GSPC : l’épopée sanglante

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 5 minutes.

Dès l’annonce des affrontements, le 3 janvier, entre une bande de « dangereux criminels » et les forces de l’ordre tunisiennes, les soupçons se sont immédiatement portés sur les islamistes algériens du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Créé en 1998 par Hassan Hattab, cadet d’une fratrie dont la célébrité dans les milieux djihadistes remonte aux années 1980, le GSPC est le dernier-né – et l’unique survivant – des nombreuses organisations qui mènent la « guerre sainte » en Algérie.
Jugé moribond, asphyxié par les défections et laminé par les coups de boutoir des forces de l’ordre, le GSPC a, le 11 septembre 2006, officiellement fait allégeance à al-Qaïda. Le résultat ne s’est pas fait attendre : utilisation de nouvelles techniques pour les attentats à l’explosif, assassinats ciblés, attaques contre des ressortissants étrangers et communication à tout-va. Désormais, la moindre embuscade, le moindre braquage d’un convoi de transport de fonds est filmé et diffusé sur Internet, voire transféré par MMS à des dizaines de milliers de téléphones cellulaires.
Par ailleurs, les échanges épistolaires entre Abou Moussab al-Zarqaoui, le défunt chef d’al-Qaïda en Irak, et Abdelmalek Droukdel, alias Abou Moussab Abdelwadoud, l’émir national du GSPC, ont conféré à l’organisation salafiste algérienne une dimension régionale, voire internationale. Pour elle, l’invasion de l’Irak a été une aubaine. Elle lui a permis de relancer le recrutement de combattants, qui avait sérieusement tendance à se tarir. D’autre part, les volontaires partis mener le djihad en Irak y ont appris des techniques de guérilla qu’ils ont, dès leur retour, mises en pratique dans les maquis du GSPC en Kabylie, dans les Aurès et aux confins du Sahara. Reste à savoir si les salafistes algériens ont véritablement les moyens de déstabiliser le Maghreb et le sud de l’Europe. Pour répondre à cette question, un retour en arrière s’impose.
Février 1998. Oussama Ben Laden invite dans son repaire afghan, la « tanière des lions », comme il l’appelle, plusieurs chefs d’organisations islamistes armées, des sécessionnistes cachemiris de Lashkar Taiba aux Yéménites de Djeich Aden, en passant par les Égyptiens du Djihad islamique. Tout son état-major est là : Aymen al-Zawahiri, son fidèle lieutenant ; Mohamed Atef, alias Abou Hamza al-Masri, son chef militaire ; Seïf al-Adl al-Libi, son responsable opérationnel ; et Abou al-Ghit al-Koweïti, son conseiller en communication. Au cours de cette réunion, un Front mondial contre les juifs et les croisés est créé. Et la situation du djihad dans le monde analysée en détail. En Algérie, alors théâtre d’une véritable insurrection islamiste, elle est jugée préoccupante. Les actes de pure barbarie perpétrés par les Groupes islamiques armés (GIA), que dirige à l’époque Djamel Zitouni, desservent la Cause, tranche l’état-major djihadiste.
Très vite, une scission est suscitée au sein des GIA par Abou Qotada al-Filistini. Ce Palestinien résidant à Londres porte une double casquette – ou un double turban : il est à la fois le mufti des GIA et le missi dominici de Ben Laden en Europe. Hassan Hattab est chargé de créer une nouvelle organisation purement salafiste. D’emblée, le GSPC affiche sa différence avec les GIA : interdiction des attaques contre les civils ; priorité absolue aux objectifs militaires. C’est du moins ce qu’affirme la littérature du GSPC. Dans les faits, on en revient vite aux sanglantes pratiques des faux barrages et des expéditions punitives contre les villageois qui refusent d’acquitter la « dîme révolutionnaire ».
Le GSPC est organisé en régions militaires. Deux d’entre elles échappent peu à peu au contrôle de Hattab. La cinquième, qui s’étend des Aurès jusqu’à la frontière tunisienne, est militairement la plus active. Dirigée par Abderrezak el-Para, elle multiplie les attentats meurtriers contre les forces de l’ordre. La sixième, qui couvre l’ensemble du Sahara algérien, est dirigée par Mokhtar Ben Mokhtar, alias Laouer (« le Borgne »), qui va s’employer à prendre le contrôle d’une partie de la très lucrative contrebande entre les pays du Sahel et le Maghreb.
En 2000, Ben Laden dépêche en Algérie un Yéménite, Abdelwahab Alwani, alias Abou Mohamed, pour prendre langue avec les salafistes locaux. Objectif : reprendre en main le GSPC pour en faire l’instrument de l’extension du djihad en Afrique. L’itinéraire emprunté par Alwani est à lui seul tout un programme. Parti de Sanaa, il gagne Mogadiscio, puis Addis-Abeba, Khartoum, N’Djamena et Niamey. Dans la capitale nigérienne, il est pris en charge par Ben Mokhtar, qui le conduit jusqu’aux maquis algériens. Mais le chef de la 6e région, qui soupçonne Hattab de n’être pas insensible aux offres de paix du président Bouteflika, décide de le court-circuiter et de conduire le représentant de Ben Laden dans les Aurès, le fief d’el-Para, en qui il a davantage confiance. En septembre 2000, le Yéménite est repéré et abattu dans une ferme isolée près de Batna, mais le message de Ben Laden est parvenu à destination. Le GSPC est invité à favoriser l’émergence de deux organisations distinctes : al-Qaïda fi bilad al-berbar (al-Qaïda au pays des Berbères, autrement dit le Maghreb) et al-Qaïda fi bilad as-soudan (al-Qaïda au pays des Noirs).
En 2003, el-Para quitte les Aurès pour le Sahel. Mais ce vaste territoire est encore trop exigu pour deux renards de cette importance. Un « Yalta salafiste » est conclu en plein désert : la partie occidentale, entre la Mauritanie et la ville nigérienne d’Agadez, échoit à « MBM », tandis qu’el-Para hérite du Tibesti, entre la Libye et le Tchad. En route pour « son » territoire, ce dernier est piégé par des rebelles tchadiens, qui, en 2004, le livrent aux autorités algériennes. C’est donc le Sahel occidental qui inquiète aujourd’hui les Américains, les Algériens et, à un degré moindre, les Français. Ces derniers soupçonnent en effet l’allié d’outre-Atlantique d’exagérer à dessein la menace salafiste pour s’implanter dans ce qui reste de leur « pré carré ».
Les hommes de MBM se signalent périodiquement par des attaques contre des militaires mauritaniens ou maliens. Parfois contre des gardes-frontières algériens. L’émir borgne du Sahel a réussi à reconstituer ses effectifs en enrôlant des Mauritaniens, des Nigérians, des Maliens et des Tchadiens. Le 8 janvier, trois Mauritaniens membres du GSPC ont ainsi été arrêtés à Nouakchott. Ils préparaient apparemment une attaque contre le rallye Paris-Dakar.
Mais les ambitions du GSPC ne se limitent pas au Sahel. Les contacts avec les salafistes marocains et libyens sont de plus en plus étroits. Restait la Tunisie. En décembre 2006, une colonne du GSPC comprenant certains éléments étrangers a été aperçue du côté de l’oasis d’El-Oued, une terre d’élection des candidats au djihad, hier en Afghanistan, aujourd’hui en Irak. Selon toute apparence, elle venait de la région de Taoudeni, au Mali (voir carte page 60). Sa direction probable ? La frontière tunisienne.

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