Entre littérature et justice

Publié le 16 novembre 2005 Lecture : 2 minutes.

Après s’être vu attribuer, le 23 octobre, à Francfort, le Prix de la paix des libraires allemands, le romancier turc Orhan Pamuk a reçu, le 7 novembre, à Paris, une autre distinction prestigieuse, le Médicis étranger, pour Neige, publié en français par Gallimard.
Si la deuxième de ces récompenses a une dimension strictement littéraire, la première revêt un caractère politique marqué. Les professionnels allemands ont honoré par le passé de grandes figures engagées comme l’Américaine Susan Sontag. Orhan Pamuk appartient à l’évidence à cette catégorie. Cet homme distingué de 53 ans, issu d’une famille bourgeoise d’Istanbul, n’hésite pas à se prononcer sur les grandes questions d’actualité. Il défend avec passion l’ancrage de la Turquie dans l’Europe, et sa liberté de parole en a fait la bête noire des islamistes aussi bien que des nationalistes.
C’est de ce côté qu’il s’est attiré récemment de gros ennuis. En août, il a été inculpé par le parquet d’Istanbul pour « dénigrement de l’identité turque » après avoir déclaré dans un journal suisse que « 30 000 Kurdes et près de 1 million d’Arméniens ont été tués sur ces terres ». Si, entre-temps, il s’est défendu d’adhérer à la thèse arménienne du génocide et a reconnu que, parmi les victimes des combats au Kurdistan figurent des soldats de l’armée turque « tombés en martyrs », il risque entre six mois et trois ans de prison à l’issue du procès qui s’ouvrira le 16 décembre. Et ce n’est pas tout, car le romancier fait l’objet d’une deuxième plainte, déposée par une association de juristes ultranationalistes, pour des propos rapportés par le journal allemand Die Welt où il avançait que l’armée turque pouvait être un obstacle au progrès de la démocratie. C’est justement en Allemagne, où réside une importante communauté turque, que les menaces qui pèsent sur Pamuk ont déclenché les réactions les plus vives. Pour Norbert Lammert, président du Bundestag, elles pourraient contrecarrer le projet d’adhésion d’Ankara à l’Europe.
Mais Pamuk est surtout un très grand écrivain. Son oeuvre, traduite en plus de vingt langues, plonge au coeur de la société turque et s’acharne à en débusquer les contradictions. Dans Neige, il met en scène un poète parti enquêter dans une ville de l’Anatolie où une vague de suicides frappe des jeunes filles ayant en commun de porter le foulard. Tout en jouant habilement avec des sujets politiques très actuels, ce roman à suspense surprend par le ton poétique qui imprègne chaque page. Les jurés du prix Médicis ne s’y sont pas trompés en le distinguant cette année.

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