Réponse à mon ami Mohamed Talbi

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

Je suis heureux que l’un des derniers articles de Mohamed Talbi dans Jeune Afrique (n° 2392, 12-18 novembre 2006) me donne l’occasion de poursuivre avec lui un dialogue qui a commencé il y a longtemps et qui, au fil des ans, n’a cessé de s’approfondir.
Dans ce texte, le professeur Talbi fait une analyse critique de deux courants de pensée qui, à ses yeux, sont plus ou moins complices dans leur commune hostilité à l’authentique foi musulmane : d’une part, la théologie chrétienne, qui refuse de reconnaître l’origine divine de la mission du prophète Mohammed ; d’autre part, l’attitude de certains intellectuels musulmans contemporains « laïcisés » qui se montrent complaisants envers l’islamophobie, si répandue en Occident.

Il est vrai que, pendant des siècles, l’attitude de l’Église envers l’islam fut, le plus souvent, polémique et agressive. Il est vrai aussi que, de nos jours, beaucoup d’Occidentaux – croyants ou non – préfèrent « dialoguer » avec des musulmans « occidentalisés » et donc « laïcisés » plutôt qu’avec les musulmans les plus attachés à la foi et aux rites de l’islam avec toutes les exigences spirituelles – et politiques – que cette fidélité implique.
Faudrait-il donc se résigner à une impossibilité de tout dialogue entre chrétiens et musulmans, ou entre croyants, agnostiques et incroyants ? Je pense au contraire que le dialogue, sous toutes ses formes, est plus important et plus nécessaire que jamais. Je suis convaincu aussi que plus les chrétiens seront vraiment fidèles au message du Christ et plus les musulmans seront vraiment fidèles au message du Coran, plus ils seront proches les uns des autres, car plus ils seront proches de Dieu. En effet, comme le disait Gandhi, « celui qui va au cur de sa religion va au cur de toutes les religions ». Et comme l’écrivait le père Teilhard de Chardin, « tout ce qui monte converge ». À cet égard, je pense que Mohamed Talbi est proche de Benoît XVI : l’un et l’autre sont des hommes de foi et de culture qui se veulent fidèles à la parole de Dieu.
En tenant ce langage, je n’oublie pas que, comme beaucoup de musulmans, Mohamed Talbi a été choqué par la façon dont Benoît XVI a parlé de l’islam dans la conférence qu’il fit à Ratisbonne, en septembre dernier. J’ai dit, ici même, ce que je pense de cette conférence : le pape a eu raison d’insister sur l’importance des relations entre l’intelligence et la foi religieuse ; mais il a eu tort de le faire en laissant entendre que, contrairement au christianisme, l’islam n’est pas parvenu à concilier les exigences de la raison humaine et celles de la foi en Dieu. Tous ceux, en effet, qui connaissent la civilisation musulmane savent bien que, tout au long des siècles, en terre d’islam, théologiens et philosophes n’ont cessé d’approfondir cette question, comme le firent, de leur côté, les penseurs chrétiens.
Il est heureux que, quelques jours après sa conférence de Ratisbonne, Benoît XVI ait tenu à préciser – et à corriger – sa pensée, en s’adressant aux ambassadeurs musulmans auprès du Saint-Siège : « Le dialogue interreligieux et interculturel entre chrétiens et musulmans, leur a-t-il dit, est une nécessité vitale, dont dépend en grande partie notre avenir. En ce domaine, nos contemporains attendent de nous un témoignage éloquent pour montrer à tous la valeur religieuse de l’existence. »
Ce dialogue entre chrétiens et musulmans comporte, bien entendu, une dimension théologique. Mais il ne faut pas oublier qu’il se situe dans un contexte politique : les événements du Liban, d’Irak, de Palestine ne sont pas fondamentalement d’ordre religieux ; ils sont un problème de justice, de respect du droit international. Mais, qu’on le veuille ou non, la situation au Proche-Orient comporte une dimension religieuse non seulement parce que Jérusalem est la « Ville sainte » pour tous les croyants, mais aussi – et surtout peut-être – parce que les prophètes bibliques, l’Évangile et le Coran ont dit que Dieu n’entend pas la prière de celui qui commet ou laisse commettre l’injustice.

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En écrivant ces lignes, je pense à des amis palestiniens, musulmans et chrétiens, unis dans la même souffrance, la même résistance et la même espérance. Parmi eux, les uns prient dans les mosquées, les autres dans les églises et, bien loin de les séparer, leur foi en Dieu les unit, comme les unit aussi l’attachement à leur patrie.
Je suis convaincu que, comme moi, Mohamed Talbi voit dans ces croyants musulmans et chrétiens de Palestine un exemple que nous devons admirer et que nous devons suivre. En Europe et en Afrique comme au Proche-Orient et comme partout dans le monde, il est aujourd’hui essentiel que les chrétiens et les musulmans découvrent les valeurs spirituelles et éthiques communes qui les unissent.

* Père blanc, cofondateur du Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC).

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