Ban Ki-moon peut-il surprendre ?

Durant ses deux mois de préparation, le nouveau secrétaire général a beaucoup écouté, beaucoup consulté, mais n’a strictement rien révélé de ses intentions sur l’aspect « général » de sa mission.

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 7 minutes.

« J’ai dressé la liste des garnements et celle des enfants sages. Attention : Ban Ki-moon est arrivé ! » C’est en parodiant une célèbre comptine américaine de Noël, où son propre nom avait remplacé celui de Santa Claus, que le nouveau secrétaire général de l’ONU a accueilli ses collaborateurs, le 2 janvier, à l’entrée de l’immeuble de verre de Manhattan. Avec le sourire, bien sûr, un éternel sourire, aussi lisse que sa coiffure, au milieu d’un visage ovale encadré de fines lunettes. L’anecdote a quelque peu tétanisé les 7 500 fonctionnaires de la famille onusienne – et pour cause. Ce Sud-Coréen de 62 ans atterrit à New York avec une terrible réputation de workaholic : il dort six heures par nuit, se vante de n’être jamais arrivé au bureau en retard de toute sa vie, ignore le sens du mot vacances (ministre des Affaires étrangères, il n’a pris que deux jours off, à l’occasion du mariage de sa fille, en trois ans d’exercice) et répond invariablement à la question « quel est votre hobby ? » : « le travail ». Alors que son prédécesseur Kofi Annan débarquait souvent au 38e étage de l’ONU vers 10 heures du matin, lui sort de l’ascenseur à 8 heures tapantes, et on lui prête l’intention d’exiger de son personnel qu’il en fasse de même. Ce côté adjudant, très coréen finalement – on ne passe pas en un demi-siècle du statut de pays pauvre ravagé par la guerre à celui de dixième puissance économique mondiale sans un sens extraordinaire de la rigueur et de la discipline -, est l’essentiel de ce qui a changé à l’ONU. Pour l’instant, tout au moins, car à bien décrypter les premiers pas de cet homme aimable, attentif, aussi charismatique qu’un receveur des postes et manifestement obsédé par le côté secrétaire de son poste, il n’y a guère de différence entre la tour de l’ONU et les usines de Daewoo ou de Kia Motors : le maître mot, c’est la productivité.
Ban Ki-moon a ainsi décidé de dégraisser les effectifs, qu’il estime pléthoriques, du staff laissé par Kofi Annan et, même s’il n’envisage pas de réduire ses propres émoluments de secrétaire général – 25 000 dollars par mois plus les frais -, l’ancien diplômé de Harvard juge que le budget annuel de l’organisation (2 milliards de dollars) pose problème. Sous la componction asiatique des éloges qu’il a adressés à son prédécesseur, Ban Ki-moon n’a d’ailleurs pas hésité à glisser quelques critiques acerbes sur sa gestion. Selon lui, « les heures sombres de la méfiance et de l’indifférence n’ont que trop duré », il faut « restaurer la confiance en l’ONU » et les fonctionnaires doivent savoir que « la fierté n’est pas acquise, elle se mérite ». Pour cela, un seul moyen : la transparence, « dire ce que nous faisons et faire ce que nous disons ». Dans la salle de l’Assemblée générale, ce jour-là, en présence de Kofi Annan, flottait comme un parfum d’« Oil For Food ». Pour bien marquer sa différence, celui dont chacun à Manhattan est désormais tenu de prononcer le nom à la coréenne (Bane Gui Moon) a d’ailleurs décidé de rendre bientôt publique sa déclaration de patrimoine, déposée devant le comité d’éthique. Un pas vers la lumière que le Ghanéen n’avait pas osé faire.
Pour le reste, durant ses deux mois de préparation entre son élection et son entrée en fonctions, Ban Ki-moon a beaucoup écouté, beaucoup consulté, mais n’a strictement rien révélé de ses intentions sur l’aspect « général » de sa mission. Ses premières nominations, plutôt axées vers le Sud, relèvent de l’équilibrisme classique, et sa première bourde (il n’a pas, dans un premier temps, condamné l’exécution de Saddam Hussein alors que l’ONU est opposée au principe de la peine de mort) trahit la difficulté de ce haut diplomate un peu terne, que les journalistes coréens surnommaient « l’anguille », à répondre sans circonvolutions aux questions brûlantes. Menée en coulisse, avec méthode et acharnement, sa campagne électorale a pourtant été un chef-d’uvre du genre. Parti d’une position d’outsider, Ban Ki-moon a conquis une à une les voix nécessaires, n’hésitant pas à s’appuyer sur la logistique – et les promesses – de son pays pour s’imposer. Des États ciblés, comme la Grèce et la Tanzanie (qui siégeaient au Conseil de sécurité), la Gambie (qui abritait un sommet de l’Union africaine), l’Ouzbékistan ou le Congo, ont ainsi bénéficié des largesses de la Corée du Sud. Pour Séoul, l’accession au sommet de l’ONU était une question de fierté nationale, la consécration aussi de sa percée en tant que puissance économique et démocratique. Au final, ce fils de paysan modeste d’Umsong, né pendant l’occupation japonaise et qui dut fuir avec sa famille l’invasion nord-coréenne avant de sortir major de sa promotion à l’université de Séoul, puis d’entamer en 1970 une carrière de diplomate, a été le bénéficiaire d’une sorte de consensus mou unissant, derrière son nom, les États-Unis, la Chine, la France, le Royaume-Uni et, enfin, la Russie. Une victoire à son image : discrète, effacée, mais aussi surprenante.
Premier secrétaire général asiatique depuis le Birman U Thant, il y a trente-cinq ans, Ban Ki-moon se définit avant tout comme un « homme de mission » et comme un « harmonisateur ». Un talent – celui de ne pas avoir d’ennemis – dont il aura bien besoin pour affronter les défis qui l’attendent : Iran, nucléaire nord-coréen, sida, réchauffement climatique, terrorisme, mais aussi drame du Darfour, auquel il est particulièrement sensibilisé (sa fille aînée, qui travaille au sein de l’Unicef, est justement en mission au Soudan) À cela s’ajoutent 18 missions de maintien de la paix et 100 000 Casques bleus à gérer, plus 50 programmes nationaux d’aide humanitaire dont dépendent 30 millions de déshérités, le tout sous le contrôle sourcilleux des cinq membres permanents du Conseil de sécurité aux privilèges exorbitants et sous le regard de plus en plus vindicatif du G77 (en réalité : G131), ce regroupement des pays en développement pour qui tout ou presque se décrypte en termes d’affrontement Nord-Sud. « Mission impossible », disait Kofi Annan. « Mission possible », lui avait répondu par anticipation le Suédois Dag Hammarskjöld, qui fut sans doute le plus grand secrétaire général qu’ait connu l’ONU, à condition de savoir que « l’ONU n’a pas été créée pour amener l’humanité au paradis, mais pour la sauver de l’enfer ». Pour ce faire, Ban Ki-moon jouit de plusieurs atouts. Bien que ne se revendiquant d’aucune confession précise – il a démenti son appartenance à une église du gospel d’inspiration évangélique -, cet amateur de chant, quasi divinisé dans sa bourgade natale depuis son élection, a une foi inoxydable. Diplomate au long cours, il connaît bien la Maison de verre de l’ONU pour y avoir travaillé une dizaine d’années, tant à New York qu’à Vienne auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Parfait anglophone, il commence peu à peu à maîtriser le français à raison de quatre heures de cours particuliers par week-end. Enfin, il entretient, pour l’instant, avec la superpuissance américaine des rapports sans doute plus sains que ceux de son prédécesseur Kofi Annan, passé presque sans transition de la soumission à la rébellion.
Même si sa candidature a bénéficié du soutien de Washington – et de celui du faucon John Bolton, ex-ambassadeur à l’ONU (désormais remplacé par Zalmay Khalilzad) -, la relation entre Ban Ki-moon et les États-Unis est plus complexe qu’il n’y paraît. Ressortissant d’un pays où l’armée américaine dispose toujours d’une vingtaine de bases militaires (l’une d’entre elles jouxte sa propre villa de Séoul) et qui a envoyé un contingent en Irak aux côtés des GI’s, le nouveau secrétaire général est à première vue un homme sous influence. Ses premiers mots d’anglais, il les a appris au contact des boys stationnés en Corée, et c’est à l’issue d’un voyage d’études aux États-Unis, parrainé par la Croix-Rouge – dont le point d’orgue fut une rencontre de groupe avec le président John Kennedy à la Maison Blanche en 1962 -, que Ban Ki-moon a décidé de faire carrière dans les relations internationales. Il compléta d’ailleurs sa formation en ce domaine par un cursus au sein de la prestigieuse université de Harvard. Mais cette proximité culturelle ne l’a pas empêché, à deux reprises au moins, de faire preuve d’indépendance. Début 2001, alors vice-ministre des Affaires étrangères, Ban Ki-moon organise une visite officielle du président russe Vladimir Poutine à Séoul. L’atmosphère est si chaleureuse – et les déclarations d’amitié si enflammées – que Washington en prend ombrage. Résultat : Ban Ki-moon est limogé et reste deux mois en chômage technique. Cette très courte traversée du désert est pour lui une épreuve, « la plus dure de ma vie », dit-il. Contraint à l’inactivité, il n’en dort pas pendant deux semaines. Nommé ministre des Affaires étrangères en janvier 2004, il se démarque à nouveau des positions américaines (et japonaises) sur le nucléaire nord-coréen en prônant une politique conciliatrice : les mots « sanctions » et « respect des droits de l’homme » sont absents de son vocabulaire quand il s’agit des frères ennemis de Pyongyang.
Ban Ki-moon va-t-il nous surprendre ? Sa réaction en deux temps sur la pendaison de Bagdad et les « préoccupations » qu’il a manifestées à l’occasion des raids américains en Somalie ne sont pas en soi suffisamment significatives pour tirer une première conclusion en ce sens. On se contentera donc de ces deux évidences. La première est que la fonction, souvent, transforme l’homme. La seconde est une phrase que le nouveau secrétaire général aime à répéter : « Il ne faut pas se méprendre ; chez nous, le sourire n’est pas synonyme de faiblesse. » Sur l’air de « Ban Ki-moon is coming to town », les fonctionnaires de l’ONU ne devraient pas beaucoup attendre avant de s’en apercevoir.

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