Émeutiers, frères et fatwa

« Ils ont contribué à apaiser les esprits, dit Olivier Klein, l’adjoint au maire, le reste ne nous regarde pas. »

Publié le 16 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Quinze jours après l’embrasement de la cité, les habitants de Clichy-sous-Bois ne décolèrent pas. « Il suffit qu’une poubelle soit renversée devant une synagogue pour que les politiques, de droite comme de gauche, crient au scandale. Mais quand c’est une mosquée qui est gazée par des CRS, personne ne s’indigne », s’offusque Nordine, jeune père de famille à la barbe soigneusement taillée. Lui est un assidu de la mosquée Bilal, dans le quartier des Bosquets, celle-là même où une grenade lacrymogène a été lancée au soir du 31 octobre, au moment où un millier de fidèles s’y entassaient pour les prières des « tarawih ».
Si Nordine comprend la colère des émeutiers, il n’en rejette pas moins la violence. « Manifester sa rage contre Sarkozy, oui ! Protester contre le gazage de notre mosquée, mille fois oui ! Mais brûler des écoles et des gymnases, mettre le feu à des voitures, non ! Nos quartiers sont déjà pauvres, si on se met à tout brûler, qu’est-ce qui va nous rester ? » interroge-t-il. Du coup, il se sent investi d’une mission : convaincre les émeutiers de renoncer aux destructions : « L’islam prône la paix et la tolérance ; il est de notre devoir d’appeler au calme. » Comme lui, ils sont plus d’une trentaine, imams, médiateurs ou membres d’associations musulmanes, à sillonner la cité pour dissuader les jeunes de recourir à la violence. À Clichy-sous-Bois, les « frères », comme on les appelle ici, sont mobilisés.
Ce sont eux qui, samedi 29 octobre, ont organisé une marche silencieuse à la mémoire des deux gosses morts électrocutés dans un transformateur EDF. Ce sont eux aussi qui ont rencontré les familles de Zyed et Bouna pour leur prodiguer un soutien matériel et moral. Munis d’un brassard ou d’une pancarte frappée du slogan « Justice et liberté », ils se sont interposés entre les cordons de CRS et les jeunes émeutiers. Bien sûr, ce travail de proximité est vivement encouragé par les autorités. Olivier Klein, premier adjoint au maire de Clichy, s’en félicite : « Ils ont contribué à apaiser les esprits. Certains sont très religieux, mais ça ne nous regarde pas. Le lien social se crée autour de la mosquée, qui, dans certains quartiers, joue le rôle des paroisses autrefois », explique-t-il.
Faut-il craindre pour autant, comme c’est apparemment le cas d’Éric Raoult, une hypothétique prise de contrôle des banlieues par les « islamistes » ? Pour Mourad, jeune étudiant aux lunettes cerclées, l’explication est simple : quand la police de proximité est démantelée, que les médiateurs se comptent sur les doigts de la main et que les pouvoirs publics désertent les cités, alors les organisations musulmanes ne se font pas prier pour combler le vide.
« L’islam n’a rien à voir avec ces émeutes. Ces jeunes se sont soulevés contre le chômage, l’exclusion et la précarité. Ceux qui affirment que les émeutiers sont manipulés par des fanatiques ou par des barbus font dans l’amalgame », s’insurge Abderrahmane Bouhout. Président de l’association cultuelle qui gère la mosquée Bilal, un ancien entrepôt transformé en un lieu de culte qui peut accueillir jusqu’à sept cents personnes, Abderrahmane vit à Clichy-sous-Bois depuis presque quarante ans. Évidemment, la présence de cet « agent médiateur » d’origine marocaine suscite respect et déférence. Au lendemain de l’incident de la mosquée Bilal, il a reçu l’onction du préfet de Bobigny pour servir d’interlocuteur entre les jeunes et les forces de l’ordre. Du coup, il n’a pas hésité, le lundi 7 novembre, à organiser une conférence de presse dans la salle de prière réservée aux femmes. « Nous souhaitons transmettre un appel à la France entière pour demander très fort le retour au calme », déclare-t-il. Le soir même, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) édicte une fatwa (avis juridique) déclarant « formellement interdit à tout musulman recherchant la satisfaction et la grâce divine de participer à quelque action qui frappe de façon aveugle des biens privés ou publics ou qui peuvent attenter à la vie d’autrui. »

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