d’une mère galloise infirmière. Le choix de son prénom n’est pas fortuit : c’est celui de Nasser, alors président. Le petit Gamal fréquente une école primaire privée dans le quartier résidentiel de Misr al-Jadidah, au Caire, avant de poursuivre ses études secondaires au collège Saint-George. À 18 ans, il s’inscrit à l’Université américaine du Caire, où il obtient, en 1982, un diplôme d’administration des entreprises puis un MBA. Il commence sa carrière professionnelle au sein de la branche égyptienne de Bank of America, où il reste cinq ans, avant d’être transféré à la branche de Londres, où il se spécialise pendant plus de six ans dans l’investissement bancaire. Avec quelques collègues, il lance ensuite un fonds d’investissement et de consultation financière, Medinvest Associates Ltd, dont le siège est à Londres et dont il est encore président. Il sera plus tard membre du Conseil d’administration du groupe d’investissement EFG-Hermes, basé au Caire.
De retour en Égypte en 2000 à la demande de son père, contrarié par les ?mauvaises performances de son parti aux législatives et par la percée des islamistes, il est « happé » par la politique. Selon Hosni Moubarak, ce sont les dirigeants du PND qui lui ont proposé de coopter Gamal afin qu’il sauve le parti de la sclérose. Gamal est donc parachuté en qualité de secrétaire général adjoint et se crée un « bureau des politiques » pour restructurer le PND, le revigorer et lui donner une nouvelle vision qui portera sa marque. Rares sont ceux qui se demandent ce que fait un banquier aguerri dans les structures d’un ex-parti unique. « Je voulais me mettre au service de l’intérêt public », répond Gamal. Ce n’est que vers 2002 que l’on commence à parler de lui comme le favori à la succession. Moubarak ne manque d’ailleurs pas de vendre la mèche de temps à autre, comme en 2004, lorsqu’il déclare qu’il aimerait disposer de 40 ou 100 jeunes dirigeants aussi dynamiques que Gamal parmi lesquels il choisirait son successeur. C’est d’ailleurs à son fils qu’il confie la direction de sa campagne présidentielle de 2005.
En mai 2006, Gamal effectue un voyage aux États-Unis au prétexte de renouvellement de sa licence de pilote d’avion. Objectif réel : se faire adouber par la Maison Blanche, où il est reçu par le vice-président Dick Cheney, le conseiller à la sécurité nationale Stephen Hadley et la secrétaire d’État Condoleezza Rice. Il aura droit à un bref « hello » du président George W. Bush à travers une porte entrebâillée. Pour rallier Washington à son projet, Moubarak aurait confié à Bush qu’il était trop âgé pour s’adapter au changement et mettre en place les réformes démocratiques demandées par les Américains, mais que Gamal était, lui, bien placé pour le faire tout en empêchant le puissant mouvement des Frères musulmans (officiellement interdit tout en étant toléré) de parvenir au pouvoir.

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La voie est libre
En 2007, les derniers obstacles à une succession organisée sont levés. En mars, le Parlement approuve trente-quatre amendements à la Constitution, destinés pour la plupart à baliser le terrain pour le successeur favori. Les partis légalisés pourront présenter des candidats à l’élection présidentielle choisis au sein de leurs bureaux politiques. Un amendement interdisant aux Frères musulmans de se constituer en parti, ces derniers ne pourront pas présenter de candidat. Ainsi est écarté le principal rival potentiel de Gamal, les autres partis d’opposition ne constituant pas une menace sérieuse. Un autre amendement introduit dans la Constitution les pouvoirs exceptionnels conférés par la loi d’urgence en vigueur depuis 1981 qui sera remplacée par les dispositions de la loi sur le terrorisme, dont l’adoption est attendue en 2008. Enfin, les élections, y compris la présidentielle, ne seront plus contrôlées par les magistrats, qui avaient osé dénoncer les fraudes lors des scrutins précédents.
Reste que Gamal, membre du secrétariat du PND, ne fait pas encore partie du bureau politique et ne peut donc être désigné comme son candidat à la présidentielle. Quand bien même il y serait nommé, une ancienneté d’un an est requise pour tout candidat. Un obstacle levé au congrès du parti, qui s’est tenu du 3 au 5 novembre 2007. Le bureau politique et le secrétariat fusionnent pour constituer une nouvelle direction, le Conseil politique suprême, composée de quarante-quatre membres, dont Gamal et un bon nombre de ses amis. Fin décembre 2007, le président du Parlement, Fathi Sourour, pouvait enfin sortir de sa réserve, parlant ouvertement de Gamal comme président. À un journal cairote qui lui demandait s’il l’accepterait comme chef de l’État, il a répondu : « Oui, je l’accepte. Je l’accepte en sa qualité de compatriote, tant qu’il accède au pouvoir par la volonté du peuple et conformément aux mécanismes constitutionnels relatifs au choix du président. »
Auparavant, fin avril 2007, Gamal franchit une nouvelle étape pour peaufiner son profil de futur chef de l’État en se mariant, à Charm el-Cheikh, avec Khadiga al-Gamal, fille d’un grand entrepreneur de travaux publics. Il a 43 ans, elle 23. Elle est blonde, sportive, diplômée en management de l’université américaine du Caire, jadis fréquentée par Gamal. Lui aussi est sportif et amateur de football (il évolue au sein de l’équipe de football à cinq d’Al-Soukour). Il assiste régulièrement aux matchs avec son frère aîné Alaa. Il est populaire au sein des jeunes diplômés, à l’intention desquels il a créé la Future Generation Foundation, qui finance les stages de formation d’un grand nombre d’entre eux. Charismatique, excellent orateur, il séduit rapidement ses interlocuteurs. « Ses amis, raconte un journaliste cairote, l’avaient surnommé Jimmy pour son style de vie à l’américaine depuis l’époque de l’université. Désormais, ils parlent de Jimmy et Diga (pour Khadiga), vite devenus le couple le plus célèbre du pays. Rançon de la gloire : ils sont aussi l’objet de nukat (histoires drôles) croustillantes dont les Égyptiens raffolent. L’une d’elles, en vogue au sein de l’opposition : « Qu’il prenne pour femme Khadiga, et non l’Égypte. » Une autre décrit Gamal s’impatientant le jour du mariage car sa future moitié tarde à le rejoindre. C’est qu’elle était dans sa cuisine en train d’apprendre à faire la « basbousa », un dessert égyptien typique que Suzanne avait l’habitude de préparer à son fils.
En l’espace de cinq ans, Gamal s’est taillé une réputation d’homme moderne, réformiste et libéral, du moins dans le domaine économique. Les médias locaux couvrent abondamment les manifestations publiques auxquelles il participe et sa photo est souvent à la une des journaux, ce qui fait de lui un personnage familier pour la plupart des Égyptiens. C’est à lui que revient le mérite d’avoir convaincu son père de faire appel, il y a trois ans, à des amis, hommes d’affaires et cadres compétents comme le Premier ministre Ahmed Nazif, qui a réussi à accélérer les réformes. Résultat : l’économie enregistre, depuis trois ans, un taux de croissance moyen de 7 % et a attiré, en 2007, plus de 11 milliards de dollars d’investissements étrangers, en grande partie en provenance des pays du Golfe. Malheureusement, ces performances économiques exceptionnelles n’ont pas encore rejailli sur le niveau de vie des quelque 76 millions d’habitants, dont la moitié vivent en dessous du seuil de pauvreté. Et l’on compte près d’un million de nouveaux demandeurs d’emploi chaque année. Si inconnue il y a pour Gamal Moubarak et la succession, c’est bien celle-là.

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