[Tribune] Liban : pourquoi le volontarisme d’Emmanuel Macron ne peut pas tout
Le président français n’a pu que prendre acte de l’échec du Liban à former un gouvernement appelé de ses vœux.
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Raphaël Gourrada
Docteur en sciences politiques et chercheur associé à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Spécialiste des questions de leadership et du conservatisme politique dans la région Afrique du Nord/Moyen-Orient
Publié le 29 septembre 2020 Lecture : 4 minutes.
C’est un discours fort, et en apparence intransigeant, que le président français Emmanuel Macron a délivré en direct du Palais de l’Élysée ce dimanche 27 septembre. Sous sa conduite, la diplomatie française au Liban a effectué un retour proactif après avoir quelque peu négligé ce terrain depuis une dizaine d’années.
C’est également le retour d’une diplomatie de l’interpersonnel. L’« exfiltration » de Saad Hariri, alors Premier ministre, de sa prison dorée saoudienne, par l’intermédiaire des canaux français à l’automne 2017, n’avait pu s’opérer que par l’implication personnelle du Président Macron et de son ministre des Affaires Étrangères Jean-Yves Le Drian.
Un nouveau style s’était alors imposé, renouant avec une tradition d’exclusivité présidentielle du domaine de la politique étrangère française. La Conférence Économique pour le Développement du Liban par les Réformes avec les Entreprises (CEDRE) tenue à Paris en avril 2018 avait également confirmé cette prise de leadership français sur le dossier libanais, encouragée par le relatif désintérêt des traditionnels parrains internationaux (Arabie Saoudite et États-Unis en tête) des enjeux du Pays du Cèdre.
Activisme croissant
Enfin, l’activisme croissant consécutif à la thaoura (révolution) d’octobre 2019 et les récents développements ayant suivi la catastrophe du port de Beyrouth en août dernier, ont vu l’implication personnelle d’Emmanuel Macron sur un terrain pourtant délicat et mouvant où s’enchevêtrent enjeux internationaux, stratégies partisanes et dynamiques locales infracommunautaires.
Depuis ses visites des 6 août et 1er septembre, et l’élaboration d’un calendrier supposé validé par les partis politiques libanais, les enjeux sont de taille pour le président français.
Il en va de l’image internationale de la France au Moyen-Orient, et de sa capacité à se poser en interlocuteur crédible
En engageant sa parole et son charisme personnel, il a misé un important capital crédibilité sur un jeu de roulette truquée. L’investissement d’une puissance diplomatique comme la France ne saurait souffrir de revers au vu de l’énergie déployée sur ce dossier. Il en va de l’image internationale du pays au Moyen-Orient, et de sa capacité à se poser en interlocuteur crédible.
Le non-respect supposé, par les leaders libanais, de leurs engagements, des délais de formation du gouvernement, et le retour des mêmes pratiques clientélistes, sont autant de camouflets pour la diplomatie française. Le ton haussé lors du discours de dimanche 27 septembre n’est donc pas surprenant et était à prévoir.
Rappelons que la France est également garante du versement des quelque 11 milliards de dollars d’aide débloqués lors de la CEDRE, aide conditionnée à la mise en place de réformes structurelles. Paris, comme Beyrouth ont un devoir de résultat.
Changement de discours
Si la ligne directrice française ne semble pas avoir changé, de l’avis même du président français, le discours, lui, a changé. Lors de sa visite chargée d’émotion le 6 août au Liban, deux jours après l’explosion du port de Beyrouth, Emmanuel Macron avait alors eu la démarche salutaire de s’adresser en priorité aux organisations politiques issues de la société civile et ayant émergé à la faveur des mobilisations populaires de ces cinq dernières années.
Il avait même fustigé la classe politique libanaise lors d’une convocation à huis clos à la Résidence des Pins. La visite du 1er septembre laissait entrevoir une sensible inflexion des positionnements : la realpolitik ayant repris le dessus, les leaders traditionnels libanais sont redevenus les interlocuteurs privilégiés de la diplomatie française, leur permettant ainsi de s’acheter un sursis salutaire.
Espérer forcer en moins d’un mois une classe politique fossilisée au sein d’un système rouillé relevait d’une foi un peu naïve
La suite est connue : le non-respect d’un calendrier de deux semaines pour former un gouvernement présidé par Moustapha Adib, le blocage des négociations de portefeuilles ministériels par le tandem chiite Amal-Hezbollah, et enfin la démission d’Adib samedi 26 septembre.
L’approche française pouvait paraître un peu candide : espérer forcer en moins d’un mois une classe politique fossilisée au sein d’un système rouillé qui lui confère néanmoins une rente politique et économique conséquente relevait d’une foi un peu naïve. C’est pour aller à l’encontre de cette apparente crédulité qu’Emmanuel Macron a aussi eu à cœur de hausser le ton dans son récent discours.
Toutefois, cette dureté dissimulait mal l’inconfort diplomatique français face à ce revers. Tenir en otage les milliards de la CEDRE, dénoncer le Hezbollah, tout en maintenant l’objectif de formation d’un gouvernement dit « de mission » et un calendrier « de 4 à 6 semaines », relève de l’équilibrisme. Le président a eu à cœur de rassurer les médias libanais sur une éventuelle lassitude française et la fin de l’initiative lancée depuis quelques mois. Se retirer d’un théâtre d’opération crucial pour la France aussi rapidement en dirait en effet long sur l’impotence de sa diplomatie dans la région.
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