[Analyse] De l’optimisme éclairé des patrons africains malgré la crise du coronavirus
Pessimisme dans l’immédiat mais confiance dans l’avenir du continent à long terme : c’est la conclusion de la deuxième édition du baromètre sur l’état d’esprit des chefs d’entreprises africains publié par l’Africa CEO Forum en partenariat avec le cabinet de conseil Deloitte.
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Estelle Maussion
Journaliste économie à Jeune Afrique
Publié le 22 septembre 2020 Lecture : 3 minutes.
Comment vont les chefs d’entreprises du continent ? À cette question délicate, la deuxième édition du baromètre des CEO africains, publiée le 22 septembre, apporte une réponse intéressante. Réalisée par l’Africa CEO Forum*, en partenariat avec le cabinet de conseil Deloitte, cette étude exclusive a été menée en deux temps pour prendre en compte le contexte si particulier créé par la pandémie de coronavirus. Un premier sondage a été réalisé entre fin 2019 et début 2020 auprès de 150 patrons à la tête d’entreprises à la taille, au secteur d’activité et à l’empreinte géographique variés** sur la situation en 2019 et les perspectives pour les années suivantes. Puis, en mai 2020, un nouveau questionnaire leur a été soumis afin de tirer les premiers enseignements de la crise en cours.
Sans surprise, à court terme, c’est le pessimisme qui domine. Et pour cause, la quasi-totalité des entreprises sondées (95 %) affirment avoir vu leur chiffre d’affaires baisser en 2020 en raison de l’impact du Covid-19. La chute de moral est particulièrement importante au sein des secteurs qui étaient les plus enthousiastes avant la crise, la grande distribution, les services financiers et l’énergie, avec la suspension – voire l’annulation – d’un certain nombre de projets.
À ce quotidien difficile s’ajoute la persistance de problèmes de fond. Si la crise a globalement accéléré la coopération entre acteurs privés et publics, 93 % des entrepreneurs interrogés estiment que leurs recommandations ne sont pas assez prises en compte par la puissance publique. De même, si tous soulignent la nécessité d’une plus grande intégration, plébiscitant la zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), rares sont ceux qui croient à sa mise en œuvre rapide alors que l’écart ne cesse de se creuser entre pays moteurs et d’autres en grandes difficultés.
Confiance en l’avenir
Malgré cette vision sombre pour les prochains mois, les chefs d’entreprises demeurent – et c’est la principale leçon – plus que jamais confiants en l’avenir. Ainsi, 80 % d’entre eux se déclarent optimistes quant à la situation économique de l’Afrique à long terme, contre 73 % l’an passé. Et, 60 % tablent sur une reprise rapide (entre le premier trimestre 2021 et le courant de l’année prochaine) soulignant la résilience du continent. Ce ressenti empirique s’appuie sur des facteurs tangibles : le fait d’avoir réussi à maintenir l’activité tout en protégeant la santé des salariés ; les progrès de la digitalisation – qui sera une composante essentielle de la stratégie sur l’année à venir selon 81 % des sondés ; le coup de fouet à l’innovation né de la période ; une gestion des risques plus fine.
Il semble que la crise ait confirmé l’émergence d’un business model africain que l’on a trop longtemps pensé insaisissable ou inexistant. Il s’agit un entrepreneuriat proactif, pragmatique, habitué à prendre des coups et à se relever, s’appuyant sur une forte dimension culturelle (et/ou familiale) et sur sa proximité avec la communauté locale. À grands traits, c’est un capitalisme à visage humain – qui se pratiquait sur le continent avant même la popularisation de l’expression, ironiseront certains.
C’est aussi un capitalisme qui pense de plus en plus son développement grâce au private equity : 18 % des sondés l’envisagent désormais, contre moitié moins l’an passé, quand l’attrait du crédit bancaire reste stable (24 %) et celui des fonds propres chute logiquement (à 40 % contre 53 % en 2019).
Place des femmes et gouvernance : à améliorer
S’il sort revigoré de cette épreuve, le capitalisme africain a encore des défis de taille à relever. Comme souvent, quelques chiffres sont plus parlants qu’un long discours. Certes, 73 % des patrons interrogés sont convaincus que la crise du coronavirus va encourager les démarches RSE, des actions générant à la fois surplus de revenus et bien-être social. Mais, dans les faits, la mise en œuvre est souvent lente ou encore trop limitée.
Autre question épineuse : la place des femmes dans les entreprises, en recul entre 2019 et 2020, preuve de la difficulté à identifier, diffuser et appliquer des bonnes pratiques en la matière. Le dernier sujet qui fâche concerne la gouvernance. Si 66 % des entreprises sondées comptent au moins un membre indépendant au sein de leur conseil d’administration, gage d’impartialité de la prise de décision et d’apport d’expertise, 34 % n’en disposent encore d’aucun. Autant de raisons de cet optimisme éclairé.
*Fondé en 2012, The Africa CEO Forum fait partie de Jeune Afrique Media Group.
** couplé à des interviews individuelles.
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