Mélès Zenawi

Allié des États-Unis dans leur « guerre contre le terrorisme », le Premier ministre éthiopien a permis de libérer Mogadiscio de la tutelle des Tribunaux islamiques somaliens. Et réaffirme sa volonté de jouer un rôle de premier plan dans la Corne de l’Afri

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 6 minutes.

Mais qu’est-il allé faire en Somalie, où il a envoyé son armée le 24 décembre ? Seule certitude : cette offensive déterminante du Premier ministre éthiopien, Mélès Zenawi, a permis au gouvernement fédéral de transition (GFT) du président Abdullahi Youssouf de reprendre les bastions des Tribunaux islamiques, dont Mogadiscio, la capitale. En menant sa « seconde guerre » – après celle contre l’Érythrée à la fin des années 1990 -, le leader éthiopien n’a pas agi sur un coup de tête. Il semble avoir bien étudié, calculé et tout planifié avec les États-Unis, dont il est l’allié dans leur « guerre contre le terrorisme ». Et a fait preuve d’un certain pragmatisme en prenant pour prétexte la menace que les islamistes somaliens font peser sur la stabilité de son pays. Mais sans oublier le rôle de premier plan qu’il aspire à jouer dans la Corne de l’Afrique et sur le reste du continent. Car s’il reste handicapé par la faiblesse économique de son pays, il dispose d’une armée réputée solide et d’une certaine vision géopolitique. Des atouts qui intéressent les Américains. D’autant qu’avant même de devenir un État pivot dans leur stratégie antiterroriste, l’Éthiopie de Mélès a eu à combattre des islamistes. C’était dans la partie somalie du pays, jadis appelée Ogaden. Dès le milieu de l’année 1991, une organisation dénommée Al-Ittihad al-Islami (Union islamique), enregistrée comme un parti politique, intensifie et militarise ses activités dans cette région. Craignant pour la stabilité de l’Éthiopie, Mélès mène, de 1992 à 1996, une lutte sans merci contre ce mouvement, dont il détruit les moyens militaires. Et n’hésite pas à poursuivre ses membres jusqu’en territoire somalien.
Au lendemain du 11-Septembre, l’homme fort d’Addis perçoit tout le bénéfice qu’il peut tirer de la nouvelle donne. Il qualifie alors Al-Ittihad al-Islami d’« organisation terroriste », l’accusant de recevoir argent et armes d’islamistes étrangers, sous-entendu d’al-Qaïda, déjà l’ennemi numéro un des Américains. Et décrète que tous les mouvements en lutte contre son gouvernement, en l’occurrence le Front national de libération de l’Ogaden (FNLO) et le Front de libération oromo (FLO), sont des organisations terroristes. La démarche est payante. L’Éthiopie, désormais engagée dans la « coalition mondiale contre le terrorisme », bénéficie des largesses de Washington sur le plan économique et militaire. Trois de ses bataillons sont ainsi formés par les Américains, qui installent dans la région somalie des postes avancés pour surveiller la frontière.
Mélès connaît la guerre. Elle fait partie intégrante de son parcours, depuis les maquis de son Tigré natal, d’où il combattait le pouvoir militaire d’Addis-Abeba. Legesse Zenawi est né en 1955, d’un père tigréen et d’une mère érythréenne, à Adwa, dans le nord du pays, où l’armée de l’empereur Ménélik II infligea une défaite mémorable aux troupes italiennes, en 1896. Au terme de ses études secondaires, en 1972, il gagne la capitale et s’inscrit à la faculté de médecine. Deux ans plus tard, peu avant le coup d’État qui renverse l’empereur Haïlé Sélassié, le jeune homme, marxiste convaincu, abandonne la médecine et s’engage dans la lutte pour le changement. Il combat ensuite le régime militaire très répressif instauré par le Derg (la junte militaire au pouvoir à Addis). Et pour rendre hommage au leader estudiantin Mélès Tekele, abattu par le pouvoir en 1975, il renonce à son propre nom de Legesse pour s’appeler désormais Mélès.
Avec ses amis, il fonde, en février 1975, le Front de libération du peuple tigréen (FLPT), qui se réclame d’un communisme à la mode albanaise et s’associe au Front de libération du Tigré (FLT) pour déclencher la lutte armée. Ils combattent aux côtés du Front populaire pour la libération de l’Érythrée (FPLE), dirigé par Issayas Afewerki. Meneur d’hommes, Mélès est aussi l’idéologue de la rébellion. Il ne tarde pas à prendre un ascendant sur ses camarades. Sur le terrain, ses troupes infligent régulièrement des pertes aux forces loyalistes. Les succès s’enchaînent et, dès 1988, les rebelles, qui contrôlent déjà la région, décident de marcher sur la capitale. En 1989, Mélès, leader incontesté, fonde le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE), dont il prend la direction deux ans après. Le 28 mai 1991, les rebelles entrent dans Addis, que Mengistu Haïlé Mariam avait quitté une semaine auparavant. La victoire est totale.
Après l’effondrement du bloc communiste, Mélès, l’ex-marxiste, se rapproche des Américains. Ceux-ci jouent un rôle non négligeable dans sa victoire sur le régime de Mengistu. Mieux, ils sont médiateurs lors de négociations entre les deux parties avant le round final. Pour l’administration Clinton, il devient un allié important à mettre sur la même liste que l’Ougandais Yoweri Museveni, le Rwandais Paul Kagamé, l’Érythréen Issayas Afewerki, symbole d’une « Afrique nouvelle ». Les Américains déchanteront quand l’Éthiopie et l’Érythrée se lanceront dans une sanglante guerre fratricide en 1998. Qu’à cela ne tienne : un allié reste un allié.
Président de la transition à partir de juillet 1991, Mélès Zenawi est élu, en août 1994, Premier ministre d’une République démocratique fédérale d’Éthiopie. Il a compris que, pour couper l’herbe sous le pied aux irrédentistes, des sécessionnistes et des régionalistes, il faut concevoir désormais l’Éthiopie comme un ensemble d’ethnies fédérées. Le pays devient un État ethnique où chacun, quand il le désire, conformément à la Constitution, peut faire sécession. Et il tord le cou au sacro-saint principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation cher à l’Union africaine (UA) en accordant l’indépendance à l’Érythrée. Dans l’affaire, il perd tout accès à la mer. C’est sans doute sa plus grande erreur.
Légèrement rondouillard, petit et chauve, Mélès est un homme secret. Sa femme occupe des fonctions importantes dans une entreprise contrôlée par son parti, alors que ses enfants fréquentent le lycée français d’Addis-Abeba. Maître de la dialectique, il est « diaboliquement redoutable dans les débats politiques et intellectuels », constate un observateur. Une intelligence supérieure, qui se laisse rarement désarçonner.
En fonction de ses intérêts, Mélès noue et dénoue les alliances. De 1991 à 1998, alors allié à l’Érythrée, il avait le Soudan dans sa ligne de mire et n’hésitait pas à donner un coup de main aux rebelles du Sud-Soudan. Brouillé avec Issayas Afewerki, il tend la main à Khartoum pour bénéficier de ses ports et se rapproche de l’Égypte. En 1994, il envoie des troupes au Rwanda, expédie à Kabila des armes et des conseillers techniques en 1996-1997. Il dépêche également un contingent au Burundi en 2003, à la demande du président sud-africain Thabo Mbeki, avec lequel il entretient d’excellents rapports. Selon Delphine Lecoutre, chercheuse à l’Institut d’études éthiopiennes de l’université d’Addis, toutes ces actions ont un but : montrer que son pays est favorable à la paix, utiliser à bon escient la culture militariste en accumulant une expérience de terrain.
Il n’en est pas autrement en Somalie, où Mélès est soupçonné de vouloir « satisfaire pleinement l’intérêt national » en soutenant « un État de préférence faible et découpé en blocs – Somaliland, Puntland et Jubaland -, par l’adoption d’une approche paternaliste vis-à-vis de clans amis et par des incursions militaires au nom du maintien de la paix de la stabilité sous-régionale, de la crainte de l’irrédentisme somali et de la lutte contre le terrorisme ». Au risque de devenir, par la force des choses, un occupant.

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