Jusqu’où ira la grogne ?

Laxisme ? Prudence ? Le silence du pouvoir face au malaise de la troupe qui s’est violemment manifesté dans la rue alimente supputations et controverses.

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 5 minutes.

En dépit des fêtes de Noël et du jour de l’an, la trêve des confiseurs n’aura pas eu lieu, ou si peu, au Burkina. « Décembres noirs », seront même tentés de lancer les plus superstitieux. Les plus âgés verront dans les événements de décembre 2006 une résurrection des journées de décembre 1965, qui avaient conduit à la chute du régime de Maurice Yaméogo, le père de l’indépendance. Les plus jeunes ne manqueront pas de faire un rapprochement avec l’assassinat, le 13 décembre 1998, du journaliste Norbert Zongo. En attendant, tous se demandent quel sera l’épilogue du mouvement des hommes du rang lancé peu avant Noël contre les flics accusés d’avoir tué l’un des leurs lors d’une altercation en marge d’un concert de coupé-décalé. Et s’inquiètent de la tension et de ses manifestations.
Dernière manifestation en date de celle-ci : la grogne des gardes de sécurité pénitentiaire de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (Maco). Dans la nuit du 4 au 5 janvier, les matons, victimes collatérales de l’expédition punitive des militaires, ont laissé éclater leur colère. Les soldats avaient alors permis à quelque 600 détenus de prendre la fuite, mais aussi détruit une bonne partie du matériel de la prison et surtout cassé les « chars » – les mobylettes – du personnel. Des dégâts importants qui étaient venus s’ajouter au bilan déjà très lourd des affrontements entre agents de défense et de sécurité. Les combats s’étaient soldés par une dizaine de morts et des millions de F CFA de travaux à réaliser pour remettre sur pied le commissariat central et la direction générale de la police. Ils avaient aussi contraint le président Blaise Compaoré à reporter sine die les sommets des chefs d’États de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) à la veille de leur ouverture : un camouflet inédit pour le régime.
Plus préoccupant : la grogne des hommes du rang, dont les revendications n’ont cessé d’évoluer, s’est poursuivie au lendemain du week-end de la Saint-Sylvestre, déjà très agité. Le 29 décembre, au moment même où Compaoré recevait les vux des corps constitués dans sa nouvelle résidence, le palais de Kosyam, à Ouaga 2000, une centaine d’hommes du Groupement de commandement d’appui et de soutien (GCAS) du camp Sangoulé-Lamizana sillonnaient, l’arme au poing, les quartiers de Pissy, Gounghin et Boulmiougou, dans l’ouest de la capitale.
Les 30 et 31 décembre, le mouvement semblait de nouveau faire tache d’huile avec les garnisons de Kaya et de Bobo Dioulasso, qui déambulaient cette fois en plein centre-ville, toujours dans la plus grande impunité. En outre, l’opération vengeresse des militaires contre les policiers qui avaient tué l’un des leurs lors d’une altercation, le 17 décembre, s’est très vite muée en une litanie de revendications plongeant leurs racines dans un passé lointain : versements de primes non perçues, soldes dérisoires, promotions au compte-gouttes, équipements obsolètes, etc.
Du simple Ouagalais au chef de l’État, qui a jugé la situation suffisamment grave pour annuler ses quelques jours de repos prévus au Kenya pour la fin d’année, il y a des lustres que les Burkinabè n’avaient plus assisté à une aussi violente charge de la « grande muette ». La dernière fois que la troupe avait défilé, c’était le 15 juillet 1999. Elle avait alors protesté pour obtenir le versement de différentes primes liées à son engagement dans les missions de maintien de la paix. Mais, à l’époque, les manifestants s’étaient contentés de marcher sans armes et sans rien casser. Aujourd’hui en revanche, les fusils sont sortis et se sont même, en partie, mystérieusement volatilisés
La disparition de ces armes invalide, pour beaucoup, la thèse du simple dérapage d’une armée mal tenue. D’autant plus que Compaoré n’a jamais eu la réputation de léser un corps auquel il a lui même appartenu. Au contraire : il semble avoir tout fait pour montrer aux militaires qu’il ne les a jamais oubliés. C’est lui qui a, en effet, décidé de réactiver le système des promotions dans les garnisons à la suite de la « réorganisation et du recasernement » du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), le 21 mai 1999. L’objectif était alors de redonner aux hommes du rang l’espoir de prendre du galon et de faire carrière sous les drapeaux. C’est lui aussi qui, en 1992, avait décidé de rouvrir l’école du Prytanée militaire du Kadiogo (PMK) huit ans après sa fermeture. C’est lui enfin qui a signé la reprise des défilés militaires, le 1er novembre 2006, à l’occasion du 46e anniversaire de la constitution des Forces armées nationales (FAN), et leur a permis de parader à nouveau dans le cur de la capitale burkinabè Tout un symbole.
N’empêche, le malaise des casernes est désormais dans la rue. Il alimente les conversations dans les couloirs des ministères. Pour les uns, la poussée de fièvre des militaires n’est rien d’autre qu’une manifestation bruyante orchestrée par quelques anciens du RSP qui ont voulu faire savoir combien ils ne digéraient pas leur redéploiement dans les garnisons du pays ni leur retour dans le giron du ministère de la Défense, alors qu’ils dépendaient autrefois du seul chef de l’État. Pour d’autres, c’est un message – maladroit – adressé aux autorités par de jeunes soldats qui se sentent mal aimés.
Une thèse que partage aussi Me Bénéwendé Sankara, le leader de l’Union pour la renaissance/Mouvement sankariste (Unir/MS, opposition). Pour lui, les représailles menées par la troupe en décembre traduisent le sentiment de frustration de la troupe, coincée entre un corps d’élite en charge de la protection des institutions et une police puissante et bien habillée qui n’hésite plus à lui tenir la dragée haute. Le gros du régiment ne disposerait plus que de ses « casernes vides et de son ceinturon », explique Me Sankara, avant de conclure : « Nous avons désormais une armée sans vocation au Burkina. »
« La police et les Compagnies républicaines de sécurité (CRS) ont effectivement bénéficié d’importantes dotations en matériel pour lutter contre l’insécurité croissante dans le pays, complète Newton Ahmed Barry, rédacteur en chef du bimensuel L’Événement. La multiplication des patrouilles pour sécuriser le pays et la présence plus fréquente des agents de sécurité burkinabè dans les contingents de l’ONU à l’étranger ont permis aux policiers de voir leurs revenus augmenter, grâce aux indemnités. » Et, parallèlement, de concurrencer l’armée.
Mais dans le film de cette poussée de fièvre des casernes, le plus étonnant est peut-être encore le mutisme du pouvoir, qui semble prendre son temps. Le chef de l’État n’a pas jugé bon d’intervenir auprès de ses concitoyens avant ses vux traditionnels de nouvel an, le 31 décembre. Tout juste s’est-il borné, dans son adresse au pays, à présenter « les condoléances de la nation aux familles des victimes de cette violence injustifiable » et à engager « fermement les premiers responsables à inculquer aux hommes en tenue les qualités humaines et professionnelles à la hauteur de leurs missions ».
Prudence ? Perplexité ? Laxisme ? D’aucuns supputent que la stratégie du palais est d’agir en coulisse pour localiser et récupérer les armes disparues et remonter jusqu’aux responsables. Avec, en ligne de mire, l’idée de faire payer les vrais trouble-fête et non quelques lampistes pour temporiser.

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