[Tribune] Cameroun : que reste-t-il du Grand dialogue national ?

Le 30 septembre 2019 s’ouvrait à Yaoundé le Grand dialogue national. L’évènement se voulait la réponse ultime du gouvernement à une « crise anglophone » qui, en quatre ans, a fait plus de 3 000 morts et environ 700 000 déplacés.

Des manifestants camerounais appellent à l’unité nationale, à New York, à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 22 septembre 2017. © Bebeto Matthews/AP/Sipa

Des manifestants camerounais appellent à l’unité nationale, à New York, à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 22 septembre 2017. © Bebeto Matthews/AP/Sipa

YANN-GWET_2024 Herve Lado, NRGI. © DR
  • Yann Gwet

    Analyste politique.

  • et Dr Hervé Lado

    Directeur Afrique Francophone Ouest et Centre chez Natural Resource Governance Institute (NRGI), Dakar, Sénégal

Publié le 4 octobre 2020 Lecture : 4 minutes.

Cinq jours durant, 600 personnalités réunies en commissions ont planché sur huit « thématiques principales contenues dans le message du Chef de l’État » du 10 septembre 2019 : bilinguisme, diversité culturelle et cohésion sociale ; système éducatif ; système judiciaire ; retour des réfugiés et des déplacés internes ; reconstruction et développement des régions touchées par le conflit ; désarmement, démobilisation et réinsertion des ex-combattants ; rôle de la diaspora dans la crise et sa participation au développement du pays ; décentralisation et développement local.

Doute

Dès le début de la crise, l’option d’un dialogue comme solution à celle-ci avait été préconisée, sans succès, par les partis d’opposition, la société civile et les partenaires internationaux du Cameroun. De ce point de vue, et bien que tardive, la décision d’en organiser un constituait, au moins sur le principe, une avancée.

la suite après cette publicité

Mais d’emblée quelques indices suscitaient le doute quant à la portée de cet évènement : le gouvernement, pourtant acteur du conflit, a organisé et piloté de bout en bout ces assises ; l’absence du Président Biya en a diminué l’envergure ; le refus des militants séparatistes d’y participer l’a de fait affaibli ; le choix d’organiser en vingt jours un évènement d’une telle ampleur a donné une impression de précipitation ; l’absence d’objectifs et d’indicateurs de suivi précis permettant d’effectuer un bilan rigoureux de ce « Grand dialogue » a pu faire croire à un mécanisme purement formel, davantage destiné à redorer l’image du Cameroun au plan international qu’à résoudre une crise politique majeure et à raffermir le vivre-ensemble sur le triangle national.

Le « bilinguisme formel » s’est-il traduit dans les discours du président Biya ?

On peut penser que sur la forme, cette opération aura permis, au moins pour un temps, de ripoliner la vitrine d’un pouvoir dont l’autisme, l’intransigeance et la brutalité avaient embarrassé ses principaux partenaires. Mais quid du fond ? Dans le sillage des recommandations de la commission sur « le bilinguisme, la diversité culturelle et la cohésion sociale », une loi sur le bilinguisme a été votée par le parlement camerounais le 10 décembre 2019 pour « améliorer la pratique du bilinguisme » dans le pays.

L’objectif est louable. Mais une fois de plus, il est à craindre que le surmoi technocratique du pouvoir camerounais, qui considère qu’il n’y a aucun problème qu’une loi ne puisse résoudre, l’ait fourvoyé. Un an plus tard, ce « bilinguisme formel » s’est-il traduit dans les discours du président Biya ou dans les nombreuses interactions des fonctionnaires avec nos concitoyens anglophones ?

La commission « Décentralisation et développement local » a préconisé la mise en place d’un « statut spécial » pour les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, « conformément à l’article 62 alinéa 2 de la constitution », et plus largement l’instauration de « Régions » disposant d’une relative autonomie par rapport à l’État. Faisant suite à ces recommandations, un code des collectivités locales a été adopté le 24 décembre 2019, et dans un communiqué publié le 7 septembre 2020 le président Biya fixait la date des toutes premières élections régionales au 6 décembre prochain.

la suite après cette publicité

Une société camerounaise plus fracturée que jamais

Difficile de se réjouir de cette décision pourtant historique lorsqu’on se rappelle que la constitution du 18 janvier 1996 prévoit la décentralisation, mais qu’il aura fallu un conflit armé dévastateur pour en voir la lueur. Dès lors, il y a lieu de s’interroger sur la volonté du pouvoir camerounais de « lâcher du lest ». De fait, les 900 conseillers régionaux seront élus au scrutin indirect, par de grands électeurs en majorité issus du parti au pouvoir. Il y a donc fort à parier que les exécutifs et conseils régionaux refléteront la géographie politique nationale. En outre, tout laisse à penser que l’ossature du système administratif centralisé camerounais, incarnée par les préfets et gouverneurs, restera en place. Nous nous dirigeons inéluctablement vers une décentralisation en trompe-l’œil et un « statut spécial » spécieux.

Ce GDN aura donc été une nouvelle occasion manquée

Si ce pronostic venait à se confirmer, les conséquences seraient graves. Un an après la tenue du Grand dialogue national (GDN), la société camerounaise apparaît plus fracturée que jamais : les revendications identitaires prolifèrent, le concept d’autochtonie cristallise les joutes politiques et alimente les tensions communautaires, les plaidoyers en faveur d’un fédéralisme ethnique sont toujours plus audibles, et la crise anglophone est désormais le théâtre d’un sinistre affrontement entre seigneurs de guerre sanguinaires d’un côté, et forces de sécurité déchaînées de l’autre. Entre les deux, des populations toujours plus martyrisées.

la suite après cette publicité

Ce GDN aura donc été une nouvelle occasion manquée. L’impression qui domine désormais est celle d’une impasse. Il y a quatre ans, ce sentiment avait poussé des activistes anglophones dans la rue, avec les conséquences que l’on sait. Malheureusement, une fois les résultats réels du GDN expérimentés, l’histoire pourrait bien se répéter.

*Yann Gwet et Hervé Lado sont co-fondateurs du Think Tank Maarifa.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires