Le retour d’Alpha Condé

La bête noire du chef de l’État s’installe définitivement dans son pays et milite pour la mise en place d’un régime de transition. Le plus rapidement possible.

Publié le 15 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

C’est désormais un refrain que beaucoup de ses amis de l’opposition entonnent avec lui : « Il faut un changement immédiat en Guinée. Avec un régime de transition pour aller vers des élections libres, transparentes et démocratiques. La Guinée doit devenir enfin un pays normal », martèle Alpha Condé. Le chef de file du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) en a toujours été persuadé. Il l’est davantage depuis son retour au pays, le 3 juillet dernier. Après deux ans d’absence, il est revenu pour s’installer définitivement au pays et pour participer aux élections municipales du 18 décembre prochain. Et la réalité lui est apparue plus sombre que le tableau que ses camarades de parti lui dressaient régulièrement de la situation du pays. « Il m’a suffi de voir l’état de Conakry, de ses rues, des maisons et des habitants pour m’en rendre compte, dit-il. De l’aéroport au siège du parti et jusqu’à mon domicile, ce sont les mêmes complaintes : « On en a marre », « On a faim », « On veut le changement »… » Des mots simples qui disent, plus que mille discours, les difficultés rencontrées par la population, et que l’on devine à peine dans les rapports des organisations de défense des droits de l’homme ou ceux de la Banque mondiale.
Alpha Condé a éprouvé un « choc presque physique » en rentrant au pays. « J’ai visité toutes les régions du pays et parcouru 6 000 kilomètres. J’ai vraiment trouvé un pays exsangue, au bord de l’implosion, menacé de famine. Dans les villes et les villages de l’intérieur, les gens ne mangent pratiquement que du manioc, quand ils en trouvent. Quand, à Macenta, en Guinée forestière, j’ai vu des femmes me dire n’avoir que du manioc ou des mangues pour toute nourriture, j’ai eu les larmes aux yeux. Cela m’a fait très mal. Personne ne comprend comment les populations tiennent encore sans routes, sans eau courante, sans électricité, sans nourriture. Sans gouvernement, non plus, car celui-ci n’a aucune autorité. Le Premier ministre est contesté par les ministres, qui sont eux-mêmes contestés par les hauts fonctionnaires. Le président est dans son village, comme si de rien n’était. Un vrai scandale. »
À l’entendre, c’est moins la pression de la communauté internationale et des bailleurs de fonds que la crainte d’un soulèvement populaire qui a amené le pouvoir à lâcher un peu de lest. Depuis quelques mois, les partis politiques bénéficient d’un peu plus de marge de manoeuvre, dans la capitale comme en province. Alpha Condé, bête noire du régime, a ainsi pu se rendre jusque dans les contrées les plus reculées sans s’attirer les foudres du pouvoir. Au contraire, des maires et des préfets ne se sont pas cachés pour le rencontrer. À la grande satisfaction des militants RPG arborant boubous, T-shirts ou foulards jaunes (la couleur du parti), mobilisés comme peut-être jamais auparavant. Notamment à Conakry, Gueckédou, Beyla, Macenta, Lola et N’Zérékoré. Dans cette dernière ville, c’est une escouade de jeunes en mobylette qui est venue accueillir leur champion à 40 kilomètres de l’agglomération et l’a escorté jusqu’au stade plein comme un oeuf. Alpha Condé semble aux anges, transfiguré.
Test de popularité concluant pour lui comme pour son parti. Condé est heureux d’administrer à ceux qui l’avaient « enterré » la preuve, sur le terrain, qu’il est bien vivant, et sa formation avec lui. À l’écouter parler de la Guinée profonde, en dresser l’état des lieux, évaluer le rapport des forces politiques, on a vite fait de comprendre que l’homme n’a jamais été vraiment coupé ni de ses militants ni de ses compatriotes. Tout au plus est-il aujourd’hui plus mesuré qu’hier dans ses propos, plus réfléchi, plus enclin au dialogue que dans un passé récent. Moins pressé aussi, sauf peut-être pour le départ de Conté, car « il faut mettre un terme à la souffrance des populations le plus rapidement possible ». De fait, depuis sa sortie de prison en mai 2001 après deux ans et demi de détention arbitraire, le « président », comme l’appellent ses partisans, a pris le temps de faire son propre bilan, de se remettre en question et de jeter un regard critique sur son action passée.
S’il n’avait 65 ans, on aurait pu dire qu’Alpha Condé a mûri et qu’il est devenu moins cogneur dans la mêlée politique. Le militant fougueux s’est mué en dirigeant posé. Assez pour chercher le dialogue avec tout le monde. « J’ai longuement réfléchi et décidé de mener la campagne du changement avec mes camarades de l’opposition. Il y a un an, nous avions déjà fait une proposition de sortie de crise au niveau du Front républicain pour l’alternance démocratique (Frad). Mais, depuis mon retour au pays, cette idée est devenue un impératif pour moi. J’ai compris que le problème du changement en Guinée n’était pas seulement politique. Vu l’état du pays, il concerne toute la société. Il dépasse les seuls hommes politiques et leurs partis, c’est une nécessité pour tous. C’est pourquoi j’ai engagé des discussions avec les dirigeants des autres formations, des membres de la société civile, des éléments de la mouvance présidentielle dont il est préférable de taire le nom pour l’instant. Car, ou bien on s’en sort ensemble, ou bien on plonge ensemble. »
La démarche trouve quelque écho au sein de la population, qui a décidé depuis la mi-août de lancer une pétition appelée « Manifeste des forces vives de la nation ». Il s’agit, pour les signataires, de se retrouver dans une sorte de forum et de proposer une solution de sortie de crise. « Bien sûr, regrette Alpha Condé, même si 95 % des gens sont d’accord, tout le monde ne signera pas. Car l’État est leur principal employeur, et beaucoup redoutent les représailles. Déjà, le Parti de l’unité du peuple [PUP, au pouvoir] nous accuse de préparer une insurrection armée, ce qui est complètement idiot. Nous avons couché nos propositions sur le papier. Nous voulons une transition avec un président de la République et un Premier ministre choisis de façon consensuelle, qui ne peuvent être candidats ni à la présidentielle ni aux législatives. »
Reste à trouver les oiseaux rares qui « auront pour rôle, précise Alpha Condé, de gérer le pays pendant une période de douze à quinze mois, avec une commission nationale électorale indépendante chargée de l’ensemble des opérations électorales depuis le recensement jusqu’à la proclamation provisoire des résultats. Nous avons également prévu des organes de transition, puisque nous souhaitons la dissolution de l’Assemblée nationale et du Conseil économique et social, qui seront remplacés par des organes de consultation. Nous prévoyons enfin de supprimer la Cour suprême et d’affecter ses prérogatives à la Cour de cassation. »
On n’en est pas encore là. L’heure est à la préparation des élections municipales du 18 décembre prochain. Ses camarades de l’opposition et lui ont accepté d’y participer. Comme gage de leur bonne volonté en direction de la communauté internationale.

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