Déby Itno, Nour et Kadhafi

Le ralliement au chef de l’État de l’une des figures de la rébellion grâce à la médiation libyenne peut-il en entraîner d’autres ?

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

La grande scène de réconciliation a failli tourner court. Le 17 décembre, lors de sa première rencontre avec Idriss Déby Itno chez le gouverneur de Guéréda, dans l’est du Tchad, Mahamat Nour a vu rouge quand les journalistes sont entrés dans la pièce. « Si des images sont diffusées, je repars en brousse », a-t-il jeté à l’adresse de ses hôtes. Mais une semaine plus tard, à Tripoli, le protocole libyen a tout arrangé. Déby Itno, Nour et Kadhafi se sont donné force accolades. « Je remercie Dieu. Cet accord est un cadeau de fin d’année pour la paix et la réconciliation », a lancé le rebelle repenti, tout sourires. Puis les deux Tchadiens réconciliés sont montés dans le même avion. Direction N’Djamena. Difficile de croire que, huit mois plus tôt, le chef de l’État tchadien avait traité Mahamat Nour de « vil mercenaire à la solde de Khartoum ».
Pourquoi ce ralliement ? Après l’échec de son raid sur N’Djamena, le 13 avril 2006, Mahamat Nour a perdu beaucoup de sa superbe. Le parrain soudanais Omar el-Béchir n’aime pas les perdants. À partir de juillet 2006, il a lâché le FUC (Front uni pour le changement) de Nour au profit d’un autre mouvement rebelle tchadien, l’UFDD (Union des forces pour la démocratie et le développement) de Mahamat Nouri et d’Acheikh Ibn Oumar. Il faut dire aussi que le caractère impulsif et les manières brutales de Mahamat Nour ont fini par lasser à Khartoum. Déjà dans le passé, le chef rebelle avait été soupçonné d’être impliqué dans l’exécution de deux compagnons d’armes, Bachar Abdoulaye au Darfour en 1997, et Safi Garfa à Khartoum en 2003. En juillet 2006, il a de nouveau été mis en cause dans l’assassinat au Darfour des frères Abdelchakour, deux figures du FUC qui venaient de passer à l’UFDD. Comme les deux hommes ont été abattus en plein jour dans une rue d’El-Geneina, la justice soudanaise a ouvert une enquête. Plusieurs parents de Nour ont été entendus.
À quel prix le chef rebelle s’est-il rallié ? Selon plusieurs sources, il aurait reçu la promesse d’un « cadeau » de 10 millions de dollars. La moitié de la somme devrait être versée par le Tchad, l’autre par la Libye. Sur l’échelle des tarifs tchadiens, ce n’est pas excessif. Le ralliement individuel d’un officier se négocie autour de 60 000 dollars. Or le capitaine Nour rentre au bercail avec environ trois cents hommes et une quarantaine de véhicules. Et devrait être promu au grade de colonel ou de général. Il a obtenu également le droit de s’installer avec ses parents tamas dans son fief de l’est du pays, près de Guéréda. La cohabitation avec les Zaghawas de l’armée loyaliste risque d’être difficile. Depuis la première bataille d’Adré en décembre 2005, beaucoup de sang a coulé entre les Tamas et les Zaghawas. Le 9 janvier dernier, une patrouille de l’armée a voulu passer en force à un poste de contrôle du FUC. Une fusillade a éclaté. Un militaire a été tué.
Est-ce une victoire politique pour Idriss Déby Itno ? Pas si simple, car, ces derniers mois, Mahamat Nour n’a pas pesé. Les raids rebelles sur Am Timan, Abéché et Biltine se sont faits sans lui. Toutefois, depuis sa folle chevauchée sur N’Djamena en avril 2006, Nour est un symbole. Pour le chef de l’État tchadien, ce ralliement est donc un joli coup médiatique. Aujourd’hui, un chef rebelle qui reste dans le maquis confie : « Politiquement, cette histoire nous affaiblit un peu, c’est vrai, mais militairement, cela n’enlève rien à notre capacité opérationnelle. » D’ailleurs, l’UFDD de Mahamat Nouri, le RAFD (Rassemblement des forces démocratiques) des frères Erdimi et la CNT (Concorde nationale tchadienne) de Hassan el-Djineidi viennent de mettre en place un état-major conjoint pour coordonner leurs futures opérations militaires.
Après Nour, y aura-t-il de nouveaux ralliements ? Pas sûr. Certes, avec ses pétrodollars, le président Déby Itno dispose de nouveaux arguments. Mais son homologue soudanais n’est pas en reste et apporte toujours son soutien aux rebelles les plus irréductibles. En fait, ce coup politique met surtout en valeur le colonel Kadhafi. Le 24 décembre à Tripoli, il a joué au grand maître de cérémonie. Quelques jours plus tôt, il avait reçu discrètement une délégation des rebelles jusqu’au-boutistes. Deux fers au feu ? Kadhafi et le Tchad, c’est une longue histoire

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