Passeport pour la discrimination

Révélatrice d’un climat de suspicion, l’affaire des bagagistes de Roissy s’inscrit aussi dans un contexte plus général de racisme quotidien. Enquête.

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 4 minutes.

En octobre dernier éclatait « l’affaire des bagagistes de Roissy » (voir J.A. nos 2390 et 2391). Au motif qu’ils présentaient des signes « de vulnérabilité ou de dangerosité », des salariés musulmans de la plate-forme aéroportuaire se sont vu retirer leur badge d’accès en zone réservée, et, partant, priver de leur emploi. Accusée de discrimination, l’administration a déclaré agir par mesure de précaution. Le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a prononcé deux non-lieux et suspendu deux autres décisions. Le ministère de l’Intérieur a introduit des pourvois en cassation devant le Conseil d’État concernant les deux suspensions.
Cette affaire est révélatrice du climat de suspicion qui règne sur les aéroports depuis les attentats du 11 septembre 2001. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, on a amélioré et renforcé les systèmes de traitement des informations et des fichiers de police (Stic, Judex…) et les dispositifs juridiques, octroyant à l’administration, notamment avec la loi dite Sarkozy II sur la sécurité intérieure (LSI) de mars 2003 et la loi relative à la lutte contre le terrorisme de janvier 2006, un pouvoir « discrétionnaire » qui inquiète les associations de défense des droits de l’homme. La présomption d’innocence est bafouée, la laïcité remise en question. La religion de chacun n’est plus une affaire privée. Et la charge de la preuve est inversée. C’est aux bagagistes inquiétés qu’il revient de démontrer qu’ils n’ont pas un « comportement insusceptible de porter atteinte à la sûreté aéroportuaire ». Seulement voilà, ils ne savent pas ce qu’on leur reproche. « On ne connaît pas les informations dont disposent les renseignements généraux, explique Kamel Birroum, délégué syndical Force ouvrière [FO]. On refuse de nous communiquer les preuves sous couvert de secret d’État. C’est le règne de l’arbitraire ! Un véritable déni de démocratie ! Tout accusé a le droit de savoir ce qu’on lui reproche. »
En fait, des histoires de retrait de badge pour des broutilles ou des faits sans rapport avec la sûreté de l’État (vol à l’étalage à l’adolescence, non-paiement d’une pension alimentaire…), les salariés de la plate-forme en ont à raconter à foison. Dans le cadre du renouvellement des badges, les syndicats se sont aperçus que les enquêtes vont au-delà du volet 3 du casier judiciaire et prennent en considération des faits proscrits. Plus grave : il suffit qu’un nom figure dans le Stic – même comme victime ! – pour que la procédure soit automatiquement lancée et le badge retiré. Le retrait du badge est devenu une véritable épée de Damoclès planant sur la tête de salariés un peu trop revendicatifs ou répondant à certains critères ethniques et religieux.
Il faut dire que de l’autre côté de la piste les agents des banques d’enregistrement ont parfois affaire à des passagers paranoïaques, hystériques et racistes qui refusent que leurs bagages soient enregistrés par des Arabes. Cela se produit souvent sur les vols dits sensibles, à destination des États-Unis ou d’Israël. « Après le 11 septembre, raconte Noura, on m’a retiré des banques d’enregistrement d’US Airways sans me donner aucune information, alors qu’avant j’étais régulièrement affectée à ce poste. » Mais ce phénomène n’est pas nouveau et s’inscrit dans un contexte plus général de racisme quotidien. « Il y a quelques années, lors d’un vol VIP, le chef d’escale de la compagnie brésilienne Varig ne voulait à l’enregistrement que des filles blondes aux yeux bleus, raconte Christelle, hôtesse brune aux yeux verts. J’étais affectée sur ce vol, on m’a demandé de partir et j’ai été remplacée par une collègue blonde. » Après avoir sévi pendant des années, ledit chef d’escale a finalement été remplacé, à la suite des protestations des agents et de leurs syndicats. Plus récemment, le chef d’escale d’une compagnie nord-américaine avait exigé de l’encadrement local d’Aéroports de Paris (ADP) que ne soit affecté aucun Noir à l’enregistrement d’un vol.
S’il est vrai qu’ADP soutient ses employés victimes de discriminations et ne répond pas à ce type de requêtes, il n’en demeure pas moins que des documents officiels pour le moins troublants circulent. En mai 2006, une « charte image du personnel de l’escale ADP » a été éditée, réglementant le port de l’uniforme, les coiffures et accessoires autorisés afin que l’image d’ADP soit mise en valeur. À la page 11 de ladite charte, on peut lire que la coiffure des hôtesses doit être « classique » et que, par conséquent, sont interdites les « multinattes ». Les coiffures africaines ne correspondent donc pas à l’image que la société qui gère les aéroports parisiens souhaite donner d’elle-même. Prenant connaissance de ce document, les agents ont vivement réagi. La direction de l’escale d’ADP à l’initiative du document s’est indignée, demandant comment les syndicats pouvaient oser imaginer qu’elle souhaitait appliquer une discrimination. Les hôtesses africaines et antillaises n’étaient donc pas visées et conservaient le droit de se coiffer de multinattes, à condition que celles-ci ne tombent pas sur les épaules et qu’elles ne se terminent pas par de petites perles. Mais, depuis, aucune autre nouvelle charte n’a été éditée…

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