Christian Enock Lagnidé : « Le football doit rapporter de l’argent »

L’homme d’affaires béninois est devenu un acteur incontournable de l’audiovisuel africain grâce aux droits de retransmission de la Coupe d’Afrique des nations qu’il détient pour 44 pays. Il s’explique pour la première fois sur ses méthodes, souvent critiq

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Vous détenez les droits de la CAN pour l’Afrique subsaharienne. À la veille de la compétition, est-ce que tous les pays retransmettront l’événement ?
Christian Enock Lagnidé : C’est le cas pour la majorité des quarante-quatre pays d’Afrique subsaharienne pour lesquels nous détenons les droits de retransmission : les pays importants et les seize nations qualifiées. Nous avons aidé les petits pays, qui nous avaient alertés très tôt de leurs difficultés à trouver des annonceurs pour boucler leur budget. J’ai fait en sorte que tout le monde voit la CAN mais qu’en même temps notre modèle économique tienne la route.

Combien ont payé les télévisions pour la CAN 2008 ?
Avec elles, nous avons fixé trois catégories de prix dès 2006. Un droit d’entrée de 1 million d’euros pour les pays qualifiés, mis à part le Nigeria, qui paie entre 2 et 3 millions d’euros. 500 000 euros pour les autres. Et 300 000 euros pour les petits pays.

la suite après cette publicité

Pour quelles prestations ?
En échange, je leur garantis des images sécurisées grâce à un réseau de diffusion propre, Afnex. Ce prix comprend un package qui rassemble la retransmission d’une CAN et de deux Champion’s Leagues africaines. Je vends les droits aux télévisions pour les responsabiliser, pour que cela devienne leur business. Avant les matchs, pendant la mi-temps et après, les espaces publicitaires leur appartiennent. À elles de s’y prendre assez tôt pour démarcher les annonceurs. Et je suis bien placé pour vous dire que ceux-ci sont prêts à mettre beaucoup d’argent dans le football africain.

Mais les télévisions vous accusent de vendre les droits trop chers
Je suis désolé de le dire mais certains pays se réveillent à la dernière minute, ils veulent négocier et vous traitent de tous les noms ! Une CAN se prépare deux ans à l’avance. Depuis 2006, tous les pays ont reçu les contrats. Nous les avons relancés. Ils n’ont pas d’excuses. C’est de la négligence. Ils n’ont pas encore compris que le football est une industrie qui doit rapporter de l’argent. Tout n’est pas négatif. La Côte d’Ivoire, par exemple, a pris toutes les dispositions et a sans doute déjà amorti son investissement.

Elle est aussi portée par une équipe favorite
Oui, mais ce qui l’a aidée c’est de s’y être pris à l’avance, d’avoir planifié ses dépenses et démarché les annonceurs car ces derniers ne votent pas du jour au lendemain 100 millions de F CFA [150 000 euros, NDLR] de budget.

Toutefois, certains pays qualifiés paient moins de 1 million d’euros. Pourquoi ?
Pour la CAN 2008, il ne sont que trois : la Guinée, le Mali et la Côte d’Ivoire, parce qu’ils ont respecté le calendrier de paiement que nous avions tous approuvé en 2006. Cela représente des réductions allant jusqu’à 40 % pour la compétition 2008 et une pénalité de 22 % pour les pays qui ne respectaient pas leurs engagements. Les quarante-quatre pays pourraient aussi se réunir pour se répartir les droits de manière plus équitable. Mais ils en sont incapables.

la suite après cette publicité

Combien avez-vous acquis ces droits en 2003 ?
Je n’ai pas le droit de le divulguer. Je suis lié par une clause de confidentialité.

Certains parlent de 8 à 10 millions d’euros
Chacun dit ce qu’il veut. Moi j’ai fait un bilan après la CAN 2004. Il y a eu 19 millions d’euros de dépenses entre les droits et les frais techniques pour moins de 11 millions de recettes. Si j’avais juste acheté les droits pour les revendre, j’aurais gagné de l’argent dès 2004. Mais j’ai raisonné sur le long terme. Et j’ai fait le choix de ne pas en parler jusqu’à aujourd’hui. Maintenant, je veux rétablir des vérités sur les moyens dont bénéficient les pays. Dans certains d’entre eux, qui n’ont acquitté que 100 000 euros de droits en 2004, nous avons dépensé 500 000 euros parce que leur réseau de diffusion était limité. J’ai investi dans des moyens techniques de réception et d’émission (fibre optique, connexion à Intelsat). Si bien qu’une TV d’Abidjan ou de Lomé peut m’envoyer des images que je peux redistribuer à toutes les autres chaînes dans les deux minutes.

la suite après cette publicité

En somme, vous utilisez le football pour développer votre entreprise
Fédérer toutes les chaînes est mon objectif depuis 2003 et c’est pour cela que j’ai créé le réseau Afnex (Africain Network and News Exchange). Si j’ai tout fait pour récupérer les droits de la CAN, c’est parce que c’était un bon moyen pour tenter de fédérer tout le monde. Ce qui explique que l’investissement dans les infrastructures était largement au-dessus des gains espérés des droits de la CAN.

De quel montant et pour quelle ambition ?
Nous avons mis en place une infrastructure qui a coûté 14 millions d’euros. Elle manquait à l’Afrique. Elle nous permet d’envoyer de n’importe quel endroit du monde des images sécurisées pour les rediffuser directement à toutes les chaînes africaines affiliées au réseau Afnex. Il est également possible d’amener gratuitement des images à un Africain, où qu’il se trouve sur la planète, grâce à Internet ou au bouquet Canal Horizon. Avec une antenne et un émetteur à moins de 100 euros, un village africain d’une zone rurale reculée peut regarder la CAN 2008 gratuitement. Par Internet, les petites radios locales pourront diffuser les matchs sans le moindre coût.

Vos droits arrivent à échéance cette année. Êtes-vous candidat pour ceux des quatre prochaines éditions de la CAN ?
J’ai un droit de première négociation mais je n’en suis pas encore là. Vu la surenchère, je ne ferai aucune folie. La Confédération africaine de football aurait négocié les droits des quatre prochaines CAN pour 300 millions d’euros

Mais n’est-ce pas indispensable pour rentabiliser vos installations ?
Quel que soit le futur détenteur des droits, l’Afrique dispose aujourd’hui d’une chance extraordinaire. Les éliminatoires de la CAN 2010 et de la Coupe du monde seront jumelées. C’est le moment ou jamais pour que l’audiovisuel africain passe à la vitesse supérieure et que les pays prennent leurs responsabilités. Entre 2008 et 2010, je vais donc me concentrer sur les moyens de production à mettre en uvre pour que chaque pays d’Afrique dispose des images. Dans un second temps, entre 2011 et 2015, les fédérations de football de tous les pays devront trouver les moyens pour financer le football africain en développant les paris, les concours de pronostics ou les loteries sur les différentes compétitions.

Combien coûte ce projet et où vous ménera-t-il ?
Il faut 52 millions d’euros entre 2008 et 2016. J’ai déjà réalisé la première tranche d’investissement pour 8 millions d’euros. Mon métier, c’est de transporter des images pour d’autres. La Coupe d’Afrique a été un tremplin et m’a permis d’occuper le terrain. Que j’ai ou non les droits des futures CAN, il fallait faire ce travail. J’ai des bureaux à New York et à Washington. Je diffuse tout depuis Paris. Demain, mes installations serviront à la télémédecine, à l’enseignement à distance. J’ai la capacité de faire une vraie chaîne panafricaine visible depuis le monde entier. La télévision et la radio sont des moyens extraordinaires pour développer l’Afrique.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires