Le Camerounais qui semait la mort

La Pologne découvre avec effroi la face cachée de Simon Mol. Figure emblématique de la lutte pour les droits des immigrés à Varsovie, il est accusé de propagation du VIH.

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 5 minutes.

Simon Mol, 33 ans, journaliste et poète d’origine camerounaise réfugié en Pologne, était devenu une personnalité symbole de la communauté noire de Varsovie. Il a pourtant été arrêté le 5 janvier, pour propagation du sida. Quatre Polonaises accusent cet anglophone né à Buéa, dans le sud-ouest du Cameroun, de leur avoir « sciemment transmis » le VIH. Mais le parquet de Varsovie estime que le nombre de personnes infectées pourrait s’avérer bien plus important. L’affaire fait frissonner d’effroi la très catholique Pologne, déjà éprouvée par les récentes démissions de Janusz Bielanski et de Stanislaw Wielgus, respectivement recteur de la cathédrale Wawel de Cracovie et archevêque de Varsovie, pour collaboration avec la police secrète communiste.
Arrivé en Pologne en 1999 en provenance du Ghana, Simon Moleke Njie, de son vrai nom, est passé à tabac par un groupe de skinheads néofascistes et xénophobes en 2001. L’événement fait naître sa vocation pour la lutte antiraciste, qui va occuper une partie de son activité débordante. En 2002, il organise une campagne visant à bouter le racisme hors des stades, où ce phénomène ainsi que celui de l’antisémitisme prospèrent comme le gazon du terrain. Les tribunes sont pleines de hooligans affiliés au parti fasciste National Revival of Poland (NOP). L’engagement de Simon Mol lui vaut en 2003 d’être désigné « Antiraciste de l’année » par le Nigdy Wiecej (« Plus jamais ça »), le SOS racisme polonais.
La même année, la fondation Polonia Global Fund le fait « Homme du mois » d’avril. Cette fois, c’est le poète qui est distingué : Mol, est l’auteur de Africa my Africa, un recueil de 22 poèmes en anglais (traduit en polonais en novembre 2002) qui sera suivi d’un autre, The Goddess from Mount Africa. Le talent de plume du Camerounais s’accompagne de bien d’autres qualités. Il déclame souvent ses poèmes en jouant du tambour. Comble d’exotisme, il entonne un chant en bakweri, la langue de son Buéa natal, à la suite de chaque récitation au rythme des percussions africaines. Doté d’un physique plutôt avantageux, le personnage séduit dans son pays d’accueil.
À l’occasion de la remise du prix, le traducteur Edward Osiecki lui rend ainsi hommage : « La poésie de Mol est une aventure. Les oiseaux en cage ne chantent pas. Il est impressionnant de voir un tel oiseau chanter d’une façon si extraordinaire qu’il en mérite récompense. »
Le succès de ses écrits ne lui vaut pas qu’une gloire de comptoir de café : la communauté universitaire lui manifeste beaucoup d’intérêt. Quelques morceaux choisis sont proposés aux étudiants de la faculté d’études orientales d’une université de Varsovie, dont Cameroon Tower of Babel, dans lequel l’enfant de Buéa fait la « description anthropologique » de la cohabitation de près de 300 langues dans un pays qui compte 16 millions d’habitants.
Mol est également très actif dans l’association des réfugiés politiques de Pologne dont il est l’un des membres fondateurs. Une structure rendue nécessaire par l’augmentation constante du nombre de demandeurs d’asile, notamment depuis l’entrée du pays dans l’Union européenne, en mai 2004. Et c’est dans cette Pologne en proie à des convulsions xénophobes que Simon Mol, qui a obtenu le statut de réfugié en 2000, peu après son arrivée, décide de militer pour le droit d’asile. Il fonde et dirige une troupe de théâtre composée de réfugiés comme lui. Début juillet 2006, après une représentation au festival d’Olsztyn, dans le nord du pays, un des comédiens, demandeur d’asile marocain, est violemment agressé et laissé pour mort par des inconnus. La police locale conclut à un acte de violence à l’alcool. Simon Mol crie à la ratonnade raciste.
Ses activités de journaliste ne sont pas moins denses. Il édite un périodique, Voice of Exile, et se présente sur son blog comme journaliste au Warsow Voice, 45 000 lecteurs, premier hebdomadaire de langue anglaise de Pologne. Mais au lendemain de son inculpation très médiatique, la rédaction du magazine, dont la gêne est perceptible, prend ses distances et le confine au rôle de simple collaborateur occasionnel. Pourtant, le journalisme, à l’en croire, est son premier métier. Celui qui lui vaut d’être réfugié politique si loin de son pays. Au Cameroun, seul le très sérieux Cameroon Post reconnaît avoir reçu deux tribunes depuis… la Pologne, signées de Simon Mol. Qui déclare également avoir travaillé pour deux périodiques anglophones The Sketch et Cameroon Life Magazine. Mais personne parmi les professionnels locaux ne s’en souvient.
Le premier a cessé de paraître depuis plus de dix ans et son promoteur est mort. C’est pourtant au cours de cette période qu’il dit avoir été contraint de quitter son pays à la suite d’ennuis avec la police. Son périple va le mener au Gabon, en Guinée équatoriale, au Nigeria, avant son installation au Ghana en 1997. À Accra, il prend vite ses marques et intègre la presse locale. Il commence au Ghanaian Democrat, proche du Congrès national démocratique (NDC) de Jerry Rawlings, alors au pouvoir. Mais – il l’affirme lui-même – travaille en même temps pour le concurrent et ennemi Weekly Insight, proche de l’opposition la plus radicale.
Le manège finit par lui attirer des ennuis. En 1999, il est arrêté à l’aéroport international Kotoka d’Accra, pour avoir essayé de quitter le pays muni d’un faux passeport. C’est au cours de son séjour de six semaines en prison qu’il se découvre des talents de prosateur. Il produit des écrits d’inspiration lyrique et poétique sur sa détention et son existence tourmentée. Avec l’aide d’une association locale de journalistes, il se retrouve en Pologne à l’occasion d’un congrès, demande et obtient l’asile politique.
Si l’enquête prouve sa culpabilité, Simon Mol risque dix ans de prison. Malgré la mobilisation des militants des droits de l’homme qui ferraillent ferme pour que l’on cesse de criminaliser la transmission du VIH survenue au cours d’un rapport sexuel consentant, la justice n’a jamais hésité à condamner les séropositifs inculpés pour propagation du sida. Le 7 décembre dernier, en France, le tribunal correctionnel de Nanterre a condamné Maria Do Carmo Teixeira, 39 ans, à deux ans de prison dont quatorze mois avec sursis pour avoir transmis le sida à son compagnon en 2000, alors qu’elle se savait séropositive. La même décision a accordé à la victime 6 000 euros au titre du préjudice moral. Plus sévère, la justice canadienne a condamné le Québécois Michel Longtin à dix ans de réclusion pour les mêmes faits.
Simon Mol n’en est pas encore là. Quant à sa personnalité plutôt trouble, il se charge de la résumer lui-même, dans son poème « The Son of Efasamoto ». Mol se dit le fils de la divinité bakweri qui hanterait le mont Cameroun (4 070 mètres, non loin de Buéa) : « C’est la nature de l’homme d’avoir plusieurs faces / Certains m’aiment comme artiste et me détestent comme Africain / D’autres m’aiment comme footballeur et me haïssent comme dénonciateur social / Il y en a qui m’aiment comme poète et me haïssent comme journaliste… »
Mais nulle part Simon Mol n’avait évoqué sa face cachée, celle d’un Casanova irresponsable qui vient de se révéler au grand jour. Et qui pourrait bien lui coûter très cher.

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