Slaheddine Jourchi

Spécialiste des mouvements islamistes

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

L’écrivain tunisien Slaheddine Jourchi (52 ans) passe pour l’un des meilleurs connaisseurs des mouvements intégristes et des phénomènes politico-religieux dans le monde arabo-méditerranéen. Ancien journaliste, il milite activement pour les droits de l’homme.

Jeune Afrique : Pour vous, l’islamisme est un iceberg dont Ennahdha, le mouvement islamiste tunisien interdit, n’est que la partie visible
Slaheddine Jourchi : Pour la première fois depuis les années 1980, on assiste à un renouveau de la religiosité en Tunisie. Le nombre des jeunes qui s’adonnent à la prière a, par exemple, considérablement augmenté au cours des derniers mois. Il y a vingt ans, le phénomène était circonscrit aux réseaux islamistes et aux cercles familiaux. Il est aujourd’hui beaucoup plus large et prend une dimension non plus seulement religieuse, mais sociale et culturelle. La situation régionale et internationale de même que les chaînes satellitaires du Moyen-Orient y ont contribué.
Le mouvement Ennahdha n’est pas à l’origine du phénomène et n’en a pas tiré profit. Du coup, il se trouve marginalisé. Mais il y a désormais en Tunisie un certain nombre de gens prêts à participer à des opérations violentes. Le danger vient de là.
Existe-t-il des liens entre le GSPC algérien et le groupe neutralisé le 23 décembre près de Tunis ?
À partir de 2005, des combattants tunisiens se sont rendus en Algérie, où ils ont noué des relations étroites avec le GSPC. Surtout depuis l’arrivée d’un nouvel émir [Abou Moussab Abdelwadoud, NDLR] à la tête de ce mouvement. Celui-ci rejette la réconciliation nationale proposée par le président Bouteflika et s’efforce de donner une dimension régionale à son organisation. Le GSPC ayant été affaibli par les défections, ses nouveaux dirigeants ont pensé à mettre à profit la situation en Tunisie et, en accord avec al-Qaïda, à qui ils ont fait allégeance, à étendre le théâtre de leurs opérations à tout le Maghreb.
Y a-t-il une organisation salafiste en Tunisie ?
Aucun groupe ne s’est jusqu’ici clairement manifesté. Les islamistes arrêtés le mois dernier étaient de parfaits inconnus, qui ne s’étaient jamais signalés par une quelconque activité politique ou religieuse, au moins en Tunisie. La mouvance salafiste est apparue en Tunisie au cours des trois ou quatre dernières années, par le biais de discussions informelles entre un certain nombre d’individus. Les contacts plus précis et la constitution de cellules ne datent que de 2006. Le groupe de Tunis n’était pas opérationnel, mais travaillait à le devenir.
Son apparition vous a-t-elle surpris ?
Oui, dans la mesure où elle ?a été soudaine. Même les gens d’Ennahdha ne s’y attendaient pas.
Rached Ghannouchi, le chef d’Ennahdha, a pourtant évoqué la question, le 22 décembre, lors d’une conférence des intellectuels arabes à laquelle Abassi Madani, le chef de l’ex-FIS algérien, et vous-même avez participé…
Le thème de cette conférence portait sur l’évolution du monde arabe en 2007. Comme Ghannouchi, j’ai estimé que l’année allait être marquée par une montée en puissance du salafisme dur. Mais, contrairement à lui, j’ai exclu l’hypothèse d’explosions sociales de grande ampleur.
Qu’a dit exactement Ghannouchi ?
Il a expliqué que le développement d’Ennahdha, qui représente l’islam modéré, ayant été bloqué, le salafisme a comblé le vide.
Comment un jeune Tunisien en arrive-t-il à rejoindre un groupe salafiste violent ?
Certains jeunes sont convaincus que leur avenir est bouché. Ils sont en pleine crise des valeurs et cherchent ailleurs des modèles qu’ils ne trouvent ni dans leur famille, ni à l’école, ni dans le discours religieux officiel. En même temps, ils sont très inquiets de ce qui se passe en Irak, en Palestine et au Liban. Tout cela les amène à durcir leur discours. Ils deviennent des proies idéales pour les idéologies simplificatrices. Car ils ont besoin de certitudes : d’un côté, les croyants ; de l’autre, les mécréants, les ennemis, les démagogues À un moment donné, certains basculent et rejoignent un réseau.
Ont-ils des leaders ?
Non, pas de grands leaders, mais ils ont tendance à sacraliser la personne d’Oussama Ben Laden. Al-Qaïda leur apparaît comme seule en mesure de porter des coups aux Américains et à leurs alliés arabes.

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