Stupeur et tremblements

Si les opinions arabes ont vivement réagi au « lynchage » de l’ex-raïs, la plupart des États, eux, ont choisi de faire profil bas.

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 5 minutes.

Comme on pouvait s’y attendre, les terribles images pirates du lynchage déguisé en exécution de Saddam Hussein ont semé la consternation jusque dans les rangs des plus ardents partisans de la mise à mort de l’ancien président irakien. Même George W. Bush, qui s’était d’abord félicité de « ce pas important de l’Irak sur le chemin de la démocratie », a cru bon de marquer ses distances en regrettant, le 4 janvier, que l’exécution ne se soit pas déroulée d’une manière plus digne. Le Britannique Tony Blair, son fidèle lieutenant, qui a attendu plus de huit jours avant de s’exprimer, a jugé « totalement inadéquates » les conditions de la pendaison. Son rival et probable successeur, le chancelier de l’Échiquier Gordon Brown, bien que personnellement favorable à la peine de mort, ne lui avait, il est vrai, guère laissé le choix en condamnant fermement les circonstances de l’exécution. Américains et Britanniques semblent avant tout pressés de tourner la page. Une fois de plus, ils ont « mal apprécié la situation ». En laissant à leurs supplétifs chiites le soin d’éliminer Saddam plutôt que de s’en charger eux-mêmes, ils espéraient se soustraire aux critiques qui n’auraient pas manqué de fleurir sur le thème de « la justice des vainqueurs ». Ils se retrouvent aujourd’hui dans la peau de Ponce Pilate des temps modernes. Un rôle décidément peu glorieux.
Il n’y a qu’à Tel-Aviv – les Israéliens avaient été gratifiés d’une pluie de missiles Scud en janvier 1991 -, et surtout à Téhéran, où Hachemi Rafsandjani a voulu voir dans cette exécution « qui a envoyé en enfer le responsable de crimes en série et de la mort de nos meilleurs jeunes [pendant la guerre Irak-Iran, entre 1980 et 1988] » un signe de la « justice divine », où l’on se soit réjoui ouvertement de la disparition de l’ancien homme fort de Bagdad. Les capitales européennes ont choisi de faire profil bas. Hormis dans les désormais très atlantistes anciens pays de l’Est, comme la Hongrie, où le gouvernement a estimé que Saddam avait « mérité la peine capitale », la plupart des réactions se bornent à « prendre acte » tout en déplorant les conditions de la pendaison et en rappelant, en termes mesurés, l’opposition de principe du Vieux Continent à la peine de mort. Aucun chef d’État ou de gouvernement n’est monté au créneau, une prudence qui s’explique par la volonté de ne pas braquer Washington. Une exception cependant : le Vatican de Benoît XVI a condamné promptement et sans détours, et parlé d’une « nouvelle tragique ». En France, Nicolas Sarkozy s’est fendu d’une filandreuse et inattendue tribune dans le journal Le Monde (du 3 janvier), dans laquelle il conclut que l’exécution de Saddam est « une faute ». Régulièrement critiqué pour son américanophilie sans nuances, le candidat de l’UMP à l’Élysée (avocat de formation) a sans doute voulu exprimer sa différence, et casser son image d’atlantiste béat.
Moscou a, sans en rajouter, marqué sa désapprobation. Pékin s’est refusé à tout commentaire. Ban Ki-moon, le tout nouveau secrétaire général de l’ONU, a, lui, d’abord semblé approuver l’exécution, en affirmant que la question de la peine capitale « restait la décision de chacun des pays membres ». Une déclaration en rupture avec la ligne officielle de l’ONU, opposée à la peine de mort. Devant le tollé suscité par ses propos chez les défenseurs des droits de l’homme, l’inexpérimenté Sud-Coréen a dû corriger le tir, et, dans une mise au point, rappeler que la position de l’organisation restait inchangée.
La tonalité générale des réactions dans les pays du Sud était plutôt à la réprobation. Le Vénézuélien Hugo Chávez a dénoncé un procès truqué et exigé que George W. Bush soit lui aussi traduit en justice. Lula, le président brésilien, a fait part de son désarroi, soulignant que « cela ne réglerait pas les problèmes de l’Irak » et qu’il ne savait pas si cette exécution « avait été justice ou vengeance ».
Le monde arabe et musulman, pourtant concerné au premier chef par l’événement, n’a pas fait exception à la règle du « profil bas ». Les opinions publiques ont été bouleversées et consternées, mais la plupart des dirigeants ont observé un silence assourdissant. Terrorisés, soucieux de ne pas s’attirer les foudres de Washington et de ne pas devenir « les prochains sur la liste », les chefs d’État arabes ont, comme durant l’invasion de l’Irak (mars 2003), préféré s’abstenir de commentaires directs. Hormis l’inévitable Kadhafi, dont les relations avec l’Irak baasiste n’ont jamais été franchement harmonieuses, mais qui a décrété trois jours de deuil national et décidé l’érection d’une statue à l’effigie de Saddam. Hosni Moubarak, dont la rivalité politique avec l’ex-raïs irakien n’était un mystère pour personne, a été le seul à s’exprimer sur le sujet. Dans une interview au journal israélien Yediot Aharonot diffusée ensuite par l’agence de presse officielle égyptienne, le raïs, dans un rare accès de franchise, a fait part de sa honte et de sa douleur à la vue des images de la pendaison. Quant aux monarques et responsables du Golfe, à l’exception d’un ministre koweïtien apparenté à la famille régnante des Sabah, qui a souligné le caractère irako-irakien de l’affaire, aucun n’a pipé mot. Même silence prévisible et gêné du côté du Maghreb. En Palestine, le Hamas a parlé d’assassinat politique, contrairement au président de l’Autorité, Mahmoud Abbas, resté prudemment en retrait.
Les opinions arabes, elles, ont en revanche bruyamment exprimé leur indignation, notamment à Tunis, où plusieurs manifestations ont été organisées à l’appel de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et des partis d’opposition. Les journaux arabes, indépendants comme officiels, se sont fait l’écho de l’émotion populaire. Les derniers mots du leader irakien, dédiés à la Palestine, et la dignité avec laquelle il a affronté ses bourreaux ont achevé de transformer le raïs déchu en héros de la cause arabe. Une cause qui jadis ignorait les frontières confessionnelles et qui tend désormais à se confondre avec la cause sunnite. Le fossé entre les deux principales obédiences de l’islam ressemble aujourd’hui à une plaie béante.

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