Peur sur le Maghreb

Depuis son ralliement à al-Qaïda, le GSPC s’efforce d’exporter le djihad dans toute la région : de la Libye au Sahel en passant par le Maroc et la Tunisie. Le récent démantèlement, près de Tunis, d’un groupe armé formé en Algérie en témoigne.

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 5 minutes.

Les premières conclusions de l’enquête des services de sécurité tunisiens n’ont pas encore été rendues publiques, mais elles sont formelles : le groupe armé démantelé entre le 23 décembre et le 3 janvier près de Tunis était bien constitué de vingt-sept activistes de nationalité tunisienne appartenant à la mouvance salafiste djihadiste. Une partie d’entre eux, au moins, ont pénétré en territoire tunisien par la frontière terrestre avec l’Algérie. Selon des sources concordantes, le groupe est lié au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) – lequel, en septembre 2006, a fait allégeance à al-Qaïda.
Son chef présumé, un certain Lassaad Sassi, surnommé « le Mauritanien » bien que de nationalité tunisienne, a été tué par les forces de l’ordre en même temps que son adjoint, Rabee Bacha (voir page 63). C’était un allié de longue date du GSPC. Originaire de Bir el-Bey, près de Grombalia, sur le cap Bon, il aurait fait un bref passage dans les forces de sécurité tunisiennes avant d’émigrer en Italie, sans doute à la fin des années 1990. Il était jusqu’ici totalement inconnu en Tunisie, mais c’est une vieille connaissance des services antiterroristes européens et américains. Fiché par la police italienne comme ancien chef d’une cellule terroriste basée à Milan, il est accusé de divers trafics : drogue, armes et faux papiers.
Essentiellement composée de Tunisiens, la cellule milanaise de Sassi était chargée de recruter des volontaires pour combattre en Algérie, en Bosnie, en Afghanistan et en Irak, mais aussi de préparer des attentats en Italie et dans d’autres pays. Elle entretenait des liens avec Ansar al-Islam, un groupe implanté dans le nord de l’Irak que les Américains soupçonnent d’appartenir à la mouvance al-Qaïda.
Arrêtés par la police italienne, à Milan, en mai 2005, les membres de la cellule avaient, semble-t-il, été en contact avec Essid Ben Khemais, le chef présumé de la logistique des opérations d’al-Qaïda en Europe (ce dernier a été arrêté en 2002 avec six autres ressortissants tunisiens). Mais Sassi, qui avait pris à l’époque le nom de guerre d’« Abou Hachem », a échappé au coup de filet. La police italienne affirme avoir perdu sa trace en 2000, après son départ pour l’Algérie. Mais il n’est pas exclu qu’il soit l’un des deux suspects tunisiens qu’elle a relâchés en échange de précieuses informations sur les réseaux mi-mafieux mi-militants opérant dans le pays. Un éventuel séjour du djihadiste tunisien en Afghanistan n’est pas confirmé.
Selon certaines sources, Sassi, désormais « grillé » en Europe, se serait établi en Algérie pour combattre dans les rangs du GSPC et superviser, au cours des dernières années, l’entraînement des volontaires tunisiens. C’est donc tout naturellement que la nouvelle direction du GSPC l’aurait chargé, en 2006, de créer une cellule tunisienne.
Stratfor, un organisme qui fait autorité en matière de terrorisme, a révélé le 21 novembre sur son site Internet que le GSPC avait reçu d’al-Qaïda (probablement d’Aymen al-Zawahiri, le numéro deux de l’organisation) l’instruction de constituer un commandement unifié pour l’ensemble du Maghreb. Ce commandement comprendrait aussi le Groupe islamique combattant marocain (GICM), le Groupe islamiste combattant libyen (GICL) et plusieurs groupuscules tunisiens parmi lesquels le Groupe djihadiste tunisien (Al-Jamaa al-jihadiyah attounousiah).
L’institut Search for International Terrorist Entities (Site Institute) signale pour sa part qu’un site affilié à al-Qaïda a publié dans le courant du même mois un appel au djihad à l’adresse des jeunes musulmans algériens, égyptiens, libyens, marocains et tunisiens. Intitulé « Fils du Maghreb musulman : c’est votre jour », ce texte porte la signature d’un certain Ahmed Abou Abdallah. Depuis plusieurs mois, les journaux algériens se font régulièrement l’écho de l’arrestation de suspects tunisiens. Certains d’entre eux auraient été chargés, sous les auspices du GSPC, de former les membres d’un groupe armé tunisien au maniement des armes et des explosifs, en vue de l’ouverture d’un « nouveau front ».
Pourtant, tous les efforts du GSPC pour étendre des ramifications dans les pays voisins se sont jusqu’à présent soldés par un fiasco. Au Maroc, à la fin du mois de décembre, le gouvernement a annoncé le démantèlement d’une cellule terroriste – la septième en un an -, qu’il estime membre du réseau al-Qaïda (voir page 66). En Tunisie, les djihadistes neutralisés près de Tunis disposaient d’armes automatiques, de kalachnikovs, de lance-roquettes RPG, d’explosifs puissants et de grandes quantités de munitions. Ils étaient apparemment bien préparés au combat, ayant, dit-on, bénéficié de plusieurs stages de formation de quarante-cinq jours chacun dans les maquis algériens. S’ils avaient pu mettre à exécution leurs projets d’attentats dans plusieurs villes, y compris la capitale, ils avaient largement les moyens de provoquer un carnage. Mais la baraka était du côté des victimes potentielles. Les services de sécurité n’ont eu besoin que de onze jours pour démanteler le groupe.
Cette incursion en Tunisie du « GSPC International », comme l’appellent certains, n’est pas la première depuis 1998. Mais chaque fois que les djihadistes algériens se sont aventurés de l’autre côté de la frontière, ils ont été rapidement refoulés. L’étroite collaboration des services de sécurité des deux pays n’y est certainement pas pour rien. Les responsables tunisiens ne se montrent pas particulièrement inquiets de la récente inféodation du GSPC à al-Qaïda. Dès l’été 2005, ils ont examiné avec leurs collègues algériens les moyens d’y faire face. La vérité est que les djihadistes algériens sont confrontés à de délicats problèmes de recrutement, conséquence de la politique de « réconciliation nationale » menée par le président Bouteflika, mais aussi de la sensible amélioration de la situation sociale. Grâce à la flambée des cours du pétrole, l’Algérie a aujourd’hui les moyens d’ouvrir de grands chantiers, de créer des emplois et d’améliorer les conditions de vie de ses citoyens. C’est évidemment le meilleur moyen de couper l’herbe sous le pied aux extrémistes. L’exemple tunisien depuis le début des années 1990 en est la preuve.
En fait, le principal motif d’inquiétude reste la situation en Palestine, en Irak et au Liban. Tant que des terres arabes resteront occupées et que les populations y seront bombardées et massacrées sans que la communauté internationale réagisse, il se trouvera des jeunes musulmans pour se révolter et se porter candidats au djihad. Un responsable tunisien proche du pouvoir l’explique sans détour : « Comme l’a rappelé récemment le président français Jacques Chirac, ce sont des crises au Moyen-Orient que viennent tous les problèmes. Hélas ! pour l’instant, nous ne voyons pas de solution. »

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