Agro-alimentaire : la recette de Danone pour conquérir l’Afrique subsaharienne

Danone, le leader mondial des produits laitiers frais est en pleine offensive au sud du Sahara. Sa méthode : allier les affaires et le social pour s’implanter durablement.

Emmanuel Faber, directeur général du groupe français Danone. © Eric Larrayadieu/Africa CEO Forum

Emmanuel Faber, directeur général du groupe français Danone. © Eric Larrayadieu/Africa CEO Forum

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Publié le 25 avril 2014 Lecture : 5 minutes.

« Ils voulaient venir investir en Afrique subsaharienne en promouvant les produits locaux et en faisant acte de développement », se souvient Bineta Diallo Dioh à propos de sa collaboration avec Danone. Autour du projet Lemateki (contraction de lekk, magg, tekki, « manger, grandir, réussir » en wolof), visant à améliorer l’alimentation des enfants de 6 à 12 ans, la restauratrice sénégalaise a travaillé pendant deux ans avec le leader mondial des produits laitiers frais.

« Un responsable de Danone a passé quelques jours avec moi, on a commencé à travailler puis le reste s’est joué à distance », explique ce chef qui a tenu pendant de longues années un restaurant à Dakar. « Nous avons confectionné pour les enfants des écoles un produit, Moss Tekki, à base de mil, de maïs, de niébé et de lait. Comme nous ne voulions pas utiliser d’ingrédient chimique, nous avons ajouté des gousses de neb-neb, un arbre fruitier sauvage dont les effets positifs sur la santé sont connus depuis longtemps. »

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Nous n’aurions pas développé de projets subsahariens si nous n’avions pas investi dans La Laiterie du Berger

Laiterie

Fruit du travail commun des équipes de recherche de Danone, en France, de Bineta Diallo Dioh et de l’ONG Enda Graf Sahel, Dolima Doolé (le nouveau nom de Moss Tekki) est désormais vendu par un réseau d’une centaine de femmes à travers le pays. Son prix : une centaine de F CFA (moins de 0,20 euro).

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À l’échelle de la multinationale française (21,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 1,6 milliard de bénéfices en 2013, 105 000 salariés), l’épisode Lemateki pourrait sembler anecdotique. Et pourtant… Emmanuel Faber, le numéro deux du groupe, est intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer ce genre de projets ou celui, plus ambitieux encore, de La Laiterie du Berger, une entreprise sénégalaise de transformation locale de lait développée par un vétérinaire avec l’appui de Danone.

« Je ne suis pas loin de penser que nous n’aurions pas développé de projets subsahariens si nous n’avions pas investi dans La Laiterie du Berger », commente le directeur général délégué. « Nous travaillons sur une vingtaine d’acquisitions par an et aujourd’hui, notre priorité, c’est le sud du Sahara », précise-t-il.

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Équilibre

Avec ses solides implantations dans le nord et le sud du continent (lire l’encadré), Danone réalise déjà 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires en Afrique, où ses filiales emploient environ 10 000 personnes. Le groupe s’y est nettement développé ces derniers temps.

Début 2013, il a bouclé le rachat de 37,8 % du capital de Centrale laitière, numéro un marocain des produits laitiers, pour 550 millions d’euros, portant sa participation à 67 %. Quelques mois plus tard, il s’offrait le contrôle total, en association avec le capital-investisseur Abraaj, de Fan Milk, leader des boissons et produits laitiers glacés en Afrique de l’Ouest. Il travaillerait aujourd’hui à une entrée au tour de table du kényan Brookside Dairy, une information révélée par Jeune Afrique il y a quelques mois et qu’Emmanuel Faber refuse de commenter.

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Sur l’entrepreneuriat social et l’approche des affaires propre au groupe français, ce dernier est beaucoup plus loquace. « Chez Danone, l’équilibre entre le social et l’économique est très ancré », décrypte Faber, qui a remis il y a quelques mois à Pascal Canfin, alors ministre français du Développement, un rapport réalisé avec l’ancien syndicaliste sud-africain Jay Naidoo sur les approches innovantes en matière d’aide au développement.

Danone, en effet, c’est aussi Danone Communities, un fonds de 73 millions d’euros consacré à différents projets d’entrepreneuriat social (une dizaine à ce stade) et sans lequel La Laiterie du Berger n’existerait peut-être plus. Mais aussi le fonds carbone Livelihoods (doté de 30 millions d’euros), créé à la suite d’un projet de reforestation mené au Sénégal en 2009 avec l’association de protection de l’environnement Oceanium, ainsi que le Fonds Danone pour l’écosystème, qui a notamment servi à développer des activités créatrices d’emplois autour de l’immense ferme égyptienne du groupe…

Céréales fermentées

« Nous voulons participer à la construction d’écosystèmes durables », précise Emmanuel Faber, pour qui la clé de l’agriculture africaine est la gestion, le développement et la modernisation des exploitations familiales. Le groupe veut développer la production laitière locale, même s’il proposera sur le continent « une palette de produits plus large qu’en Europe », précise son numéro deux. « Mettre des vaches partout, ce n’est pas forcément idéal », explique-t-il, citant comme possible alternative les céréales fermentées, comme les créations du projet Lemateki. Et reconnaissant qu’en Afrique, pour des raisons de conservation et de visibilité sur les marchés traditionnels, la commercialisation de produits en poudre s’impose.

Au Nord et au Sud, des bases solides

Si Danone mène aujourd’hui l’offensive de Dakar à Nairobi, le groupe est solidement implanté dans le nord et le sud du continent depuis de longues années.

En Afrique du Sud, il s’est associé au producteur local de lait Clover en 1998 avant de s’en séparer en 2010. Sa part de marché dans les produits laitiers y dépasse les 40 %.

Au Maroc et en Tunisie, il contrôle les leaders locaux que sont Centrale laitière et Délice Danone. En Algérie, Danone Djurdjura, sa coentreprise locale, arrive en deuxième position. Son développement en Égypte a été fulgurant, après le rachat en 2005 du fabricant de yaourts Olait et la création d’une ferme géante autour de laquelle ont pu s’agréger de petits éleveurs. 

Dans ces pays, Danone n’est pas qu’un spécialiste des produits laitiers, mais aussi le numéro deux mondial de l’eau : il y propose ses eaux en bouteille, un segment d’avenir sur les marchés émergents.

En rachetant Fan Milk, Danone a acquis une palette de produits à succès (à base de lait en poudre, justement), un réseau de 31 000 revendeurs, une position de choix au Ghana et un début d’implantation sur le très stratégique marché nigérian.

« Il y a beaucoup de marge de progression dans ce pays, ajoute Emmanuel Faber. Je suis convaincu qu’au niveau mondial quelques centaines de villes vont représenter la majorité de la richesse, et Lagos en fera partie : elle concentre à elle seule une vingtaine de marchés différents. » Pour tirer parti de leur expérience, les équipes d’encadrement de Fan Milk restent en place. Les nouveaux produits créés avec Danone ne devraient, eux, pas être lancés avant 2015.

Patience

Le groupe fondé par la famille Riboud – spécialisé à l’origine dans la verrerie avant de se lancer dans la production de yaourts (vendus, à l’époque, dans des pots de verre) – sait patienter.

À ceux qui prétendent que Danone a payé trop cher pour Fan Milk, Faber, qui a longtemps travaillé sur l’Asie, répond par un exemple : « Au début des années 2000, nous avons commercialisé en Chine une eau vitaminée, Mizone, issue de notre portefeuille de produits néo-zélandais. Cela a été un échec. Nous l’avons relancée quelques années plus tard et, aujourd’hui, Mizone, c’est 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires en Chine. » Aussitôt, il nuance : « Nous pouvons aussi nous tromper. »

Mais même s’il est arrivé au sud du Sahara bien plus tard que Nestlé et Unilever, deux autres géants de l’agro-industrie, Danone est là pour durer. Avec sa méthode.

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