Tensions communautaires et exil : le football libanais n’échappe pas à la crise
Alors que le Liban traverse une double crise économique et politique, le sport le plus populaire du pays n’est pas épargné, et tente de survivre.
Touché par l’épidémie mondiale de Covid-19, en proie à des tensions sociales et politiques accentuées par l’explosion meurtrière du port de Beyrouth le 4 août dernier, le Liban vit une période particulièrement compliquée dans son histoire déjà chaotique. Beaucoup de Libanais, fatigués par la corruption endémique des élites dirigeantes et pessimistes quant à l’avenir du pays, envisagent aujourd’hui l’exil plutôt qu’un appauvrissement qui semble inéluctable pour les classes moyennes.
Comme toutes les composantes de la société libanaise, le football est directement touché par ce climat. « Économiquement, c’est très compliqué. Il y a de l’argent au Liban, mais il n’y a pas de vrai modèle économique. Les clubs vivent essentiellement grâce à la surface financière de leur président, qui va injecter des liquidités presque à fonds perdus. Et souvent, ces présidents décident de quitter leur fauteuil, laissant les clubs en difficulté », explique Wissam Khalil, ancien joueur de la Sagesse FC et actuel sélectionneur adjoint.
Baisse de revenus
Les budgets dépendent en majeure partie d’un président et de ses proches, mais beaucoup moins des transferts, des droits télé et des recettes dans les stades, qui sonnent souvent creux. « Les transferts rapportent peu, et au Liban, certains joueurs sont liés à vie à un club, ce qui limite les transactions. » Alors que le roi des sports est très populaire au Liban, il ne parvient pas à s’ancrer dans le professionnalisme, à de très rares exceptions près.
Bien sûr, certains joueurs parviennent à très bien gagner leur vie. Ainsi, Hassan Matouk, le capitaine de la sélection nationale, émargerait à 18 000 euros par mois, quand pour la plupart des footballeurs libanais, les salaires moyens vont de 700 à 1800 euros mensuels. Ce qui les oblige à cumuler leur activité de joueur avec un autre emploi. Les étrangers – souvent des Africains subsahariens – pouvaient quant à eux espérer avant la crise sanitaire obtenir des salaires dans la moyenne.
Depuis le début de la crise sanitaire, les joueurs étrangers ont quasiment tous quitté le pays
Depuis le début de la crise sanitaire, ils ont quasiment tous quitté le pays, les clubs ayant décidé de faire des économies, malgré une une aide d’urgence (environ 40 000 euros par club) débloquée par la fédération pour que le championnat puisse reprendre début octobre. Et les joueurs libanais, obligés d’accepter une baisse de leurs revenus, sont de plus tentés par l’exil, notamment en Asie du Sud-Est ou au Qatar.
Comme dans nombre de pays africains, le football libanais ne manque pas de talents, mais souffre de ses lacunes dans le domaine de la formation des jeunes, un chantier abandonné par les clubs à des Académies plus ou moins sérieuses. Le Liban, dévasté par une longue guerre civile (1975-1990), qui a fait entre 130 000 et 250 000 victimes civiles, avait organisé la Coupe d’Asie des Nations en 2000, mais beaucoup de stades sont désuets et peu confortables.
Clubs confessionnels
Et dans ce « pays compliqué », comme le résume le journaliste anglais David Hirst dans son ouvrage de référence « Une histoire du Liban », le poids confessionnel reste immense. Les clubs libanais sont ainsi pour la plupart liés à une communauté spécifique.
Ainsi, les supporters de Safa sont druzes, ceux d’Homenetmen sont membres de la communauté arménienne, Al-Ansar et Ejtimeh sont soutenus par les sunnites, les chrétiens maronites sont proches de Sagesse FC, et Al-Ahed – vainqueur de la Coupe de la Confédération asiatique en 2019 – est présenté comme le club officieux du Hezbollah chiite. Le parti islamiste avait racheté la formation beyrouthine en 1985. Aujourd’hui, le Hezbollah ne la finance plus, du moins officiellement, mais vue la relative bonne santé financière du club comparé aux autres, la question se pose inévitablement.
Idéologiquement, de nombreux dirigeants d’Al-Ahed sont connus pour leurs positions pro-Hezbollah
« Idéologiquement, de nombreux dirigeants d’Al-Ahed sont connus pour leurs positions pro-Hezbollah », souffle une source locale. Le football au Liban est un outil politique presque comme les autres.
Rafic Hariri, pendant de longues années, a signé des chèques pour assurer le bon fonctionnement d’Al-Ansar. Un argent pas toujours bien utilisé, mais le milliardaire pouvait ainsi compter sur les voix des supporters d’un des clubs les plus populaires du pays dans les bureaux de vote. Au Liban, le clientélisme n’est jamais très loin…
Instrumentalisation politique
Dans ce contexte d’instrumentalisation politique, certains matchs de championnat génèrent de la tension. Comme ceux qui opposent Al-Ansar à Al-Ahed, à Beyrouth. Le premier est connu pour être le club cher à la famille Hariri. Rafic Hariri, l’ancien Premier ministre, le finançait. Depuis sa mort en 2005 attribuée par certains de ces soutiens au parti chiite, son fils Saad a pris le relais.
« Quand les deux équipes s’affrontent, les supporters d’Al-Ahed ne sont pas vraiment les bienvenus au stade d’Al-Ansar. Et la réciproque est vraie. Et c’est la même chose quand Al-Ahed va à Saida, une ville à majorité sunnite », poursuit cette source.
Le Français Richard Tardy, ex-sélectionneur national (2002-2003) et coach d’Al-Ansar (2014-2015) a pu le constater. « Il y a une rivalité sportive, mais aussi politique et confessionnelle. Chaque club semble lié à un parti politique, à une communauté, et c’est pour cela que certaines tensions peuvent naître entre supporters, dans les tribunes ou en-dehors. »
Ainsi, en 2016, Nejmeh, connu pour son penchant muti-confessionnel, avait refusé d’affronter Al-Ahed. Plus grave, neuf ans plus tôt, des joueurs et des supporters de Nejmeh, Al-Ahed et Al-Ansar s’étaient affrontés en plein centre-ville de Beyrouth, des étudiants de l’Université arabe se mêlant aux incidents, donnant à cette sombre soirée le nom de « Jeudi noir. »
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