Conté-Kouyaté : qui gagnera ?

Plus rien ne va entre le chef de l’État et le chef du gouvernement. Leur collaboration, jusque-là difficile, tourne désormais à l’épreuve de force, complique davantage la gestion du pays… et menace de conduire les deux hommes à la rupture. À moins qu’il

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

« Je n’ai pas démissionné. Je n’ai pas l’intention de démissionner. Et je ne démissionnerai pas. » Le 7 janvier, le Premier ministre, Lansana Kouyaté, a souhaité couper court à la rumeur qui le disait partant. Et qui avait suscité l’inquiétude dans le pays. Le bras de fer qui l’oppose au chef de l’État, Lansana Conté, suite au limogeage par ce dernier, le 3 janvier, du ministre de la Communication Justin Morel Junior, a mis le feu aux poudres. Les syndicats, fer de lance des soulèvements populaires de janvier et février 2007 à l’origine de la mise en place d’un « gouvernement de consensus », ont menacé de lancer une grève illimitée, invoquant le manquement par Conté au respect de ses engagements. Peu après l’appel des organisations syndicales, des clients désireux d’effectuer des retraits d’argent en prévision de la paralysie du pays ont pris les banques d’assaut. D’autres se sont bousculés dans les marchés afin de faire des réserves de vivres. Résultat : les prix ont flambé. Entre le 4 et le 8 janvier, celui du sac de riz de 50 kg est passé de 120 000 à 150 000 francs guinéens (de 19 à 24 euros).
À l’origine de la crise : une cohabitation à bout de souffle marquée par de nombreux clash entre le Premier ministre et le camp présidentiel. Dernier incident en date, la brouille, le 26 décembre, entre Kouyaté et Sam Mamady Soumah, secrétaire général de la présidence. Profitant de l’absence du chef du gouvernement alors en pèlerinage à La Mecque, ce dernier falsifie le « décret portant restructuration des cabinets ministériels » pour placer sous sa tutelle la Banque centrale et la coordination de l’activité gouvernementale. En Conseil des ministres, Kouyaté interpelle Soumah, l’accuse de « faux et falsification de pièces » Réponse de l’intéressé : « Il s’agit de coquilles qui se sont malencontreusement glissées dans le projet de décret. »

Cafouillages
Loin d’être fortuites, ces « coquilles » sont le dernier avatar de la lutte engagée pour le contrôle du pouvoir qui oppose la présidence à la primature. Le chef du gouvernement doit faire face, depuis sa prise de fonctions en février 2007, à un Conté qui multiplie les crocs-en-jambe (il a ainsi attendu plus de trois mois pour signer le décret de restructuration des cabinets ministériels proposé par Kouyaté). Mais le Premier ministre doit surtout batailler ferme contre l’entourage du chef de l’État, un ensemble hétéroclite composé de collaborateurs (au premier rang desquels Sam Mamady Soumah et Idrissa Thiam, directeur du protocole de la présidence), d’amis (le marabout Ibrahima Diaby, l’homme d’affaires Elhadj Mamadou Sylla), d’anciens ministres et de membres de la famille du « patron ».
Dépossédés du pouvoir, ces derniers n’ont jamais renoncé à l’idée de le reconquérir. Ni cessé de répéter au président : « L’unité des syndicats est rompue. Kouyaté ne fait plus l’unanimité. Vous pouvez démettre le gouvernement de consensus et former une nouvelle équipe sans coup férir. » Fin décembre, ils parviennent à convaincre Conté de remanier le gouvernement. Une liste de trente et un ministres est même dressée. Y figurent des grognards du chef de l’État (entre autres Fodé Bangoura, Alpha Ibrahima Keira, Fodé Moussa Sylla balayés par les manifestations de janvier et février 2007).
Reste à préparer l’opinion au remaniement. Sam Mamady Soumah s’en charge. À l’occasion du réveillon de la Saint Sylvestre, il se propose de rédiger les vux de Conté. Sous sa plume sort un texte au vitriol qui critique l’action de l’équipe Kouyaté, fustige son « inefficacité » et déplore la persistance des difficultés économiques. Finalement, le réquisitoire ne sera pas lu par Conté, mais se retrouve, dès le 1er janvier, sur des sites Internet. Kouyaté, dès le lendemain, convoque un conseil des ministres extraordinaire à l’issue duquel il rédige une déclaration pour dénoncer « le faux discours prêté au président » et épingle le désordre au palais. Un crime de lèse-majesté aux yeux de Conté, qui, fâché, signe le 3 janvier un décret pour nommer Issa Condé, jusqu’ici directeur de l’Agence de presse guinéenne, mais surtout homme de main de l’ex-tout puissant ministre des Affaires présidentielles, Fodé Bangoura, au poste de ministre de la Communication. Exit Justin Morel Junior, qui détenait ce portefeuille. Son tort ? Avoir lu, la veille, la déclaration du Premier ministre.
Celui-ci refuse de siéger dans la même équipe que le nouveau promu, décide de ne plus convoquer le conseil des ministres aussi longtemps que ce dernier sera maintenu à son poste, quitte discrètement sa maison de fonction, à Kaloum, le quartier administratif et des affaires de Conakry, pour rejoindre sa résidence privée à Matoto, à la périphérie de la capitale Et pour ne rien arranger à la crise, les deux protagonistes sont aussi conscients l’un que l’autre de leurs armes. Soutenu par l’armée, le président espère pouvoir compter sur une alliance objective avec les partis d’opposition. Lesquels veulent profiter du cafouillage au sommet de l’État pour faire d’une pierre deux coups : écarter Kouyaté, à qui ils prêtent des ambitions présidentielles ; mettre en place une transition à laquelle ils seront partie prenante. S’ils y arrivent, ils repousseront de facto la date des législatives, plusieurs fois reportées, sans que rien ne garantisse qu’ils s’entendent sur le délai et la direction d’une telle transition. Le chef de l’État est également convaincu que les clivages ethniques ont brisé l’unité d’action qui avait fait le succès des soulèvements du début de 2007.
En face, le Premier ministre compte sur les syndicats qui l’avaient imposé et s’emploient à le protéger. Mais aussi sur les chômeurs et autres laissés-pour-compte des faubourgs de Conakry, prêts à en découdre avec un chef d’État qui incarne à leurs yeux la source de tous leurs maux. Sans oublier les hommes qu’il a placés aux leviers de commande de l’État : ministres, préfets et sous-préfets. Le 8 janvier, c’est d’ailleurs le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Mamadou Beau Keïta, qui déploie des policiers pour empêcher des militaires dépêchés par la présidence d’arrêter les leaders syndicaux en conclave à la Bourse du travail. C’est également lui qui envoie des hommes pour sécuriser la Banque centrale, avec pour seule consigne : « Vous n’exécuterez que les instructions du gouverneur, Daouda Bangoura [nommé par Kouyaté, ndlr]. »

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Guerre d’usure
Ira-t-on jusqu’au point de rupture ? Les médiateurs redoublent d’ardeur pour éteindre le feu. Alors que les « institutions républicaines », les syndicats, la société civile et les partis politiques multiplient les rencontres, d’intenses tractations s’engagent en coulisses. Les présidents de l’Assemblée nationale, Aboubacar Somparé, de la Cour suprême, Lamine Sidimé, et du Conseil économique et social, Michel Kamano, transmettent à Kouyaté, le 5 janvier, un message de Conté : « Le président de la République estime que c’est lui, et non vous, qui a été élu. Et vous demande de vous soumettre à son autorité. »
Le 8 janvier, Kouyaté rencontre discrètement Conté. L’échange est vif entre les deux hommes. « Signez un décret pour me démettre au lieu de tenter de m’humilier », attaque le Premier ministre. « C’est moi le chef, réplique Conté. Si cela vous gêne, partez comme d’autres avant vous. » « Je suis parti longtemps. Le temps de partir est terminé. Je reste dans mon pays », reprend Kouyaté. Qui s’entend répliquer : « Faites brûler la Guinée avec vos syndicats. Je ne reviendrai pas sur ma décision : un ministre qui m’insulte doit quitter le gouvernement. » L’épreuve de force est là, qui déteindra sur la collaboration entre les deux hommes. Si, toutefois, tous deux restent en place

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