[Tribune] Bédié, ou la tentation du boycott

En appelant à la « désobéissance civile » contre la candidature d’Alassane Ouattara à un troisième mandat, Henri Konan Bédié suscite des interrogations sur ses intentions réelles.

L’ex-président de la Côte d’Ivoire et actuel président du PDCI (Parti démocratique de la Côte d’Ivoire) Henri Konan Bédié à son domicile à Daoukro. © Sylvain Cherkaoui pour JA

L’ex-président de la Côte d’Ivoire et actuel président du PDCI (Parti démocratique de la Côte d’Ivoire) Henri Konan Bédié à son domicile à Daoukro. © Sylvain Cherkaoui pour JA

  • Moriba Magassouba

    Moriba Magassouba, historien, journaliste et écrivain sénégalais. Ancien rédacteur en chef à Demain l’Afrique et à Africa international. Auteur de « L’islam au Sénégal, demain les mollahs? », édition Karthala, Paris 1987.

Publié le 23 septembre 2020 Lecture : 5 minutes.

« Face à la forfaiture, un seul mot d’ordre irréversible : la désobéissance civile dans l’unité d’action et la bonne programmation. » Débités sur ce ton monocorde qu’on lui connaît, les propos de l’ancien président Henri Konan Bédié sont couverts par une véritable bronca qui fait trembler les murs de la vénérable bâtisse de Cocody qui sert de siège, au Parti démocratique  de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA), la plus vieille formation politique du pays.

Entouré des membres de la « Conférence  des présidents  de la coalition pour la réconciliation, la démocratie et la paix » (CRDP) qui regroupe essentiellement des responsables de partis politiques, d’organisations syndicales et de la Société civile opposés à la candidature du chef de l’État sortant Alassane Ouattara à un troisième mandat, Bédié plastronne littéralement, dans une salle chauffée à blanc et totalement acquise à sa cause.

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Appel incendiaire

À 86 ans bien tassés, l’ancien président, qui est sorti de ce mutisme précautionneux qui le caractérise et qui lui a valu le surnom de « Sphinx de Daoukro » (du nom de son fief situé dans le Centre, en pays baoulé), se livre à une attaque d’une rare violence contre celui qui, jusqu’en juin 2018, était son plus fidèle allié et avec lequel il avait, sept années durant, pratiquement partagé la gestion du pays.

Dans la déclaration conjointe qui a sanctionné la rencontre, lue par Patrice Saraka, secrétaire général du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (COJEP) de Charles Blé Goudé, le CRDP exige notamment le retrait  de la candidature d’Alassane Ouattara, la dissolution de la CEI, l’audit de la liste électorale, la libération des prisonniers civils et militaires et le retour des exilés, dont Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Charles Blé Goudé et Akossi Bendjo. Rien de moins !

L’appel incendiaire d’Henri Konan Bédié suscite moult interrogations sur les intentions réelles de l’ancien président, qui n’aura jamais autant mérité le sobriquet de « sphinx » dont on l’affuble. L’homme, qui se présente désormais comme le rassembleur de toute  l’opposition, s’efforce ainsi de remettre au goût du jour le fameux TSO (« Tout sauf Ouattara ») qui avait fait flores en l’an 2000 !

Flou artistique

La perplexité des Ivoiriens s’est nourrie de l’absence, jeudi 17 septembre, du PDCI-RDA à la cérémonie de prestation de serment devant le Conseil constitutionnel des représentants des partis politiques à la Commission électorale indépendante (CEI). Perplexité renforcée par les  déclarations tonitruantes, depuis son exil parisien, de Guillaume Soro qui assure qu’il s’est pratiquement entendu avec Bédié pour que celui-ci se retire de la course à la présidentielle.

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Si les propos de l’ancien président de l’Assemblée nationale et ex-chef de la rébellion des Forces nouvelles, qui soutient sans sourciller que « Bédié est d’accord. Il l’a écrit, je l’ai eu au téléphone », n’ont été corroborés par aucun officiel du PDCI, il n’en demeure pas moins qu’ils n’ont fait l’objet d’aucun démenti, entretenant ainsi un flou artistique sur les intentions réelles de l’ancien président.

Si l’on en croit les affirmations de Soro qui prétend avoir contacté l’ancien Premier ministre Pascal  Affi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI) qui, soit dit en passant, n’avait pas été convié à la rencontre de dimanche, et Mabri Toikeuse Abdallah, ancien ministre de l’Enseignement supérieur du président Ouattara et leader de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), tout serait en place pour un boycott du scrutin présidentiel par l’ensemble de l’opposition, à la notable exception de Kouadio Konan Bertin dit KKB.

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Mais dans sa volonté de passer pour le fédérateur attitré de l’opposition ivoirienne, Henri Konan Bédié, qui avait délibérément exclu l’ancien Premier ministre de Gbagbo de la rencontre de dimanche pour éviter un face-à-face gênant avec les GOR (Gbagbo ou rien) a fini par rencontrer, mardi 22 septembre, le proscrit Pascal Affi Nguessan qui, le même jour, a indiqué qu’il renoncerait à participer au scrutin si certaines conditions n’étaient pas remplies avant le premier tour.

Un RHDP en ordre de bataille

Pour certains membres du camp présidentiel, il ne fait aucun doute que le président du PDCI, conscient du fait qu’il ne peut pas l’emporter face au chef de l’État sortant qui a mis en branle ce véritable rouleau compresseur qu’est le RHDP déjà en ordre de bataille, s’apprête à se retirer de la compétition et à installer « la chienlit » ! Du côté des autorités, on multiplie volontiers les mises en garde et les appels au calme et à la retenue dans la perspective d’une consultation électorale que d’aucuns jugent à hauts risques, en dépit des assurances qu’elles donnent.

Le Premier ministre Hamed Bakayoko, qui s’est déjà rendu dans les quatre localités du pays où s’étaient produits les troubles les plus graves, en août, à l’annonce de la candidature du chef de l’État, n’est pas en reste, enchaînant meetings, inaugurations et rencontres avec les populations ou les corps constitués. « Il y a des gens qui souhaitent le pire à la Côte d’Ivoire, ils ont envie de voir la Côte d’Ivoire brûler, ils ont envie de voir la Côte d’Ivoire à feu et à sang. Il faut leur dire que la Côte d’Ivoire sera en paix. », a-t-il notamment lancé devant une foule de plusieurs milliers de jeunes rassemblés au stade de Yopougon, commune considérée comme l’un des fiefs électoraux de Laurent Gbagbo qui est tombée dans l’escarcelle du RHDP lors des élections locales d’octobre 2018.

En visite d’État dans la région du Moronou située dans le centre du pays, ce vendredi 11 septembre, le chef de l’État sortant avait donné le ton : « Nous devons faire en sorte que les prochaines élections ne soient pas des sources de violence, mais plutôt l’occasion pour chaque candidat d’expliquer ce qu’il entend faire pour nos populations en termes de cohésion sociale et de développement. »

Un remake de 1995 ?

Henri Konan Bédié va-t-il finir par se retirer de l’élection présidentielle du 31 octobre 2020, ouvrant ainsi  la voie à son principal adversaire qui sera élu sans coup férir, mais dans un contexte qui pourrait être marqué par une crise post électorale sans précédent ? L’histoire va-t-elle jouer aux Ivoiriens, un quart de siècle plus tard, un remake de la présidentielle du 22 octobre 1995, marquée par le « boycott actif » du Front républicain, constitué alors par le FPI de Laurent Gbagbo et le RDR de Djeny Kobena, qui soutenait la candidature d’Alassane Ouattara face au président Bédié, avec les mêmes protagonistes mais dans des positions et des rôles différents ?

Si tel devait être le cas, de nombreux Ivoiriens pourrait s’amuser de voir Laurent Gbagbo faire la courte échelle à celui qui, en 2010, n’hésitait pas à qualifier son régime de « satanique ». À condition, bien entendu, que la présidentielle du 31 octobre ne tourne pas à la chronique d’une catastrophe annoncée.

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