[Tribune ] Le Sénégal sur la voie de la gastrodiplomatie
Grâce au tièèbou dien, son plat le plus emblématique, le Sénégal étend son influence bien au-delà du continent. Un rôle d’ambassadeur en passe d’être reconnu par l’Unesco.
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Téguia Bogni
Chargé de recherche au Centre national d’éducation, au ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation du Cameroun.
Publié le 6 octobre 2020 Lecture : 3 minutes.
Le Sénégal est l’un des pays les plus hospitaliers au monde, comme en témoigne logiquement son nom, Tèranga [lequel vient des mots wolofs teer/teerul, qui signifient « accueillir »].
En plus de l’hospitalité dont il fait montre, ce pays de la côte ouest de l’Afrique sait également offrir le gîte et le couvert. Le partage est donc le mot d’or qui sous-tend le vivre ensemble au Sénégal, notamment lorsqu’il s’agit de déguster le plat national de tièèbou dien, dans une atmosphère à la fois conviviale et fraternelle. Dans ce cas d’espèce, l’art de la table se caractérise en effet par un service exclusivement à la main de tous les convives, autour d’un plat commun, et ce selon un ensemble de gestes ritualisés.
Riz au poisson
Créé par la Sénégalaise Penda Mbaye (1904-1984), le tièèbou dien, c’est-à-dire le riz au poisson, est le plat le plus emblématique du Sénégal. Mais ce que très peu de personnes savent en revanche, c’est que ce plat est un emprunt culinaire, fruit probable du contact avec des personnes venues d’Europe ou d’Asie.
Un bon tièèbou dien ne saurait se faire sans yèet
À y regarder de près, le tièèbou dien est le riz pilaf revisité. Il est fait à base de riz cuit dans un bouillon composé d’huile d’arachide, de tomate fraîche et/ou concentrée, d’assaisonnements (ail, piment, persil, oignon, etc.), de garnitures légumières (carotte, gombo, chou, aubergine, feuilles et sépales d’oseille de Guinée, etc.) et tubéreuses (manioc) et, enfin, de poisson. Et selon que l’on est à la recherche de l’umami (la cinquième saveur fondamentale) pour un raffinement gustatif, on y ajoutera du yèet, un mollusque gastéropode fermenté. D’ailleurs, de l’avis des professionnels, un bon tièèbou dien ne saurait se faire sans yèet.
Jollof rice dans les pays anglophones
Le génie de la désormais très célèbre cuisinière dans la préparation et la cuisson de ce plat participe, d’une façon ou d’une autre, au rayonnement du Sénégal à l’international. De sorte que plusieurs pays, africains notamment, ont adopté le gouteux plat, non sans y apporter leur touche personnelle – à commencer par l’appellation : riz sénégalais dans les pays francophones et jollof rice dans les pays anglophones.
Le Cameroun, qui concentre une importante communauté sénégalaise, s’est approprié ce plat depuis plusieurs décennies. En témoigne la présence dans les grandes villes comme Douala et Yaoundé de nombreux restaurants dits sénégalais plébiscités par les populations camerounaises.
Il faut savoir que les premiers Sénégalais ayant foulé le sol du Cameroun étaient des coopérants venus vers les années 1910 pour travailler sur les chemins de fer de Douala. Certains d’entre eux s’y installeront définitivement. D’une des unions qui s’ensuivront naîtra d’ailleurs le célèbre musicien camerounais Aladji Touré.
Le 2 septembre 2020, Ashley Vola et Kelly Cynthia, représentantes du Cameroun à la coupe du monde de cuisine Plate of Origin, diffusée sur la chaîne Seven Network en Australie, ont battu Than et Duncan du Vietnam, avec comme plat principal le jollof rice au poulet, c’est-à-dire le tièèb ganaar.
L’importance de manger avec les mains
Le jury, composé de trois membres, a visiblement été séduit à la fois par la qualité savoureuse du plat, mais également et surtout par le storytelling relatif à l’importance de manger avec les mains. Cette appropriation évidente du plat national sénégalais n’aurait-elle pas pu créer un incident diplomatique ? Rien n’est moins sûr.
Un État est d’autant plus influent à l’échelle internationale qu’il fait usage d’une diplomatie parallèle. C’est fort de ce constat que, lors du Festival de jazz de Saint-Louis, le Sénégal a émis le vœu d’inscrire son plat ambassadeur à la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Cette démarche auprès de l’Unesco vise, selon ses initiateurs, à sauvegarder les connaissances et savoir-faire liés à la préparation de la spécialité culinaire.
Le tièèb Penda Mbaye peut réinventer le tourisme
En plus de cette raison, évidente à première vue, il faut entrevoir des raisons géostratégiques : le tièèb Penda Mbaye peut réinventer le tourisme, mais aussi, et surtout influencer le monde. Une chose est donc certaine, le Sénégal s’engage sur la voie de la gastrodiplomatie.
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