Maroc : l’alternative du diable

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 2 minutes.

Les prisons marocaines seraient-elles devenues des écoles de salafisme ? Quatre-vingts pour cent des quelque quatre mille cinq cents islamistes radicaux interpellés depuis les attentats de Casablanca, le 16 mai 2003, ont été libérés, mais on estime que la plupart des détenus élargis se tiennent toujours – voire plus que jamais – à la disposition des réseaux. Une armée de réserve dans laquelle puisent volontiers les nouvelles cellules à vocation terroriste, dont le démantèlement quasi mensuel ne fait plus la une des médias.
Ce phénomène de banalisation ne laisse pas d’inquiéter les spécialistes. La presque-totalité des groupes arrêtés en 2006 avaient en effet dans leurs cartons des projets d’attentats ciblés – intérêts américains, touristes européens, personnalités marocaines – très proches de la phase exécutoire. À l’exception du réseau Ansar al-Mahdi, mis au jour en juillet-août 2006, dont le chef, Hassan Khattab, comptait sur l’existence de cellules au sein de l’armée pour faire l’économie de « stages de formation » à l’étranger, tous ont des liens avec la nébuleuse salafiste internationale – via la diaspora marocaine en Europe ou, plus directement, avec les voisins du GSPC algérien.
Fait notable, qui illustre paradoxalement l’attachement légendaire des Marocains à leur patrie, la formation au terrorisme reçue en Algérie, en Afghanistan ou en Irak (où opéreraient cent cinquante moudjahidine originaires du royaume) n’est pas conçue comme un but en soi, mais comme une étape sur le chemin du véritable djihad : celui qui aura lieu au Maroc même. Ces groupes aux appellations variées et dont les liens interactifs sont parfois ténus (seul le Groupe islamique combattant marocain, le GICM, bénéficierait du label al-Qaïda décerné par Aymen al-Zawahiri) envisageaient d’ailleurs, pour la plupart, d’implanter des maquis permanents dans les montagnes du Rif. Un objectif largement fantasmatique, nourri par les rapports parfois étroits que les apprentis djihadistes entretiennent avec les narcotrafiquants du Nord auprès desquels ils se procurent volontiers des armes.
Si l’heure n’est évidemment pas au « grand soir » islamiste, encore moins à la généralisation du terrorisme sur le territoire, le risque de nouveaux attentats au Maroc demeure donc réel. Les « munitions » humaines ne manquent pas, les pyromanes non plus. Dans ces conditions, le travail répétitif qu’accomplissent police et justice en s’efforçant de ne point trop écorner cette fragile conquête du règne de Mohammed VI qu’est l’État de droit – arrêter, juger, emprisonner, libérer ; puis réarrêter, rejuger et emprisonner à nouveau les mêmes – s’apparente à celui de Sisyphe.
Ceux qui rêvent de voir l’ombre d’al-Qaïda planer sur le Maghreb s’efforcent de placer les autorités marocaines devant l’alternative du diable : soit les attentats se multiplient, soit l’ouverture démocratique se referme et ressurgissent les années de plomb. Dans un cas comme dans l’autre, ils joueraient gagnants. C’est dire si la marge de manuvre d’un pouvoir très soucieux d’éviter l’une et l’autre de ces dérives est étroite.

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