RDC : la gestion de la lutte contre Ebola est-elle raciste ?

Le Groupe d’étude sur le Congo dresse le bilan de la gestion de la dixième flambée d’Ebola, qui s’est achevée en juin, et plaide pour un renforcement des systèmes de santé locaux, négligés par la communauté internationale.

Centre de traitement pour les malades d’Ebola à Beni, en RDC. Photo d’illustration. © AP Photo/Jerome Delay

Centre de traitement pour les malades d’Ebola à Beni, en RDC. Photo d’illustration. © AP Photo/Jerome Delay

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Publié le 24 septembre 2020 Lecture : 5 minutes.

Plus de 3470 cas et 2287 morts d’août 2018 à juin 2020… La dixième épidémie d’Ebola aura été la deuxième plus importante de l’Histoire, après celle qui a sévi en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016 et fait 11 000 morts. Comment expliquer un tel bilan alors que les neuf autres épidémies que la RDC a connues depuis la découverte du virus en 1976 avaient été circonscrites en quelques mois ?

Dans un rapport publié le 17 septembre, le premier d’une série de trois consacrés à cette flambée épidémique, le Groupe d’étude sur le Congo (GEC), rattaché à l’Université de New York, explore les raisons qui ont permis à Ebola de perdurer et s’intéresse à ce qu’il qualifie « d’effets pervers de la Réponse », c’est-à-dire de la riposte mise en place pour lutter contre la maladie.

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Les conditions dans lesquelles s’est déclarée cette flambée, officiellement annoncée le 1 er août 2018, ont entraîné une mobilisation inédite et massive de la part d’acteurs internationaux et humanitaires.

Apparue à Mangina, dans le Nord-Kivu, cette nouvelle épidémie s’est développée dans une région frontalière de plusieurs voisins de la RDC (Rwanda et Ouganda notamment), un carrefour important vers l’est de l’Afrique et par extension, souligne le rapport, vers le Moyen-Orient et la Chine.

Pour la première fois surtout, Ebola allait être gérée dans une zone de conflit armé actif avec, depuis 2014, des massacres récurrents attribués aux Allied Democratic Forces (ADF), rébellion ougandaise présente dans cette région depuis plusieurs années, et un climat de peur déjà ancré au sein de la population.

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Dispositif parallèle

C’est dans ce contexte particulier que s’est déployée la Réponse avec pour principal écueil, explique le GEC, l’absence totale de confiance en la capacité du système de santé local – auquel les communautés de la zone étaient pourtant habituées – à gérer l’épidémie. Ce système, caractérisé par un secteur public en décrépitude depuis 40 ans et un secteur privé sous-formé, a été volontairement tenu à l’écart de la stratégie mise en place par les différents intervenants.

La conséquence directe de cette stratégie adoptée par le gouvernement congolais, dont la marge de manœuvre reste floue, et plusieurs agences onusiennes et humanitaires a été « la création d’un système de santé massif, parallèle et spécifique à une maladie particulière, détaché à la fois de la communauté et des structures de santé existantes ».

La riposte a été perçue comme une « entité étrangère »

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Dans la pratique, ce dispositif parallèle, bien qu’il ait permis in fine de circonscrire l’épidémie, a dès le départ déboussolé les communautés locales, peu habituées à une telle mobilisation de moyens financiers et humains en dépit de problèmes d’insécurité chroniques.

Plusieurs facteurs ont par la suite contribué à renforcer leur méfiance envers une riposte perçue, précise le rapport, comme une « entité étrangère ». « La confiance des populations est un facteur essentiel quand on intervient dans des zones rurales avec un contexte sécuritaire particulier où l’État et les institutions ont peu de prise et où les populations ne sont pas habituées à voir arriver autant d’intervenants étrangers, explique Trésor Kibangula, chercheur au Groupe d’étude sur le Congo. Même si il y avait une forme d’urgence face à la propagation de la maladie, la Réponse aurait pu intégrer les agents communautaires dans les campagnes de sensibilisation, ce qui aurait permis de créer un lien avec la population. »

Méfiance et militarisation

Par manque de formation du personnel déployé dans la région et en raison de l’opacité des campagnes de vaccination (40 % des ménages sondés par le GEC ont déclaré ne pas comprendre les informations qui leur étaient délivrées sur le sujet), la Réponse a, selon le GEC, échoué à remporter une réelle adhésion de la population.

Certains patients ont pris peur et sont restés chez eux jusqu’à ce qu’il soit trop tard

À titre d’exemple, le rapport évoque les structures dites de triage, destinées à identifier les malades potentiels. « Les patients qui présentaient des symptômes d’Ebola ont été physiquement retirés des structures de santé dans lesquelles ils avaient placé leur confiance, puis déplacés vers une tente ou une bâche, souvent à plusieurs kilomètres de là, [pour y être] pris en charge par des personnes inconnues […]. La population ne comprenait absolument pas pourquoi les structures de santé qui ont toujours traité d’autres épidémies (par exemple la rougeole, le choléra) ainsi que d’autres urgences (par exemple les blessures par balle, les naissances difficiles) ne pouvaient pas prendre en charge Ebola. Craignant ce traitement, certains patients présentant des symptômes d’Ebola sont restés chez eux jusqu’à ce qu’il soit trop tard », raconte le rapport.

Ces structures parallèles (et surtout temporaires) ont eu pour principale conséquence de renforcer la méfiance des communautés locales dans une région marquée depuis de nombreuses années par des conflits. Cette méfiance a débouché sur un cycle de violences – plusieurs centres de traitement ont été ciblés par des attaques – qui a lui même entraîné une militarisation de la riposte, ce qui a eu pour effet de renforcer à son tour la méfiance de populations qui critiquent l’usage de militaires jugés responsables de certaines violences.

« Logique raciste »

Cette défiance vis-à-vis du système de santé local n’est pas nouvelle, affirme le rapport. D’autres interventions humanitaires se sont par le passé caractérisées par une réponse ciblée et ponctuelle à un problème donné et non par un investissement sur le long terme dans les structures existantes. Les financements, bien que ponctuels, sont pourtant colossaux, souligne le GEC, qui évoque un budget d’un milliard de dollars dépensé par la Réponse lors de cette dixième épidémie.

« Qu’il s’agisse d’une simple erreur ou d’un refus stratégique de s’engager avec les systèmes existants, nous soutenons qu’elle s’inscrit dans la même logique raciste qui a historiquement nié la reconnaissance des systèmes de savoir et de pratique noirs et africains », dénonce le rapport. Pour les experts du GEC, « la Réponse a privilégié l’endiguement d’Ebola par rapport à l’autonomie et au bien-être général de la population congolaise vivant au Nord-Kivu ».

Alors qu’une onzième épidémie est en cours, dans la province de l’Équateur cette fois-ci, assistera-t-on à un changement de stratégie ? Si celle-ci est pour l’instant d’une ampleur moindre, avec pour l’instant près de 120 cas et une cinquantaine de morts, la gestion des fonds destinés à la lutte contre cette nouvelle épidémie a été pointée du doigt pour son manque de transparence. Les autorités congolaises assurent être conscientes du problème et se veulent rassurantes. Sept agents de santé ont ainsi été présentés à la justice pour malversation présumée.

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