Moncef Dhouib : « Je suis cinéaste ambulant »

Cinéaste des plus inspirés de sa génération, Moncef Dhouib est aussi réputé pour son humour corrosif. Afin de contourner les difficultés de distribution, il vient de trouver la solution pour son dernier film, La Télé arrive : le cinéma de plein air. Inter

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Pourquoi avez-vous choisi de ne pas projeter votre dernier film dans les salles ?
Moncef Dhouib : Croyez-vous qu’il y a assez de salles de cinéma ? Avec une poignée d’écrans situés en majorité sur l’avenue Bourguiba ! Je me demande pourquoi on subventionne à 100 % les films alors qu’on se refuse à créer un réseau de distribution pour les diffuser. Quand il conçoit une nouvelle ville, l’État devrait exiger une salle en même temps que le parking ou la mosquée. Or, dans toutes ces cités qui poussent comme des champignons, on omet les lieux d’art. Quatorze salles pour 10 millions de Tunisiens, c’est faire peu de cas et du cinéma et des Tunisiens !
Et du point de vue de l’industrie cinématographique ?
Je vais m’exprimer en parabole : c’est comme si vous aviez le blé sans l’usine. Autrement dit, la terre est fertile, l’agriculture est bonne, Dieu arrose, les récolteurs sont prêts, mais, pour transformer tout cela en pâte alimentaire, il faut aller en Italie. Là-bas, on vous moud le grain, vous le ramenez en paquets, mais vous n’avez pas de boutique pour le vendre ! Entre-temps, la subvention qu’on vous a donnée est partie en fumée, une fois convertie en devises. Heureusement, Allah est grand, le Maroc est là. Il aide son cousin tunisien par l’intermédiaire du directeur du Centre cinématographique marocain (CCM), Noureddine Saïl, lequel coproduit systématiquement le film tunisien.

Qu’en est-il des acteurs et des techniciens ?
Une fois la subvention accordée, le film est abandonné à son sort et tout le monde doit se sacrifier, y compris techniciens et comédiens, très peu payés (le cachet d’un acteur varie entre 200 et 1 000 dinars par jour). Ces derniers doivent mettre la main à la pâte de la cinématographie nationale.

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Pourquoi avez-vous choisi d’être à la fois réalisateur et producteur ?
C’est par la force des choses qu’un cinéaste devient auteur, réalisateur et producteur. J’ai mis quatre ans à trouver les moyens de produire La télé arrive et deux ans pour le réaliser.

Vous vous êtes chargé de la distribution également
Par défaut, là aussi. Puisque le distributeur tunisien se désengage de son poste, ne fournissant ni copie ni publicité, et qu’il mise d’abord sur les films étrangers, je me suis fait distributeur ambulant. Il existe près de 460 festivals dont 200 susceptibles d’être utilisés comme des lieux de rencontres. La chanson, le théâtre et le folklore en profitent, pourquoi pas le cinéma ? J’ai donc fabriqué un écran mobile, loué un camion et une sono, et j’ai réhabilité le cinéma itinérant, cette méthode du début de l’indépendance. La première projection s’est déroulée sur la place publique du village de Snad, près de Gafsa, où le tournage a eu lieu. Cinq mille spectateurs ont investi ce hameau qui, habituellement, ne compte pas plus de 300 habitants. L’imam est venu en djebba et les femmes ont sorti les nattes des maisons. Que demande le peuple ?

Le peuple, c’est vous ou le public ?
Nous fonctionnons en couple, le public et moi. J’ai fait une comédie « grand public » pour ne pas rester dans le film d’auteur et courir les festivals étrangers où l’on nourrit son ego. Le public est la condition essentielle du cinéma. L’acheteur des pâtes, c’est lui. Et il a raison de bouder les images monochromes. Les Tunisiens ont une manière d’être qu’il faut comprendre. Aller à contre-courant est donc un pari difficile.

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