Vers l’égaliténumérique

Le Sommet mondial de la société de l’information s’ouvreà Tunis le 16 novembre. Objectif : rendre le savoir accessible à tous.

Publié le 16 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

« Si nous prenons les mesures nécessaires, tous les habitants de la planète pourront bientôt édifier ensemble une nouvelle société de l’information fondée sur les savoirs partagés, sur une solidarité mondiale et sur une meilleure compréhension mutuelle entre les peuples et les nations. Nous ne doutons pas que ces mesures ouvrent la voie à l’édification d’une véritable société du savoir. » Ainsi se termine la Déclaration de principes adoptée par les représentants de 175 pays, dont près de 50 chefs d’État et de gouvernement et plus de 100 ministres, le 12 décembre 2003, à l’issue de la première phase du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI, ou WSIS en anglais), qui se tenait à Genève, dans la droite ligne des grandes conférences de l’ONU sur les thèmes d’avenir, depuis le Sommet de Rio de Janeiro en 1992 sur l’environnement et le développement, jusqu’à la Conférence sur le financement du développement de Monterrey, au Mexique en 2002. La seconde phase du SMSI se tient à Tunis du 16 au 18 novembre, et doit se centrer sur les questions de développement et de partenariat. Quels enjeux et quelles perspectives se fixe-t-elle ?
La Déclaration de principes adoptée à Genève assimile la révolution numérique à une troisième révolution industrielle qui préfigure l’avènement, en ce début du XXIe siècle, d’une nouvelle société de l’information. L’enjeu principal du SMSI ? Tirer parti des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour promouvoir les Objectifs du millénaire ratifiés à New York en 2000 : réduire la faim et l’extrême pauvreté, assurer l’éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité des sexes, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre le VIH/sida et le paludisme, assurer un environnement durable et mettre en place un partenariat mondial pour le développement. Force est de constater que l’accès aux TIC est inégalement réparti sur la planète, ne serait-ce qu’au sein des nations riches elles-mêmes : seuls 68 % des Américains utilisent régulièrement Internet à ce jour. À l’échelle internationale, selon les chiffres de l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’agence des Nations unies en charge du secteur, les habitants des pays développés – qui représentent 15 % de la population mondiale – utilisent cinq fois plus le téléphone, fixe ou mobile, que les habitants des pays pauvres ou à revenus intermédiaires. Et ces « info-riches » totalisent neuf fois plus d’accès aux services Internet, et treize fois plus d’ordinateurs personnels que les « info-pauvres ».
Cette « fracture numérique » est en partie une question d’accès aux infrastructures, relève l’Unesco dans son rapport intitulé « Vers les sociétés du savoir » publié à la veille du SMSI de Tunis pour servir de base aux réflexions des participants. Mais c’est aussi une question de développement des capacités : « Les succès obtenus par un certain nombre de pays d’Asie dans la lutte contre la pauvreté s’expliquent en grande partie par les investissements massifs qu’ils ont consentis, durant plusieurs décennies, en matière d’éducation, de recherche et de développement. » L’agence onusienne chargée de la culture de l’éducation et de la science souligne l’importance du savoir dans le développement, en montrant que l’information n’est pas le savoir, mais un moyen d’accès au savoir. Et qu’il ne faut pas confondre les sociétés du savoir, qui mettent l’accent sur l’éducation, avec les sociétés de l’information, qui reposent sur l’innovation technologique en oubliant ceux qui ne peuvent s’offrir les outils nécessaires pour tirer profit du volume d’informations qui circulent.
Parmi les vecteurs d’information, le téléphone joue aujourd’hui un rôle fondamental, davantage qu’Internet, puisque de nombreuses populations rurales sont encore illettrées, mais la convergence des technologies (transmission de données sur réseau mobile, Internet, téléphonie par Internet…) aboutit à une notion d’accès universel qui permettra l’accès à tous les savoirs. Sur ces questions, le SMSI de Genève a adopté des principes qui paraissent séduisants. Il s’est engagé à « faire de la fracture numérique une occasion numérique pour tous. […] Donner aux pauvres, tout particulièrement à ceux qui vivent dans des zones isolées ou rurales et dans des zones urbaines marginalisées, les moyens de devenir autonomes, d’accéder à l’information et d’utiliser les TIC comme outil dans les efforts qu’ils déploient pour s’arracher à la pauvreté. » Pour cela, il préconise de prêter une attention particulière aux besoins spécifiques des populations en prenant en compte les différentes catégories de pays, ainsi que les situations qui font peser de graves menaces sur le développement, guerres ou catastrophes naturelles, par exemple. Pour concrétiser ces principes et relever les défis de la société de l’information, le catalogue des opérations prévues par le plan d’action prévoit par exemple de connecter à l’horizon 2015 quelque 800 villages dans le monde, à l’aide de nouveaux points d’accès communautaires : centres scientifiques et de recherche ; bibliothèques publiques, centres culturels, musées, bureaux de poste et archives, ainsi que toutes les administrations publiques, locales et centrales. Sans oublier d’adapter les programmes scolaires ou encore de mettre les services de télévision et de radiodiffusion à la portée de tous.
Beaux principes, beau programme. Mais, comme souvent dans les sommets onusiens, celui de Genève s’est borné à lancer un « appel à la solidarité numérique, aussi bien à l’échelle des nations qu’à l’échelle internationale », la discussion des mécanismes de financement n’ayant pas permis d’aboutir à des solutions concrètes. La montagne a accouché d’une souris. Pour s’autoamnistier, les « info-riches » ne cessent de répéter qu’ils « donnent » déjà dans le cadre de l’aide au développement et refusent de s’engager davantage. Tout juste envisagent-ils de verser des contributions volontaires publiques ou privées à un Fonds de solidarité numérique (www.dsf-fsn.org), créé à l’initiative du président sénégalais Abdoulaye Wade, en dehors du cadre des Nations unies. Ce Fonds a été inauguré en mars dernier, grâce à une vingtaine de membres fondateurs, des États mais aussi des régions et des villes, qui se sont engagés à verser chacun 300 000 euros, en espèces ou en nature.
Pis, certains n’hésitent pas à remettre en cause le SMSI dans son principe même. « Il faut plus d’argent pour l’eau, l’éducation et la santé, préalables pour tirer avantage des TIC chez les pauvres », ajoute un représentant des « info-riches ». Il a sans doute d’autant plus raison que les 88 milliards de dollars supplémentaires par an nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par le Sommet du millénaire n’ont toujours pas été trouvés…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires