Course contre la montre

Le régime précipite la libéralisation de l’économie. Pour couper l’herbe sous le pied aux islamistes.

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

A 78 ans, dont plus de vingt-cinq au pouvoir, le président égyptien Hosni Moubarak n’est pas disposé à lâcher du lest. Le 26 décembre, il a annoncé une série d’amendements constitutionnels destinés, à l’en croire, à renforcer la démocratie. Il s’agit apparemment de faciliter la tâche des futurs candidats à la présidentielle de 2012 et de renforcer les pouvoirs du Premier ministre et de l’Assemblée du peuple.
Pourtant, les dernières nouvelles du front ne sont guère encourageantes. Le 7 janvier, la Haute Cour administrative a refusé leur agrément à treize nouveaux partis, parmi lesquels l’islamiste Al-Wassat et le nassérien Al-Karama. « Ce tribunal est partie intégrante d’un système tyrannique », a commenté Aboul Ela Madi (Al-Wassat). ?Sa décision « confirme que la volonté de libéralisation affichée par ?le pouvoir n’est pas sérieuse ».
Reconduit dans ses fonctions pour sept ans, en septembre 2005, avec 88,6 % des suffrages mais un très faible taux de participation (22,9 %), Moubarak s’est empressé de faire condamner son adversaire, Ayman Nour, le leader du parti Al-Ghad (7,3 % des voix), à cinq ans de détention. En dépit d’incessants appels en faveur de sa libération, celui-ci continue de croupir en prison.
Depuis que son pays est rentré en grâce auprès de la Banque mondiale et du FMI, le raïs se soucie en effet comme d’une guigne de l’opinion internationale. « L’économie égyptienne a le vent en poupe », estime Nicole Laframboise, du département Moyen-Orient du FMI. De fait, les réformes lancées en 2004 par le Premier ministre Ahmad Nazif et le ministre des Finances Youssef Boutros-Ghali commencent à porter leurs fruits : 6,9 % de croissance en 2005-2006 et 7,1 % en 2006-2007, 26 milliards de dollars de réserves de change (8,6 mois d’importations), 6,1 milliards d’investissements directs étrangers (IDE) en 2005-2006, contre 2 milliards en 2003-2004 Bref, le « tigre du Nil » se réveille, sous l’effet conjugué de la dépréciation de la livre égyptienne, de la mise en uvre d’un programme de privatisation (banques et entreprises), du doublement du trafic sur le canal de Suez (340 millions de dollars de recettes mensuelles) et de la relance du tourisme (8,6 millions de visiteurs en 2006).
Le 7 janvier, le Forum du Caire sur les investissements s’est risqué à un pronostic. Selon lui, l’Égypte devrait battre en 2007 deux records africains : celui des IDE (8 milliards de dollars) et celui du nombre de touristes (9,1 millions). Mais il a surtout annoncé le démantèlement progressif du « Mougammaa », le temple de la bureaucratie égyptienne (15 000 fonctionnaires), et sa probable transformation en complexe hôtelier. L’administration comptant au total 6 millions d’agents, c’est sans doute une goutte d’eau dans la mer. Mais c’est aussi la preuve que les néolibéraux conduits par Gamal Moubarak, 43 ans, le fils et successeur présumé du chef de l’État, ont le vent en poupe.
Secrétaire général adjoint du parti au pouvoir, Gamal a deux objectifs essentiels : renforcer la classe moyenne et donner à sa future élection à la tête du pays (en 2012) une apparence démocratique. Pour cela, il lui faut procurer un emploi à une partie des 700 000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail. Et donc investir davantage dans le privé et désengager l’État du secteur bancaire et productif. Avec une population de 77 millions d’habitants, l’Égypte ne dispose que d’un PIB de 112 milliards de dollars. Soit moins que celui d’Israël (145 milliards), pourtant dix ou onze fois moins peuplé. Un Égyptien sur quatre vit avec moins de 1 dollar par jour, le seuil de la « pauvreté absolue ». Cette paupérisation galopante est évidemment une aubaine pour les islamistes.
En dépit de tous ses efforts, le gouvernement ne parvient pas à endiguer la montée en puissance de ces derniers. Contraints de se présenter en tant qu’« indépendants » lors des législatives de 2005, les Frères musulmans et consorts ont néanmoins remporté 88 sièges (sur 444) au Parlement, contre 17 cinq ans auparavant. Le report sine die des élections locales et la chasse aux islamistes dans les organisations ouvrières et universitaires permettent à Moubarak de gagner du temps dans l’attente de l’adoption des futurs amendements constitutionnels. Actuellement, pour être autorisé à se présenter à la présidentielle, un candidat doit être membre d’un parti disposant d’au moins 5 % de sièges à l’Assemblée. Quand ce verrou aura sauté, il deviendra presque impossible d’empêcher un islamiste de se présenter. Avec de sérieuses chances de succès.

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