Magyd Cherfi, éternel indigène
Après « Ma part de Gaulois », Magyd Cherfi poursuit son récit autobiographique avec « La Part du Sarrasin ». Le parolier du groupe Zebda dépeint avec brio son écartèlement identitaire dans la France des années 1980.
Paru il y a quatre ans, Ma part de gaulois, le premier long récit que Magyd Cherfi osait écrire à la première personne, avait donné la fièvre aux libraires : près de 90 000 exemplaires s’étaient écoulés au total. L’ouvrage mêlant (beaucoup d’)autobiographie et (un peu de) fiction racontait son année du baccalauréat, une formalité pour les Blancs, mais pas pour lui, le « petit Beur de la rue Raphaël », dans les quartiers nord de Toulouse.
Le bouquin était gouailleur, plein d’énergie, et lucide sur l’impossible intégration à la française. Son succès avait été un peu terni par une plainte pour diffamation, certains anciens camarades du quartier ne trouvant pas les portraits acides à leur avantage. Mais les poursuites avaient finalement été abandonnées.
L’avant-Zebda
Le parolier du groupe Zebda, qui avait d’abord songé enchaîner avec une histoire d’amour, a finalement écrit la suite de son premier récit. On retrouve donc dans La Part du Sarrasin « le Madge », son alter ego de papier, quelques années après le bac, plus mûr et toujours vierge. Il est entouré par une bande de potes et par ses musiciens qui l’aident à prendre d’assaut les petites scènes où les roulements de caisse claire annoncent des apocalypses rock.
Vous êtes français sans l’être, arabes sans jamais l’avoir été
C’est l’avant-Zebda pour Cherfi. La France des années 1980 qui assiste, sans trop s’alarmer semble-t-il, à la montée inexorable du Front national de Le Pen (père). Tiraillé de toutes parts, le personnage principal se cherche plus que jamais. C’est un « rebeu de cité », qui se forge une identité en écoutant Léo Ferré, en lisant Zola, et en regardant des films d’auteur. Un Berbère rock qui se méfie des outrances du rap. Un « Maghrébo-apostat » qui ne prie pas, mais ne mange pas de porc non plus.
Quête identitaire
L’un de ses amis résume bien la complexité du cas Cherfi et de beaucoup de jeunes Français d’origine maghrébine dans une formule laconique : « Vous êtes français sans l’être, arabes sans jamais l’avoir été, et maintenant musulmans mais sans croire. »
Un Français ? Il ne peut se sentir totalement français, malgré une foi intangible dans l’idéal républicain. « Un Français, c’est grand, blanc, beau, ça lit Rimbaud, Balzac ou Montherlant, ça cherche à casser les codes, à bousiller les a priori, à couper la tête d’un roi, les couilles à Dieu, et surtout ça veut la femme de son voisin », fait dire l’auteur à son alter ego.
La quête identitaire de Cherfi est menée avec une bonne dose d’autodérision, brossant le portrait d’un jeune qui se cherche et qui aspire à se hisser au-dessus de sa condition, loin de ces quartiers où « les réverbères n’éclairent plus que le dégoût d’être fils d’immigrés », mais sans trahir les siens.
Double féminin
Il zigzague entre défense de la cause palestinienne et films de Bertrand Blier, survole les orgies de groupies, assiste sans trop d’illusion à l’arrivée de la gauche au pouvoir. Lorsque, lors de la grande Marche des beurs, en 1983, une délégation est reçue par François Mitterrand sans geste d’affection, il se dit « offensé par cette image de vieux sage blanc recevant les indigènes éreintés d’un flamboyant (ex-)empire ».
Mais derrière le récit qui ressuscite les copains, la musique, le militantisme politique, Magyd Cherfi aborde une autre quête, celle d’un amour majuscule pour son double féminin, aux « lèvres en pâte de fruit » et aux yeux « en amandes couchées. » Cette relation gourmande, durable, gémellaire, lui tend peut-être le seul miroir dans lequel il peut se reconnaître. On imagine, et on espère, que cette fresque se poursuivra pour aborder les années Zebda, et la suite de sa passion amoureuse.
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