Chirac, Bush et les castors

Directeur de cabinet de Dominique de Villepin, l’ancien Premier ministre français, de 2005 à 2007, le député UMP Bruno Le Maire vient de publier chez Grasset Des hommes d’État, un savoureux recueil des carnets intimes qu’il a tenus au jour le jour au cour

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 3 minutes.

Dimanche 10 juillet 2005, Élysée. Jacques Chirac raconte à Villepin, en présence de Le Maire, le sommet du G8 qui vient de se tenir à Gleneagles, en Écosse. « Bush est de plus en plus grossier. Il a toutes les cinq minutes un petit rire, on dirait que rien ne l’intéresse, qu’il n’écoute pas. Moi, je n’ai pas à me plaindre, il a été très correct avec moi. Très aimable même, je dirais. Mais avec Bouteflika, par exemple, il est parti au milieu du discours, il s’est levé et il est parti. Je crois que Bouteflika n’en est toujours pas revenu. Il suspend sa phrase, laisse la bouche à demi ouverte, élargit encore un tout petit peu son sourire, son visage s’est adouci : Et je ne vous parle pas des Africains ! Eux, ils tournent autour de lui comme des mouches ! J’ai dit à Wade : Arrête de tourner autour de Bush, tu vas avoir le tournis ! Bush, il s’en moque. Dans le fond, je crois que tout cela l’ennuie. Tout cela ne l’intéresse pas. »

Jeudi 28 juillet 2005, Matignon. « Des tireurs d’élite sont postés sur le toit du 56, rue de Varenne, en face de la cour d’honneur de Matignon. Une première Peugeot 607 franchit le porche, un drapeau israélien à l’avant. Personne ne descend, elle est vide. Une deuxième entre à vive allure et pile devant le perron, au pied du tapis rouge. Ariel Sharon s’extirpe difficilement de la voiture. Un homme petit, trapu, les cheveux fins, très blancs, presque soyeux, des rides peu nombreuses mais profondes qui donnent du caractère à son visage, les yeux vifs. []
Ariel Sharon balance son corps d’avant en arrière, souffle, s’arrête, reprend sa marche en souriant à travers le vestibule encombré d’officiers de sécurité et d’agents du Mossad. Nous dînons dans le salon jaune. La climatisation tourne à plein, sans parvenir à dissiper la touffeur extérieure. À peine installé, Sharon se relève pour prononcer un toast. Il parle en hébreu, il remercie la France, il salue l’amitié franco-israélienne, une interprète se tient à côté de lui, accompagnant chaque morceau de traduction de gestes dramatiques, le visage déformé par un rictus, le bras levé, la main en avant. []
Une rigole de sueur coule sur le front de Sharon, suit les rides creusées le long de ses tempes, il l’écrase du plat de la main sur sa joue. Il se tait, il reprend son souffle. On n’entend plus que le claquement lourd et régulier des pales de l’hélicoptère en stationnement au-dessus de Matignon. Il reprend : Nous sommes sur la terre promise. Nous la défendrons. Je le dis, moi qui peux reconnaître à un kilomètre un bruit de roquette. [] Je suis juif. Nous sommes sur cette terre depuis quatre mille ans. Personne ne nous la fera quitter. Personne n’en a le droit. Il s’assied en soufflant encore plus fort qu’à son arrivée, le visage ruisselant. [] Sharon attaque son filet de daurade, il n’en perd pas un morceau, il mange avec application, il ramasse les miettes de poisson en faisant tinter son couteau contre la porcelaine de Sèvres. Il a coincé sa serviette dans le col de sa chemise trempée de sueur, il se penche, il prend son verre, avale une gorgée de vin. Lorsque Dominique de Villepin aborde la question du dialogue israélo-palestinien, il l’interrompt : Moi, ce que je voudrais, c’est qu’on reconnaisse la légitimité des droits des juifs. Moussa me dit que les juifs n’ont pas habité plus de quarante ans en Israël. Le secrétaire général de la Ligue arabe ! Il dit cela sérieusement ! Comment voulez-vous discuter ? »

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Mercredi 22 juin 2005, Élysée. Dominique de Villepin soumet à Jacques Chirac le projet de budget de l’audiovisuel. Le président tique sur les crédits de TV5. « Tant que ça ? TV5, je n’ai jamais rien vu de plus chiant. Moi qui passe beaucoup de temps dans les hôtels, je tombe toujours sur TV5, je peux vous dire, c’est chiant. La semaine dernière, j’étais à Bruxelles. Je pensais que TV5 parlerait du sommet européen, pas du tout ! Rien ! Je tombe sur un programme sur les castors au Canada. Et encore je n’ai rien compris parce que le présentateur parlait avec un accent canadien effroyable ! »

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