Demain l’apocalypse ?

Selon l’hebdomadaire britannique The Sunday Times, Tel-Aviv met la dernière main à une opération visant à détruire, au moyen d’une frappe nucléaire, les sites d’enrichissement d’uranium de la République islamique.

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 8 minutes.

« Israël prépare une attaque nucléaire contre l’Iran », annonçait en une le Sunday Times de Londres dans sa livraison du 7 janvier. L’article, signé Uzi Mahnaimi et Sarah Baxter, s’étale sur plusieurs pages et s’accompagne de croquis didactiques sur les différentes phases de l’opération projetée : attaque, cibles, première bombe, frappe nucléaire, explosion À Jérusalem, le ministère des Affaires étrangères a démenti les révélations de l’hebdomadaire britannique et assuré qu’Israël était en phase avec la politique des sanctions adoptée par la communauté internationale. Un responsable (anonyme) s’en est pris au Sunday Times, accusé de publier des scoops qui « se révèlent être des pétards mouillés ». Fourmillant de détails, citant souvent ses sources, développant sur des points précis des analyses cohérentes, l’enquête ne laisse pas une telle impression. Voyons de plus près.
Deux escadrilles de l’armée de l’air israélienne, l’une basée à Hatzerim, dans le désert du Néguev, l’autre à Tel-Nof, au sud de Tel-Aviv, s’entraînent sur les vols longue distance, jusqu’à Gibraltar, pour mettre la dernière main à un plan visant à détruire les installations nucléaires en Iran. C’est le général Eliezer Shkedi, le commandant de l’aviation, qui supervise personnellement les préparatifs. Le scénario prévoit l’attaque de trois cibles. La première : Natanz, le bunker enfoui et hyperprotégé au sud de Téhéran où les Iraniens enrichissent l’uranium.
Un pilote devra lancer tout d’abord une bombe conventionnelle téléguidée au laser pour forer un passage dans les couches de béton. D’autres pilotes enchaîneront en lâchant dans le « tunnel » creusé des bombes nucléaires à faible puissance de 1 kilotonne. En théorie, elles devraient exploser à une grande profondeur et détruire le bunker. Deuxième cible : l’usine de conversion de l’uranium à Ispahan, proche d’une métropole qui compte 4,5 millions d’âmes. La troisième cible est le réacteur à eau lourde d’Arak, qui pourrait être un jour capable de produire assez de plutonium pour fabriquer une bombe. Dans les deux cas, des engins conventionnels permettent d’atteindre l’objectif.
Toute l’opération suppose une minutie sans faille. « Une telle mission ne peut être réussie à 99 %, a confié au Sunday Times un pilote pressenti. C’est à 100 % ou rien. » Une autre source : « Une fois le feu vert donné, ce sera une mission, une frappe et le projet nucléaire iranien sera détruit. »
Question : les Israéliens sont-ils vraiment obligés, pour atteindre leur objectif, de recourir à la bombe nucléaire ? Tous les gouvernements qui se sont succédé à Jérusalem se sont juré de ne jamais laisser la République islamique acquérir l’arsenal nucléaire. Premier ministre, Ariel Sharon avait ordonné à l’armée d’être prête à s’attaquer au programme nucléaire iranien avec des armes conventionnelles. Depuis lors, les Iraniens ont considérablement renforcé leurs installations nucléaires et leur défense aérienne, réduisant sensiblement les chances de réussite d’une opération conventionnelle. « Il y a vingt-quatre batteries autour de Natanz, c’est l’un des lieux les mieux protégés de la planète », explique une source militaire israélienne. Les salles de centrifugeuses où l’uranium est enrichi sont en sûreté à plus de 20 mètres sous terre. Le professeur Martin van Creveld, un expert israélien, est formel : « L’arme nucléaire tactique est le seul moyen, à supposer qu’il y en ait un, de détruire les sites nucléaires de l’Iran. »
Dès le début des années 1970, Israël s’est doté d’armes nucléaires tactiques utilisables sur le champ de bataille. Et l’on sait qu’elles ont failli être larguées pendant la guerre du Kippour (octobre 1973) lorsque Tsahal était bousculée sur le front de Suez (voir J.A. n° 2398-2399). Dans l’opération contre l’Iran, on devrait utiliser un engin nucléaire de 1 kilotonne (l’équivalent de 1 000 tonnes de TNT), chargé sur un missile bunker-buster, autrement dit à très forte puissance de destruction.
Qu’en est-il des retombées radioactives ? Le Dr Ephraïm Asculai, qui travaille depuis quarante ans à la commission de l’énergie atomique israélienne, les réduit à zéro. Tel n’est pas l’avis du professeur Peter Zimmerman, spécialiste de physique nucléaire au King’s College de Londres.
Pourquoi Israël envisage-t-il de recourir à de telles extrémités ? La première réponse tient en un nom : Mahmoud Ahmadinejad. Les discours du président iranien sur la négation du génocide juif ou l’avenir d’Israël « qui doit être effacé de la carte » ne sont pas considérés comme des provocations sans conséquences ou des rodomontades stupides. À tort ou à raison, ils sont pris au sérieux. Alors qu’Israël a de quoi se défendre puisqu’il dispose déjà de l’arme nucléaire, il craint fiévreusement que l’Iran ne puisse l’acquérir un jour. C’est curieux, mais c’est ainsi. La peur existe et tous les moyens sont permis pour éviter un « second Holocauste ». On suit donc de très près l’entreprise nucléaire et iranienne.
Ahmadinejad a déclaré plus d’une fois que son pays ne travaille que sur l’énergie pacifique, mais le développement de missiles balistiques à longue portée tels que le Shehab 3 ne rassure pas les Israéliens. À en croire leurs services de renseignements, Téhéran aurait récemment procédé à des essais avec ce missile chargé d’ogives factices. Or avec une portée de 1 500 kilomètres, le Shehab 3 peut atteindre n’importe quel point du territoire israélien. Le général Meïr Dagan, chef du Mossad, a déclaré à la Knesset en décembre que les Iraniens disposeront d’un système nucléaire complet en 2009. Dans ces conditions, qu’on songe à une attaque préventive et qu’on le prépare comme l’accréditent les informations publiées par le Sunday Times n’est pas pour surprendre.
Se pose dès lors la question, cruciale entre toutes, de l’autonomie de décision d’Israël par rapport aux États-Unis. Une source proche du Pentagone citée par le Sunday Times admet que pour une frappe contre les sites iraniens, les Israéliens ne peuvent pas faire l’économie d’engins nucléaires. Il s’empresse cependant d’ajouter : « Mais oseront-ils ? »
Une chose est sûre : les Israéliens devront tenir compte des États-Unis. Jusqu’à quel point et de quelle manière ? Michael Rubin, spécialiste de l’Iran et qui officie à l’American Enterprise Institute de Washington, estime que ce qui se dit sur l’utilisation par Israël d’armes nucléaires tactiques est, « selon toute probabilité, une manière de faire pression sur les États-Unis pour qu’ils s’occupent eux-mêmes de l’Iran ».
Que pensent les Américains précisément ? George W. Bush avait pris soin d’inclure l’Iran dans son « axe du Mal ». À première vue, il a trop à faire en Irak pour s’en prendre à l’Iran. Au cours d’une conversation privée dans le Bureau ovale, l’automne dernier, il doutait que l’Amérique possède suffisamment de renseignements pour se lancer dans l’entreprise avec des chances de succès. Le nouveau secrétaire à la Défense, Robert Gates, a déclaré très prudemment devant le Congrès qu’il ne donnerait l’ordre d’attaquer l’Iran qu’« en tout dernier recours ».
L’administration Bush aimerait infliger une correction aux mollahs de Téhéran à qui elle reproche d’intervenir au Liban et en Irak. À tout le moins, elle voudrait les persuader que les États-Unis pourraient encore décider de les remettre à leur place. La nomination de l’amiral William Fallon comme commandant en chef des opérations militaires dans la région est significative. C’est une manière de suggérer, explique-t-on au Pentagone, qu’une guerre navale contre l’Iran n’est pas exclue Le colonel Sam Gardiner, ancien professeur au National War College, qui a examiné les simulations (wargames) sur des frappes aériennes contre l’Iran, croit qu’une attaque américaine demeure une option. L’envoi dans le Golfe d’un porte-avions américain, ainsi que de dragueurs de mines britanniques, « ne sont pas, dit-il, des gestes en l’air. On ne le fait que si l’on a l’intention de cogner sur l’Iran et d’en assumer les conséquences ».
Les conséquences et les représailles iraniennes sont dans tous les esprits. C’est d’abord le blocage du détroit d’Ormuz par lequel passe une grande partie du pétrole exporté par les États du Golfe. Pour le général John Abizaid, à qui Fallon va succéder, une attaque américaine compromettrait l’approvisionnement en pétrole, relancerait les attentats terroristes et entraînerait des tirs de missiles iraniens sur les alliés des États-Unis au Moyen-Orient.
Gardiner insiste à juste titre sur les répercussions catastrophiques d’une attaque nucléaire d’Israël. L’émotion serait telle dans le monde musulman que la stabilité des régimes pro-occidentaux serait partout menacée. « Il ne faut pas beaucoup d’imagination, dit-il, pour penser que le Pakistan, une puissance nucléaire, peut tomber entre les mains de fondamentalistes musulmans. Cela pourrait signifier que pour empêcher l’Iran d’avoir des armes nucléaires, on en donnerait à un pays terroriste. »
Ces perspectives apocalyptiques devraient en principe imposer la prudence. Selon un haut responsable militaire britannique, une attaque nucléaire d’Israël contre l’Iran est tout simplement « impensable ». « Pour les Israéliens, explique-t-il, le risque d’être le premier et le seul État à utiliser des armes nucléaires depuis 1945 serait considérable. » Et de conclure : « Ils ne peuvent pas prendre une telle initiative. »
Vraiment ? Ephraïm Sneh, le vice-ministre de la Défense israélien, disait récemment : « Au bout du compte, c’est toujours aux Juifs qu’il appartient de régler le problème. » À noter que le même Sneh plaide depuis des années pour une attaque préventive contre l’Iran. Voici ce qu’il déclarait il y a peu au Jerusalem Post : « Le danger n’est pas tant qu’Ahmadinejad attaque Israël, mais qu’Israël soit condamné à vivre sous la menace d’un dirigeant qui a juré sa destruction. Dans ces conditions, la plupart des Israéliens ne voudraient plus vivre ici, la plupart des Juifs de l’extérieur renonceraient à venir avec leur famille et les Israéliens qui en ont les moyens préféreraient s’installer à l’étranger. Je crains qu’Ahmadinejad ne puisse tuer le rêve sioniste sans avoir à presser le bouton. C’est pourquoi nous devons empêcher par tous les moyens son régime de posséder l’arme nucléaire. »
En méditant ces propos, force est d’admettre que l’impensable et la folie pourraient faire partie de l’ordre des choses. Dans Le Diable et le Bon Dieu de Sartre, un personnage dit que « le mal, on y croit après ». Au temps de l’Irak, avec un Israël gouverné par Ehoud Olmert (et Avigdor Liberman) et dans le monde de George W. Bush, on ne risque guère de se tromper en attendant le pire. Et le pire aujourd’hui serait qu’Israël en vienne à déclencher le feu atomique contre la République islamique.

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