Mali : dans la région de Mopti, une « paix » précaire avec les jihadistes
Des habitants du cercle de Koro, dans la région de Mopti, ont signé une « paix » encore fragile avec les jihadistes présents dans la zone. Si l’accalmie est bien là, cet accord est vivement critiqué, notamment par la milice Dan Na Ambassagou.
Le 18 août, au moment où, à Bamako, une poignée d’officiers lance le coup d’État qui aboutira quelques heures plus tard à la démission forcée d’Ibrahim Boubacar Keïta, une colonne de 200 hommes lourdement armés entre dans Sangha, une commune de la région de Mopti. À sa tête, Youssouf Toloba, chef de la milice Dan Na Ambassagou, furieux. Quelques heures plus tôt, il a convoqué le chef du village dans son « état-major », mais ce dernier a refusé. « Le chef lui a dit que c’était à lui de se déplacer », confie un élu local, sous couvert d’anonymat.
L’ambiance est électrique. Le face-à-face entre les « chasseurs » de Toloba et les habitants de Sangha très tendu. La cause du courroux du chef de cette milice dont le gouvernement avait annoncé la dissolution en mars 2019 ? « Il avait appris que nous allions faire la paix avec les jihadistes », lâche l’élu.
Plus d’un mois plus tard, Youssouf Toloba ne décolère pas. Dans un message vidéo diffusé le 27 septembre sur les réseaux sociaux, le chef de Dan Na Ambassagou se fait même menaçant à l’égard de ceux qu’il désigne comme « les nouvelles autorités ». « Ce qu’il se passe actuellement n’est pas la paix, affirme-t-il. Ils disent qu’il y a la paix à Koro et dans le Macina. Si c’est effectivement le cas, on veut voir le retour des maires et des enseignants. » Réclamant une intervention de l’armée, Toloba fixe même un ultimatum de deux semaines, et menace : « Si les nouvelles autorités ne nous répondent pas, nous sommes prêts à chercher des soutiens, et pourquoi pas à rejoindre l’Azawad. »
Une paix venue de la base…
Cette paix que le très craint chef de milice dénonce avec autant de hargne, c’est celle qui a été initiée en avril dernier dans le cercle de Koro et qui, depuis, a fait tache d’huile dans une large partie du Centre, en proie depuis quatre ans à un conflit meurtrier mettant aux prises jihadistes, militaires et groupes armés, sur fond d’instrumentalisation des tensions communautaires entre Peuls et Dogons.
« Le gouvernement et les ONG ont tout essayé pour ramener la paix, mais ils n’y sont jamais parvenu. C’est pourquoi nous avons pris l’initiative de mettre en place notre propre paix », explique Dramane Kodio. Chauffeur de car, cet habitant du cercle de Koro, membre de la communauté dogon, ne pouvait plus travailler depuis des mois à cause de l’insécurité. Avec Amadou Kodio, le maire de Madougou, et Allaye Témé, le chef du village de Bandé, il a fondé l’association Mono Bemou (« vivre ensemble », en langue dogon), dont il est aujourd’hui le président.
Ensemble, ils ont décidé d’aller à la rencontre de ceux que Dramane Kodio appelle ses « parents peuls ». « Le chef du village peul de Diankabou nous a mis en contact avec des hommes armés, en brousse, détaille-t-il. Le 18 avril, nous sommes partis avec la Minusma pour la première mission. La rencontre a eu lieu à Binédama, dans la commune de Diankabou. »
Ce jour-là, notables peuls et dogons s’accordent sur un point : la paix doit revenir dans le cercle de Koro. La dynamique est lancée. Dans le courant du mois de juin, un contact avec des jihadistes est établi à la faveur d’un échange de prisonniers. « Ils nous ont dit que, parmi eux, il y avait de jeunes peuls qui avaient pris les armes contre nous parce que nous les avions chassés des villages. Ils ont demandé à rentrer chez eux. Ils ont même affirmé que leur objectif était que Peuls et Dogons se réconcilient. C’est à partir de là que la paix est devenue possible », rapporte Dramane Kodio. Dans les semaines qui suivent, seize villages de la commune de Madougou acceptent cette trêve négociée avec les jihadistes .
…sous conditions
En juillet, un nouveau rendez-vous est organisé entre les représentants de Mono Bemou et des jihadistes, quelque part dans un coin de brousse entre les villages de Dinangourou et de Dioungani. Les jihadistes fixent alors leurs conditions, pour le moins extensives et contraignantes.
« Ils nous ont dit que personne, à part eux, ne pouvait porter d’armes. Et que ces armes ne leur servaient qu’à cibler l’État. Ils ont exigé aussi de pouvoir délivrer des prêches où bon leur semble, et ont interdit la consommation d’alcool et de cigarettes, énumère Dramane Kodio. Ils n’ont pas interdit l’école républicaine, mais ils ont exigé que les medersas et l’enseignement en arabe soient mis en avant. » Dernière exigence des jihadistes : « que l’on ne revienne pas sur la question des animaux volés par les uns et les autres » pour ne pas « créer d’autres problèmes », précise encore Kodio.
La paix de Madougou est scellée avec les jihadistes le 27 juillet. Après trois ans sans pouvoir cultiver, les agriculteurs – majoritairement dogons – peuvent retourner aux champs. Les marchés rouvrent et des membres des deux communautés y commercent à nouveau. L’initiative fait sensation. Très vite, elle fait école.
« La paix est revenue dans la plupart des communes du cercle. Les membres des groupes d’autodéfense ont déposé les armes et sont rentrés dans leurs familles, confirme Soumaïla Guindo, vice-président du cercle de Koro. Pour le moment, dans l’ensemble, cela fonctionne. »
Un constat partagé par un prêtre catholique de la commune de Barapiréli. « On n’entend plus parler de vols d’animaux. À Dangaténé, ils ont ouvert le marché à nos frères peuls, qui sont venus faire des achats, témoigne le prélat. Certains viennent dans les villages la journée et repartent le soir. Dans la commune, il y a une réelle accalmie. »
Une « paix en trompe l’œil » ?
L’expérience dépasse le cercle de Koro pour s’étendre à celui de Bandiagara, dans la commune de Sangha, où pas moins de 108 villages ont rejoint l’initiative et scellé la paix avec les jihadistes. Au grand dam de la milice Dan Na Ambassagou, dont le porte-parole, Benjamin Sangala, assure qu’il s’agit d’une « paix en trompe l’œil [qui] ne va pas durer ».
« On ne peut pas faire la paix sans nous qui sommes un acteur majeur sur le terrain », insiste-t-il. Surtout, il affirme que « les jihadistes sont en train de berner la population ». « Ils se présentent comme la solution, profitant du fait que tout le monde aspire à la paix, mais c’est pour imposer leur courant idéologique, explique Benjamin Sangala. Mais la seule paix qui vaille doit être signée et garantie par l’État, et seulement lorsque les groupes terroristes auront été chassés de la région. Ensuite, il faut que toutes les milices, de chaque côté, soient désarmées et qu’un processus de désarmement, démobilisation et réinsertion soit mis en place. »
Souleymane Guindo, porte-parole de la communauté dogon au sein du cadre de concertation de la Primature, est plus nuancé. S’il affirme qu’il faut « encourager les initiatives de paix », il tient un discours proche de celui de Sangala. « Ce sont des stratégies de domination, plutôt que des stratégies de paix. Face à des adversaires surarmés, on n’est pas en capacité d‘imposer un rapport de force. C’est une paix subie. »
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- À Casablanca, la Joutia de Derb Ghallef en voie de réhabilitation
- Mali, Burkina, RDC, Afrique du Sud… Haro sur le néocolonialisme minier !
- Gabon : 10 choses à savoir sur la première dame, Zita Oligui Nguema
- Sénégal : à quoi doit servir la nouvelle banque de la diaspora ?
- En RDC, la nouvelle vie à la ferme de Fortunat Biselele