Meurtrier fiasco

Les frappes « chirurgicales » déclenchées par les Américains dans le sud du pays manquent leurs cibles – les terroristes d’al-Qaïda – avec une navrante régularité. Mais pas les civils innocents !

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 4 minutes.

Une centaine de morts, des troupeaux décimés, des pistes rurales éventrées Déclenchés dans la nuit du 7 au 8 janvier, les raids américains sur la Somalie se sont poursuivis le 9. Ils ont ajouté au traumatisme d’un pays en proie au chaos et livré, depuis 1991, à de sanglants affrontements entre bandes rivales. Officiellement, l’opération militaire a été engagée sur la base d’« informations concernant la présence de hauts responsables d’al-Qaïda dans le pays ». Selon un porte-parole du département d’État, Tom Casey, elle visait à « atteindre des cibles terroristes clairement identifiées ». Objectif raté. Après le cuisant échec de l’opération « Restore Hope » et leur retrait précipité, en 1994, les États-Unis, qui n’ont décidément pas la main heureuse en Somalie, ont cette fois raté les trois principaux terroristes qu’ils cherchaient à abattre. Ni le Comorien Fazul Abdullah Mohammed ni le Kényan Saleh Ali Saleh Nabhan, l’un et l’autre soupçonnés d’être impliqués dans les attentats de 1998 contre les ambassades américaines à Nairobi et à Dar es-Salaam, ni le Soudanais Abou Talha al-Sudani, un expert en explosifs réputé proche d’Oussama Ben Laden, n’ont en effet été touchés par les bombes américaines.
Comme dans toutes les opérations lancées depuis le 11 Septembre par l’administration Bush contre « l’internationale terroriste », les principales victimes sont des innocents. Le bilan que Mélès Zenawi, le Premier ministre éthiopien, principal allié de Washington dans la sous-région, s’est empressé de dresser a vite été démenti par le non moins proaméricain gouvernement intérimaire somalien. Le 9 janvier, Abdirhaman Dinari, le porte-parole de celui-ci, a fait cette déclaration étonnante : « La cible était un petit village où les terroristes se cachaient. L’avion a frappé cette cible avec précision. Beaucoup de gens ont été tués, beaucoup de cadavres s’étalaient dans la zone, mais nous ne savons pas de qui il s’agissait. Le raid a toutefois été un succès. »
Ces « dommages collatéraux » n’avaient rien d’imprévisible. L’armée américaine a délibérément frappé des zones où la population est relativement dense, au moyen d’engins aux capacités de destruction avérées. L’appareil utilisé est parti du camp Lemonier, à Djibouti, où, depuis 2003, stationnent 1 500 boys. Il s’agit d’un Hercules AC 130 Spectre, le plus redoutable bombardier dont disposent les forces spéciales américaines. Il est capable de transporter des armes lourdes (mitrailleuses, canons de 105 et de 40 mm, miniguns) et tire dans un axe perpendiculaire à sa trajectoire. « Cet appareil provoquant des dégâts de très grande ampleur, on peut rêver mieux comme frappe chirurgicale », commente un responsable américain dans le Los Angeles Times.
Après le retour de mission de l’AC 130, qui a apponté sur le porte-avions Eisenhower tôt dans la matinée du 8 janvier, les Somaliens voulaient croire que leur calvaire touchait à sa fin. Las, dès le lendemain, des hélicoptères de combat américains ont entamé une série d’attaques dans le sud du pays, où les combattants de l’Union des Tribunaux islamiques se sont réfugiés après leur défaite face aux troupes éthiopiennes. Objectif ? Démanteler une base présumée d’al-Qaïda à Ras Kamboni. Encore raté ! Les tirs ont touché des civils à Bankajirow, à 200 km de là. En dépit du carnage, un notable local s’est permis d’ironiser : « Les avions américains ont vu des carrioles tirées par des ânes en train de traverser des prairies. Ils ont dû penser qu’il s’agissait d’islamistes en fuite. »
Les protestations ont aussitôt afflué, en provenance du monde entier : de Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, à Louis Michel, le commissaire européen au Développement, en passant par François Lonsény Fall, le représentant spécial de l’ONU en Somalie. Mais sans réussir à stopper une ingérence militaire désormais directe des États-Unis dans les affaires intérieures somaliennes. Les troupes éthiopiennes qui ont envahi le pays à partir du 24 décembre étaient plus ou moins discrètement accompagnées par des « conseillers » américains. Ces derniers travaillent aujourd’hui ostensiblement à leurs côtés. Jusqu’ici affecté au soutien des forces de l’Otan en Afghanistan, à partir du Golfe, le porte-avions USS Dwight Eisenhower, de la Ve flotte de l’US Navy, est arrivé le 9 janvier dans l’océan Indien, où il a rejoint trois autres navires mouillés au large de la Somalie, officiellement pour empêcher toute fuite par la mer des combattants islamistes. Plusieurs des 60 appareils qu’il transporte ont entrepris de survoler le territoire somalien pour collecter des renseignements. Des chasseurs-bombardiers Hornet et Superhornet, qui ont démontré leur meurtrière efficacité en Afghanistan, se trouvent également à bord du porte-avions.
Bref, comme en Irak ou en Afghanistan, les Américains semblent bien partis pour s’embourber dans la Corne de l’Afrique. Avec les troupes éthiopiennes dans le rôle de l’Alliance du Nord et les membres des Tribunaux islamiques dans celui des talibans. Et si les frappes chirurgicales dans le sud de la Somalie sont aussi efficaces que celles déclenchées depuis cinq ans dans les montagnes de Tora Bora, il est à craindre que la « guerre mondiale contre le terrorisme » aboutisse à un fiasco planétaire.

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