Abossolo en quête de lumière

Présent dans les plus grands films du continent et à la télévision française, l’artiste camerounais est peu connu du grand public. Le lot de tout acteur africain ?

Publié le 14 janvier 2008 Lecture : 4 minutes.

« Les réalisateurs africains ont écrasé leurs acteurs, tirant la couverture à eux, les empêchant de devenir des stars en prenant la parole à leur place Le cinéma africain est un anthropophage d’acteurs ! » Ce constat sans concession est paradoxalement établi par un réalisateur : le Sénégalais Moussa Sène Absa. Et explique en partie pourquoi les stars du septième art africain, à l’exception de Nollywood (le cinéma nigérian en plein boom), sont rarement les acteurs. Il existe pourtant des comédiens de talent comme le Camerounais Émile Abossolo Mbo. Avec son crâne rasé, son regard magnétique, sa morphologie sculpturale, cet ancien élève du Conservatoire national d’art dramatique de Paris est de ceux qui résistent à la tyrannie des réalisateurs.

Peu de rôles pour les Noirs
2007 aura été pour lui une année faste. Il est présent dans le casting des meilleurs films africains, comme Ezra (Étalon d’or 2007 du Fespaco, le festival de Ouagadougou) du Nigérian Newton Aduaka, Les Saignantes (Étalon d’argent 2007) du Camerounais Jean-Pierre Bekolo, Juju Factory (Award du meilleur film au Festival d’Innsbruck, en Autriche) du Congolais Balufu Bakupa-Kanyinda, ou encore Africa paradis du Béninois Sylvestre Amoussou. À chaque fois, les rôles qui lui sont proposés sont ceux de personnages méchants, violents, avides de pouvoir, puissants.
Comme ses aînés Sotigui Kouyaté ou Douta Seck, Abossolo tourne également dans des productions internationales avec des réalisateurs non-africains. Coline Serreau dans Romuald et Juliette, (1988), Jim Jarmush dans Night on Earth en 1991, ou encore Herman Van Eyken dans L’Amour en suspens.
Même la télévision française, qui propose peu de rôles aux Noirs, lui a ouvert ses portes. Sur France 3, il joue dans la série Plus belle la vie. En octobre dernier, il interprétait le président congolais Denis Sassou Nguesso dans le téléfilm Les Prédateurs, produit par Canal Plus, une fiction tirée de l’affaire Elf (voir J.A. n° 2440).
Émile Abossolo, qui a entamé sa vie de comédien sur les planches du Théâtre universitaire de Yaoundé, a véritablement conquis sa place en France grâce à l’art dramatique. Ses références théâtrales sont nombreuses. Il s’est fait remarquer en 1996, lors du cinquantième anniversaire du Festival d’Avignon lorsqu’il incarnait Christophe dans La Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire, montée par Étienne Nichet. Interprétation magistrale et puissante pour ouvrir le Festival, sur la scène mythique du Palais des papes. En 2000, il joue La Tragédie d’Hamlet de Shakespeare, mise en scène par le Britannique Peter Brook. Ses prestations convainquent la critique.

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Plus belle la vie
Pourtant, comme le dit si bien Newton Aduaka, « pour un Noir, c’est lorsque l’on pense avoir réussi, après mille et une batailles, que le combat devient encore plus dur et l’adversité plus forte ». Émile Abossolo sait bien qu’au fond il n’est toujours qu’à la périphérie du système. « En France, les acteurs noirs n’ont que des seconds rôles ou des rôles mineurs au cinéma. Quant aux cinéastes africains, ils n’écrivent pas de films ou de rôles pour les acteurs ; ce qui compte avant tout pour eux c’est leur discours, leur message, affirme-t-il. On a l’impression qu’ils se méfient des acteurs, qu’ils veulent être les seules stars. En 2007, j’ai joué dans plusieurs des films primés à Ouagadougou. Je n’étais même pas invité au festival. Il y a quelque chose d’anormal dans ce système. »
Pour le comédien camerounais, qui tourne beaucoup plus que la plupart des autres acteurs africains, les contrats n’offrent encore trop souvent que de petits cachets. Beaucoup de rôles proposés restent caricaturaux, et les matins incertains succèdent à l’euphorie des grands soirs. C’est un contexte dans lequel la pingrerie ou la misère des réalisateurs africains, eux-mêmes pris à la gorge par les contraintes de la production de films à petit budget et à la diffusion incertaine, n’offre que peu de perspectives. Il n’empêche, Émile Abossolo poursuit inlassablement son chemin.
Il écrit des textes, des scénarios, des paroles et des musiques, mieux encore des sketches. Et il chante, clame, joue avec délectation. Lui qui s’est fait connaître au Cameroun au début des années 1980 en écrivant et en interprétant des sketches au sein du Trio XYZ a renoué avec l’humour : il a créé, fin 2007, un grand one-man show, intitulé Champ de sons. Deux heures de spectacle tonique, désopilant et inspiré, dans une langue fraîche, avec une diction qui emprunte tantôt au slam, à la gouaille de Coluche, tantôt à la poésie et au jeu de mots de Raymond Devos. Et qui raconte, égratigne, ridiculise le Nègre, les leaders et les bourgeois africains, l’Occident complice, les Blancs arrogants, sûrs et dominateurs En attendant toujours plus de rôles et de films, Abossolo tourne la saison 4 de Plus belle la vie, diffusée également sur TV5 Monde.

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